Mortemobire CODEX SULDER
   

Chapitre 24 : L'histoire de la princesse Iohme

Son regard était vide. Perdu dans ses pensées, il ne ressentit pas la petite fille qui s’approchait de lui à quatre pattes en l’observant avec de grands yeux curieux. En lui, c’était la tempête qui se déchaînait. Aussi violente qu’un ouragan prenant sa force au cœur de l’océan. Les souvenirs, les idées, les sensations du présent se mélangeaient dans un amalgame si puissant que peu auraient pu continuer à accepter toutes les images dans leur tête sans sombrer dans l’inconscience.
La petite fille se dressa sur ses jambes en prenant appui sur ses genoux. Elle lui tira le pantalon pour attirer son attention. Elle demanda implicitement à monter sur ses genoux.
La réalité reprit le dessus. Il sentit l’appel de la vie lézardé dans ses veines. S’éveiller comme la foudre un jour d’orage. Cette décharge de vie irrigua tout son être et fit jaillir sur son visage un sourire protecteur. Ses traits se radoucirent en observant le visage souriant de Loaud et son immense innocence face à la dureté de cet univers.
C’était la joie qui faisait scintiller ses yeux bruns d’un sombre intense comme la nuit. Il la prit dans ses bras et l’installa sur lui en la tenant fermement pour qu’elle ne puisse pas tomber.
Au fond de lui, il était encore électrique. La réalité ne lui avait pas fait oublier les images qu’il venait de percevoir. C’était l’espoir qui l’animait désormais. De grands événements allaient se déclencher dans les semaines à venir. Il aurait un rôle à jouer dans l’histoire cette fois-ci. Il ne serait plus seulement celui qui devait suivre et rapporter les faits. Il devrait y participer. Il ne pouvait pas y avoir d’autres possibilités. Les autres étaient déjà présents, il ne pourrait plus échapper à leur rencontre.
Il aurait préféré que ce ne soit pas le cas. Mais le destin en avait décidé autrement. Son corps se mit à gronder de l’intérieur pour partager son mécontentement. Il brandit un poing rageur au-dessus de lui en psalmodiant des propos à l’encontre des autres. La petite fille regarda le geste avec amusement, n’en comprenant pas la signification.
Sulder allait trembler. Les peuples de cette planète ne devraient pas être confrontés à cette guerre qui ne les concernait pas. Les témoins de ce conflit regretteront de ne pas s’être terrés chez eux et de prier pour leur survie.
S’il connaissait le passé comme nul autre. Il ne pouvait pas deviner ce qui resterait des futurs événements dans quelques siècles. La mémoire des peuples se souviendrait-elle de ce conflit proche ? À moins que l’on oublie ce passage de son existence pour ne garder que son glorieux passé. Son ancien nom, celui que Rouge lui avait donné resterait pour toujours. Mais son vrai nom, sans doute personne ne le retiendrait et il s’effacerait comme une dune de sable face au vent.
Son nom était Dyhyx. La connaissance avait guidé toute sa vie et il en avait accumulé plus que n’importe qui. Il était devenu un puits de savoir qui ne semblait pas avoir de fond. Il avait fait usage de tout ce qu’il avait acquis pour sauver Sulder de la destruction. Un geste qui lui coûta cher au fond du cœur et qui provoqua sa chute. Pour tous, il n’était plus rien d’autre que mort !
Est-ce là, le prix à payer, pour gagner un nom pour l’éternité ? On retient plus facilement ceux qui ont chuté que ceux qui sont encore en vie. Même si l’histoire contait qu’il avait trépassé ! Il était encore là. Une petite île au nord de Saitaire où il avait reconstruit une vie afin que nul ne s’intéresse à qui il pouvait être réellement. Une nouvelle vie paisible sans les tracas de la célébrité. C’était ce qu’il s’était souhaité.
Il était illusoire que cela puisse être pour toujours. Il avait vécu dans ce mirage quelques années. La réalité était venue le balayer comme un blizzard sur la banquise. Sa place n’était pas ici, ce ne fut qu’une douce musique à ses oreilles. Un doux chant de sirène qui lui avait fait oublier sa véritable nature. Le chant était terminé. Le charme rompu ! Même s’il y avait replongé les yeux fermés pour profiter de cette vie paisible. Et de cette petite fille qui comptait pour lui. Sa place était ailleurs et il ne pouvait pas refuser d’y endosser son rôle.
Il était resté dans l’ombre trop longtemps. Il avait profité pour se reposer, espérer que plus personne n’aurait besoin de lui.
Il ne se faisait pas d’illusions. Si le destin l’avait épargné du devant de la scène pendant quelques années, cette situation était terminée. Il avait oublié les ombres qui vivaient à l’extérieur. Elles représentaient un danger mortel et il les connaissaient toutes. C’est bien là sa force, sa connaissance. La mort elle-même ne lui était pas inconnue.
Il n’y avait aucune peur sur son visage. Il savait ce que le futur attendrait de lui, il y était préparé depuis toujours. Les chemins qu’il avait pris au cours de son existence l’avaient éloigné de ce tracé. Mais celui-ci le rappelait désormais.
Il avait souhaité au plus profond de lui que ce soit Rouge qui le rappelle. Un des rares à connaître son véritable nom. Mais aussi celui qui lui donna le nom que chacun lui connaît. Il avait fait partie des proches de Rouge. Un ami fidèle depuis ses débuts et jusqu’à la fin. Il avait fait son devoir pour protéger Sulder de la furie de Demondai.
Et il avait réussi ! Sulder était toujours là. Et au fond lui, Rouge l’était tout autant. S’il était lui-même, il aurait cherché Rouge, mais même avec les moyens dont il disposait avant, cela n’aurait peut-être pas suffit à retrouver l’aigle.
La petite fille s’agita sur ses genoux. « Histoire ! Lança la fille avec de grands yeux pétillants.
— Tu souhaites que je te conte une histoire, sourit Dyhyx.
— Oui ! S’exclama la petite fille en tapant des mains.
— Et bien soit, ajouta-t-il. Tu sais ce que tu veux ? »
La petite fille n’hésita pas, elle savait ce qu’elle souhaitait. « Le mariage du chevalier Sylvain, lança-t-elle avec un sourire radieux.
— Une histoire avec une princesse, un valeureux chevalier et une belle histoire d’amour, commenta Dyhyx avec un petit rire.
— Oui, oui, tout ça, réclama la petite en tapant dans ses mains.
— Comme tu voudras… Il était une fois un courageux chevalier qui parcourait les sentiers de Saol en quête d’aventure et de prestige. Son nom était Sylvain, modeste et inconnu dans les premières années. Il devint rapidement un chevalier de renom autour de la cité de Haches. Sa réputation s’étendit jusqu’à Englub… et jusqu’à la demeure du grand maître. Rien ne semblait pouvoir arrêter sa progression. Il ne pensait qu’à son devoir de chevalier. Son cœur avait déjà été pris par une sorcière et il ne voulait plus y accueillir personne. La sorcière resta pour toujours dans son cœur, mais une princesse parvint à s’y faire une petite place aux côtés de la sorcière. Elle était née à Englub. Issue d’une riche famille de noble de la cité. Sa vie fut des plus faciles, elle n’avait qu’à demander pour être servie. Rien ne lui était refusé. Pourtant, elle tardait à trouver l’amour. Ses parents lui avaient organisé de nombreux bals pour qu’elle rencontre les autres familles de la noblesse. Mais elle n’y trouvait pas son bonheur. Le chevalier Sylvain commença à se faire connaître, son nom était évoqué lors des rencontres des hautes familles d’Englub. Leur inquiétude était grande, un parvenu était en train de bâtir un nouvel empire. Il souhaitait revendiquer un titre d’empereur ! Or, il n’avait rien de noble ! Ils ne pourraient pas lutter contre lui, car ses exploits étaient connus de tous. Il avait le peuple pour lui et une armée de chevaliers sous ses ordres. Même s’ils représentaient la noblesse historique d’Englub et des villes proches, ils n’avaient que leurs noms et leurs argents. Et ils n’étaient pas enclins à dépenser leur argent pour financer une armée de mercenaires pour combattre ce chevalier Sylvain. Ils étaient plus rusés et un mariage semblait plus propice pour chacune des parties. Si ce nouvel empereur pouvait intégrer une famille noble pour une alliance, il n’y aurait plus rien à redire. C’est la princesse qui fut choisie pour accomplir ce devoir envers sa famille. Si elle n’avait jamais trouvé l’amour, elle fut charmée par sa rencontre avec le chevalier. Réticente à l’idée d’un mariage forcée, elle tomba follement amoureuse. Pourtant, Sylvain resta de marbre devant la princesse. Son cœur et ses pensées étaient déjà acquis à la sorcière. C’était un mariage d’arrangement et cela lui convenait également ! Obtenir l’alliance des nobles d’Englub sans avoir à les combattre, lui permettait de s’occuper des affaires externes et de laisser l’interne à ses alliés. Les familles nobles furent ravies de ce partage, car ils purent continuer à traiter leur affaire comme si rien n’avait changé. Sylvain n’était pas amoureux de la princesse. Pourtant, elle parvint à se faire une petite place dans son cœur de marbre. Pas importante, mais suffisante pour que la princesse puisse s’y épanouir. Sylvain lui fit construire un majestueux palais. Même si on ne retient que le nom du bâtiment depuis son achèvement : le Palacium. Et que le temps n’ait retenu que le fait que ce soit le palais de l’empereur Sylvain. Ce n’était pourtant pas sa signification première. Le temps a fait oublier que Sylvain avait fait construire ce palais pour la princesse. Elle se nommait la princesse Iohme. Le palais que lui fit construire l’empereur Sylvain fut baptisé le palace d’Iohme. C’est le peuple et le temps qui transformèrent le nom d’origine pour que l’on ne se souvienne que de Palacium. Iohme et Sylvain y vécurent heureux ensemble. Ils eurent ensemble un fils et une fille qui continuèrent la lignée de l’empereur et de la noblesse de Sulder ! C’est par la lignée de son fils qu’aujourd’hui l’empereur Truiki règne sur l’Empire. Sa chute récente va entraîner du changement et cela ne pourra que faire du bien à cet empire vieillissant. L’histoire est terminée pour aujourd’hui. »
La petite fille s’était endormie avant la fin de l’histoire. Les yeux clos, elle avait un visage serein. Aucune inquiétude ne pouvait se lire sur les traits de son visage. Il alla la raccompagner jusque sur son lit.
Le changement voila ce qu’il attendait également ! L’empire venait d’y plonger sans être prévenu préalablement. Lui savait, serait-il plus prompt à accepter et à préparer ce changement. Il l’espérait. Pourtant, il ne pourrait le constater qu’une fois les événements face à lui. Cette préparation était pourtant nécessaire, sans elle, ses espoirs de vivre des jours paisibles n’existeraient plus.
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