Mortemobire CODEX SULDER
   

Chapitre 28 : La cité des neiges

Il respira fortement. L’air traversa dans le groin qui lui servait de nez. L’air frais envahit ses poumons, lui procurant une grande satisfaction. Il avait enfin l’autorisation !
Il l’attendait depuis des mois, depuis qu’il en savait plus sur lui-même. Le grand maître venait de lui dicter sa dernière mission. Après il serait libre de ses choix.
Son choix était déjà arrêté. Il rejoindrait la cité de Bemiz. !
Il deviendrait le chef de clan de cette cité. Le grand maître l’envoyait vers la cité des neiges, ce ne serait qu’un léger détour.
Un interlude nécessaire pour conclure son apprentissage de la plus belle des manières, avant de s’occuper de son objectif principal.
Comme tous les élèves du grand maître, il n’avait aucun souvenir de son enfance. Toutefois, il en avait appris long sur ses origines. Étant un arklins noir, comme chaque membre de son espèce, ses origines sont tatouées sur l’arrière de son crâne. Une mutilation cérémoniale réalisée dans les premières années de son existence.
Il n’en avait pas le moindre souvenir. Cependant, les symboles tatoués ne pouvaient pas lui mentir. Ces derniers lui en avaient appris plus sur lui que n’importe qui.
Sa famille était originaire de la cité de Bemiz. Une famille de marchand faisant commerce dans les cités du nord Ouest. Au cours d’une lutte de chef de clan arklins, sa famille avait pris position pour l’un des prétendants au titre de nouveau chef de la cité.
Ce dernier se révéla incapable d’obtenir le titre convoité. La sauvagerie arklins ne laissait jamais les perdants vivants, seuls les vainqueurs continuaient à vivre après un tel affrontement. Même si sa famille n’avait pas participé au conflit, elle avait pris une position claire. En représailles de leur foi trop ouvertement annoncée, le chef vainqueur fit massacrer les membres de sa famille.
Les arklins noirs peuvent être sans scrupules pour les individus qui font de mauvais choix. La faiblesse ou l’erreur étaient les principaux paramètres de la sélection naturelle dans son espèce.
Gatrac-goharic ignorait comment il avait pu survivre au massacre de sa famille. Il n’aurait certainement jamais cette réponse. Ni une autre qui lui trottait dans la tête, si lui avait survécu est-ce qu’un autre membre de sa famille aurait pu en réchapper également. Il ne voulait pas se laisser perturber par son questionnement. Il avait plus important en tête, beaucoup plus important.
Pas de vague questionnement sans réponse, mais bien la réalité. Bemiz était encore aujourd’hui dirigé par la même famille que celle qui avait anéanti la sienne. C’était le fils de l’assassin de sa famille. Même s’il n’avait rien à voir avec ses origines, il viendrait le défier. Il réclamerait vengeance.
Il ferait couler le sang de cet arklins pour obtenir réparation. Il le ferait souffrir par pur plaisir arklins. C’est dans la déchéance de son adversaire que l’honneur de sa famille serait rétabli, lavé de l’ancestral affront. Il ne pouvait pas en être autrement !
Son existence était entièrement vouée à cette vendetta. Inconcevable pour des humains, bien que certain être assez belliqueux pour partager sa vision. Mais pour un esprit arklins, c’était parfaitement raisonnable et la seule chose valable à réaliser. Sa vie ne méritait d’être vécue depuis des mois que pour l’accomplissement de cette vengeance.
Le clan et la famille arklins passent avant toute autre considération.
Le grand maître l’avait formé, il utiliserait cet apprentissage pour les besoins de son clan. Dès que sa vengeance se retrouverait assouvie. Le destin ou le grand maître lui donnerait les indications sur la suite à donner au déroulement de sa vie.
Pour l’instant, il n’avait rien planifié au-delà de cette rencontre à Bemiz. Il résidait une possibilité que sa vengeance soit veine. Que ce soit lui qui serait tué au cours de l’affrontement. Il ne voulait pas y croire, ni même y penser. Il avait donné le meilleur de lui-même chaque jour avec l’apprentissage du grand maître.
Il n’avait jamais rechigné à la tâche ou dans les efforts à fournir. Tout cela dans le seul et unique but d’être prêt pour cet affrontement. Il ne pourrait pas échouer. Toutes ses actions et tout son apprentissage étaient prémédités en vue de ce moment.
Il ferma la bouche et serra ses dents les unes contre les autres fortement. Un grincement sinistre retentit dans sa mâchoire. Avant d’en découdre avec ses origines, il devait se rendre à la cité des neiges pour le grand maître. Il ne se défilerait pas devant cette tâche. Bien des événements allaient dépendre de sa capacité à contrôler la cité.
Les oiseaux géants étaient un atout stratégique dans une guerre. Si le grand maître en avait besoin, il l’aiderait. Il ne pourrait jamais assez remercier le grand maître pour tout ce qu’il avait pu lui apporter. Finir sa formation de la plus belle des manières serait un juste retour des choses.
Il s’élança d’un pas sur et vigoureux dans les ruelles de la cité. Les passants s’écartaient à son passage. Personne n’avait la témérité de rentrer tête baissée dans un arklins noir. S’il était de mauvaise humeur, un coup de hache pourrait rapidement partir.
Gatrac-goharic était pourtant de bonne humeur ! Mais son visage n’en laissait rien paraître. Il avança de son pas rapide vers le nord Ouest de la cité. Il entra dans une ruelle située à une centaine de mètres de la salle de combat.
Les apprentis du grand maître appelaient cette ruelle : le quartier des Arklins. Son véritable nom était le passage des grains. C’était historiquement la route qu’empruntaient les fermes agricoles de Haches pour venir livrer leur marchandise dans les commerces de la cité. Depuis que la cité s’était étendue jusqu’aux fermes et les avait absorbées dans sa masse. La ruelle n’était plus du tout utilisée pour le transport de marchandises.
Le terme de quartier des Arklins fut donné parce que les quelques arklins du groupe avaient tous élu domicile dans des demeures de la ruelle. Mais il n’y avait pas que des arklins dans celle-ci, majoritairement elle était toujours peuplée par des humains.
Gatrac-goharic passa par sa demeure pour ramasser rapidement son parquetage. Il était déjà prêt depuis un moment. Il allait devoir passer par la demeure de Rebel-Rebel et d’Angueudrac pour les inviter à l’accompagner dans sa mission jusqu’à la cité des neiges.
S’il avait eu le choix, il n’aurait emmené aucun des deux ! Le grand maître lui avait forcé la main. Il n’avait pas d’autres choix que de les accepter. Pour le cas de Rebel-Rebel, ce n’était pas une gêne considérable. Un chaman avait toujours son utilité et ses guerriers verraient d’un bon œil la proximité d’un lanceur de sort pour leur accorder des avantages magiques dans une bataille. Même s’ils ne comprenaient pas le fonctionnement de la magie, leur morale serait décuplée par sa seule présence.
À l’inverse, le cas d’Angueudrac était plus problématique. Déjà, il ne pouvait pas la sentir. S’il ne tenait qu’à lui, il lui aurait déjà asséné quelques claques dans la face. Ce ressentiment était partagé. Son autorité serait mise à mal par ses guerriers, mais il était obligé de l’amener avec lui.
Comble de sa malchance, elle n’était douée en rien ! Mauvaise combattante, il ne pouvait même pas l’affecter à des corvées de gestion de camp. Elle se débrouillerait pour échouer dans le montage d’une tente, dans la réalisation du repas ou autre. Et il n’était pas envisageable une seule seconde que ses troupes se retrouvent le ventre vide.
Son autorité de chef serait alors contestée. Cette situation ne lui plaisait pas. Il devrait trouver une tâche sans conséquence pour occuper l’arklins et surtout l’éloigner le plus possible de ses troupes pour ne pas créer de conflit.
Dans un premier temps, il pensait en faire une éclaireuse, mais il n’aurait jamais eu confiance en son jugement. C’était une perte de temps de lui demander ce travail. Il s’orientait pour une solution inverse. Lui trouver une place au fond de la colonne. Pour surveiller les arrières ou alloué à la protection d’un chariot de ravitaillement. Son idée n’était pas encore arrêtée.
Il avait encore le secret espoir qu’elle refuse de l’accompagner ! Après tout, le grand maître lui avait demandé d’amener Angueudrac, mais elle avait parfaitement le droit de décliner l’invitation.
Gatrac-goharic serait le premier à l’encourager à suivre ce chemin… de la sagesse. L’espoir était mince, mais il existait. Il s’y accrocherait le plus longtemps possible.
Il sortit de sa demeure, son attirail sur les épaules. Puis il s’avança un peu plus loin dans la ruelle pour rejoindre une ancienne grange réaménagée en habitation. Le chaman avait gardé l’espace de la grange intact. Ce vaste espace lui servait pour entreposer toutes ses créations, ses potions et autres concoctions magiques.
Il y avait uniquement un petit espace au fond de la grange où on trouvait une paillasse faisant office de lit. Le chaman n’était pas un fanatique du rangement. Personne en dehors de lui n’aurait pu se retrouver dans ce désordre.
Gatrac-goharic frappa lourdement contre la double porte de la grange. Il attendit quelques secondes, avant que la porte ne s’ouvre et que le chaman observe l’intrus qui frappait à sa porte d’un œil mal éveillé.
Il gronda en voyant Gatrac-goharic, mais ne rajouta rien. L’arklins noir se douta que si quelqu’un d’autre était venu le réveiller, quelques noms d’oiseaux auraient certainement volé. Il n’oserait pas lever le ton contre lui.
Le chaman ouvrit plus largement la porte et invita l’arklins noir à entrer. Invitation que refusa Gatrac-goharic d’un mouvement de la main. Il ne comptait pas perdre du temps. Il allait informer le chaman de sa proposition de l’accompagner jusqu’à la cité des neiges. Puis il reprendrait son chemin. Il n’avait pas de temps à perdre. Il devait encore informer Angueudrac de la même proposition.
Gatrac-goharic agit avec promptitude. Sans même laisser le temps à Rebel-rebel de s’exprimer, il débita tout le discours qu’il avait préparé. C’était peu de chose, le chaman était déjà au courant dans les grandes lignes de la mission qui les attendait. Lui aussi avait été prévenu depuis un moment, même si ce n’était pas lui le chef de guerre de l’armée arklins qui allait se mettre en marche pour la cité des neiges.
Le chaman répondit par quelques signes de la main et des mouvements de tête. Les deux savaient parfaitement où se retrouver avant de quitter la cité. Le chaman referma la porte de sa demeure. Il devait terminer quelques préparatifs.
Le temps que Gatrac-goharic fasse le même discours à Angueudrac. Ils se retrouveraient ensuite, dans une petite auberge collée contre le mur d’enceinte de la cité. C’était leur moyen de sortir de la ville discrètement ! Il n’y avait pas que la grande porte sud pour entrer ou sortir. Même si celle qui allait emprunter n’avait rien d’officiel. C’était plutôt un ancien passage de brigand ne souhaitant pas payer les taxes de la cité ou pour faire entrer des marchandises illicites dans la cité.
Gatrac-goharic avait à peine fait quelques pas pour quitter la demeure du chaman qu’il fut stoppé net. La créature hideuse qu’il se destinait à rencontrer avait devancé son appel. C’est elle qui était en train de venir à sa rencontre.
Gatrac-goharic fut figé. Il ne s’attendait pas à une rencontre en pleine ruelle. Il espérait encore avoir quelques secondes pour trouver les bons arguments pour la convaincre de ne pas se joindre à lui.
Il la regarda de la tête aux pieds avec un dégoût lisible sur son visage. Elle avait une peau vert clair. Un vers similaire à celui de l’herbe arrosé abondamment. Mais elle ne sentait pas la rosée du matin ou l’herbe fraîche. Une odeur marécageuse l’embaumait totalement. Gatrac-goharic pourtant familier de cette odeur arklins sentit son cœur se lever. Il fit des efforts pour se contenir et ne pas régurgiter tout le contenu de son dernier repas sur la tête de l’arklins. Bien que cela n’aurait certainement rien changé à son odeur corporelle. Ni en mieux, ni en pire.
Sa tête était avancée par rapport au reste de son corps. Aucun cheveu sur la tête, ne laissant un crâne lisse et verdâtre. Des yeux enfoncés dans leur orbite. Des yeux noirs et coléreux. Un nez écrasé. Une grande bouche hideuse avec de grosses lèvres vert pomme. Les deux canines du bas de sa mâchoire dépassant de ses lèvres. De grandes dents jaunies par le temps.
Elle portait de vieilles guenilles déjà largement trop usées. Une chemise noire et un short noir dont la couleur cachait maladroitement les tâches du temps. Le short lui arrivait à mi-cuisse. Le bas de ses jambes était recouvert par des bottines en peau de sangliers noirs au poil plutôt court.
Une ceinture de fer noir avec une boucle représentant un crâne d’arklins accroché à sa taille. Pièce importante de son attirail, sans cette ceinture, Gatrac-goharic n’était pas certain que le lambeau qui lui servait de short aurait pu tenir bien longtemps sur elle.
Un long couteau dans son fourreau pendait le long de sa ceinture. Un bracelet en argent ornementé son poignet droit. Le bracelet était surmonté de quelques piques.
Gatrac-goharic remua son nez. Cette odeur immonde qui se dégageait du corps de la créature qui lui faisait face était toujours aussi insupportable. Et il ne l’avait pas encore entendu parler. Son estomac gronda intérieurement. Il faisait des efforts pour ne pas démontrer son dégoût sur son visage, mais il ne pouvait pas empêcher tout son corps d’être répugné.
Gatrac-goharic serra ses poings pour maintenir son contrôle. Il ne devait pas se laisser emporter. Le grand maître n’allait pas apprécier s’il affichait trop ouvertement son aversion envers Angueudrac. Le grand maître ne lui laissait pas un grand laps de temps pour rejoindre la cité des neiges. L’héritier de la nuit était déjà en route pour la cité d’Englub.
Le grand maître escomptait qu’il ait rejoint la cité des neiges avant que l’héritier de la nuit n’ait renversé l’empereur. Il ne devait pas échouer ! Et surtout pas à cause de cette saleté d’arklins.
« Angueudrac te voila enfin, s’exclama Gatrac-goharic pour rompre le silence qui avait commencé à naître entre les deux arklins. Je te cherchais justement ! Je sortais de chez Rebel-Rebel. Il devrait me rejoindre dans peu de temps, mais il traîne comme à sa grande habitude. On ne peut pas demander à un chaman d’être un rapide.
— Je viens avec toi, grogna Angueudrac. Le grand maître m’avait déjà prévenu à l’avance de notre mission. Ne tourne pas autour du pot pour me demander. Je suis totalement convaincu de te rejoindre. »
Ce fut un choc pour Gatrac-goharic. Lui qui espérait avoir la possibilité de la faire renoncer à ce projet. Tous ses espoirs un peu fous venaient de s’évaporer en une seule phrase d’Angueudrac. Son pire cauchemar était en train de se réaliser, il allait devoir être accompagné par ce déchet de la nature.
« Je demande pourquoi le grand maître m’a donné des larves pareilles, soupira Gatrac-goharic pour lui-même. »
Angueudrac plissa les yeux à son encontre. Gatrac-goharic avait parlé pour lui-même, mais certainement pas assez pour qu’elle ne puisse pas l’entendre.
« Hé ho ! Ce n’est pas sympa ce que tu dis sur mon compte, rouspéta Angueudrac dans un langage encore plus guttural et incompréhensible que l’arklins noir.
— Bien entendu, répondit franchement Gatrac-goharic qui avait une maîtrise parfaite de tous les dialectes arklins. Je ne t’aime pas. Je ne te le cacherais pas, s’il n’en tenait qu’à moi, tu resterais ici. Je ne souhaite pas te voir m’accompagner. Tu es sans aucun intérêt ma pauvre. De tous les élèves du grand maître, tu es certainement la seule que je n’aurais pas choisi pour m’accompagner.
— Pas de chance pour toi mon gros, rugit Angueudrac. Le grand maître veut que je te suive et compte sur moi pour suivre ses directives. Si en plus ça te fait chier à mourir, j’en serais enchanté.
— Tu vas regretter de m’accompagner, grogna Gatrac-goharic. Ta vie sur le camp sera pour toi un supplice et je ne ferais rien pour te faciliter à la vie.
— À ton aise gros dur, grogna dans son museau Angueudrac. Si tu crois que je vais me laisser marcher sur les pieds sans réagir, tu te mets le doigt dans l’œil. Si ma vie devient un cauchemar par ta faute. Je te garantis que je saperais ton autorité de l’intérieur.
— Tu n’oserais pas ! Déclara Gatrac-goharic avec violence.
— Et comment ? Lâcha Angueudrac heureuse de trouver un point faible dans la carapace de l’arklins noir.
— Je te tuerais de mes mains si tu penses seulement à le faire une seule fois, cria Gatrac-goharic en tendant un doigt accusateur en direction de l’arklins.
— C’est la joie ici ! Lâcha gaiement Rebel-Rebel en arrivant dans le dos de l’arklins noir. Si je comprends bien, nous allons être à trois pour prendre la route.
— N’en rajoute pas, décréta Gatrac-goharic en ne lâchant pas l’arklins du regard. Je suis assez de mauvaise humeur comme cela.
— Comme tu veux patron ! Ria le chaman. Allez en route, les deux rigolos. Plus vite nous en aurons terminé avec cette ultime mission du grand maître et mieux ce sera pour nous tous. Pensez tous les deux que c’est la dernière fois que vous allez être forcé de travailler ensemble. Le grand maître ne pourra plus vous l’imposer ensuite. La route jusqu’à la cité des neiges ne devrait pas nous poser la moindre difficulté.
— On devrait toutefois se méfier des patrouilles ! Argumenta Angueudrac.
— Fermes là ! S’écria Gatrac-goharic en faisant balancer son poing en direction de la tête de l’arklins. »
Il retint son geste au dernier moment. Ses phalanges étaient proches du visage d’Angueudrac, il pouvait sentir son souffle régulier sur sa main. Elle n’ajouta pas un mot et se contenta de lui lancer un regard lourd de reproches.
« Ici, c’est moi le chef, ajouta Gatrac-goharic. C’est moi qui prends les décisions. Et je n’aurais besoin d’aucun conseil de ta part. Alors, tu peux la fermer. Marche vite. Ferme ta mouille. Regarde le paysage. Mais surtout, ferme ta sale bouche.
— J’ai compris, ajouta Angueudrac.
— Ferme ton clapet, rétorqua le chaman s’amusant de la situation.
— Tout le monde a compris sa place, j’en suis fort aise, conclut Gatrac-goharic en réajustant son sac à dos sur ses épaules. Nous ne sommes pas encore en guerre avec l’Empire, mais cela va changer dans les jours qui suivent. Nous n’avons rien à redouter des patrouilles de l’Empire d’ici là. En route pour sortir de la cité. L’héritier de la nuit va réussir sa tâche à nous d’en faire autant de notre côté. Si vous avez seulement un peu de fierté arklins dans vos veines, vous ne ferrez pas de vague. Suivez-moi et plus un mot avant que je ne vous informe du contraire. »
Gatrac-goharic pivota et se dirigea droit vers l’autre bout de la ruelle. Il ne se retourna pas pour voir si les deux autres suivaient. Ils étaient encore temps pour eux de décamper. Il ne chercherait pas à les rattraper.
Il n’y croyait plus désormais, ses espoirs avaient volé en éclats. Angueudrac allait le suivre quoiqu’il arrive. Il devait vraiment lui trouver une tâche dégradante et loin de ses propres occupations le plus rapidement possible.
Tous en continuant de penser, il se dirigea vers l’auberge auquel il avait fait allusion avec le chaman. C’était une ancienne bâtisse, mais qui tenait encore debout ! Le propriétaire affirmait pour ceux qui voulaient l’écouter que les pierres de son édifice étaient issues de la première ferme de Haches. Gatrac-goharic doutait fort que ce soit vrai, mais si cela pouvait faire plaisir à son tenancier et à ses clients de croire n’importe quoi. Grand bien leur fasse.
Gatrac-goharic poussa la porte en bois de l’établissement. Il n’eut pas besoin de parler. L’aubergiste accoudé au comptoir se redressa à la vue de l’arklins noir. D’un simple mouvement de tête, il lui donna l’autorisation ainsi qu’à ses compagnons de passer derrière le comptoir.
Gatrac-goharic répondit avec un sourire léger et mouvement de tête. Il continua d’avancer sans se retourner. Un passage uniquement accessible depuis l’arrière du comptoir plongeait dans le sol. L’escalier était ancien et les marches glissantes. Cela n’arrêta pas l’arklins noir pour autant, il plongea dans les ténèbres de l’escalier.
Le sous-sol était une cave humide et remplie de tonneau ou de bouteille de vin. Rien de plus classique pour une auberge. Gatrac-goharic habitué se dirigea vers le fond de la cave et d’un mouvement d’épaule poussa un tonneau qui pivota sur lui-même très facilement. Le tonneau devait être déplacé très régulièrement.
Derrière l’emplacement initial du tonneau, une galerie creusée dans la terre et la roche s’étendait en ligne droite. Gatrac-goharic s’engagea dans la galerie sans se poser de questions. Il ne s’était pas retourné une seule fois pour vérifier la présence de l’arklins femelle et du chaman. La galerie n’était pas éclairée par des torches, mais des champignons phosphorescents recouvraient la majeure partie des murs. Il donnait une étrange lumière verte rappelant le brouillard qui s’étendait au-dessus des marécages.
La lumière était juste suffisante pour que Gatrac-goharic puisse avancer. Même si la galerie ne présentait aucune difficulté. C’était une parfaite ligne droite, un architecte d’une précision mathématique avait dû réaliser cette galerie. Trop parfait pour être juste un hasard.
Après une dizaine de minutes à progresser dans la galerie, la lumière du jour commença à apparaître au fond. Gatrac-goharic continua sur le même rythme. Il avait parcouru cette galerie des dizaines de fois. La garde de la cité n’avait pas connaissance de cette entrée, pourtant elle était connue de beaucoup. La galerie se terminait dans la cave d’une ancienne écurie. Celle-ci était qu’un tas de ruines. Elle n’avait plus dû servir depuis des centaines d’années.
La végétation recouvrait l’ensemble des ruines et c’est grâce à elle si l’ouverture menant à la cave était malicieuse cachée de la vue de tous par une épaisse couche de lierre. Les connaisseurs de l’entrée entretenaient la végétation de l’ancienne écurie afin que l’entrée reste dissimulée à un promeneur inopportun. Une fois à l’extérieur, Gatrac-goharic se retourna pour la première fois, non pas pour surveiller ses deux compagnons. Mais pour s’assurer que l’entrée secrète était parfaitement dissimulée après leur passage.
Même si cette entrée était pratique, c’était une faille majeure dans la protection de Haches. Gatrac-goharic se doutait qu’il devait y avoir d’autres galeries existantes. Il suffisait aux armées de Lichn d’en trouver une seule pour que la prochaine fois que le nécromant se déciderait à attaquer la cité, il puisse profiter d’un passage privilégié. Cette situation ne devait pas se produire. Pas avec son passage en-tout-cas.
« Chef ! S’écria une voix rude d’arklins. Vous voilà enfin ! »
Trois arklins apparurent de derrière les ruines de l’ancienne écurie. Ils surveillaient les environs depuis des jours. Gatrac-goharic leur inclina sa tête légèrement en signe de salut. C’était des membres de son armée. Trois arklins chargés de surveiller sa sortie de la cité. Ils devaient protéger l’entrée de tous les curieux et surtout veillaient que trois chevaux soient prêt pour rejoindre la cité des neiges au plus vite.
Gatrac-goharic regrettait de ne pas avoir prévu plus de chevaux. Initialement, il pensait partir seul avec deux de ses arklins. Le troisième devait rejoindre la cité et se mettre au servir de l’aubergiste de l’autre côté de la galerie en attendant le retour de son chef. La présence du chaman et de l’arklins femelle allait le forcer à modifier légèrement ses plans. Cela ne lui faisait pas particulièrement plaisir.
« Merci guerrier, déclara sèchement Gatrac-goharic. Les ordres ont changé, vous allez rester tous les trois à Haches. La dernière attaque des créatures des ténèbres me laisse redouter qu’ils cherchent à découvrir le passage. J’ai besoin de vous pour vous assurer que jamais ce ne sera le cas. Vous avez l’autorisation de tuer tous les intrus qui s’approcheraient de trop près de l’entrée du passage. Rien ne doit filtrer à son sujet.
— Ce n’était pas le plan, chef ! Rugis l’un des guerriers sans en vouloir directement à Gatrac-goharic. Nous voulons participer à l’assaut de la cité des neiges.
— Je le sais, coupa Gatrac-goharic d’une voix autoritaire. Ce passage est une priorité pour moi ! J’ai une confiance en vous pour assurer sa protection. Je regrette de ne pas pouvoir compter sur vous pour la capture de la cité des neiges. Mais vos actes ici seront récompensés à leur juste valeur ! Soyez assuré que je n’oublierais pas.
— Nous obéirons, soupira le guerrier arklins en baissant ses épaules.
— Allez voir l’aubergiste au fond de la galerie, déclara Gatrac-goharic. Dites-lui que vous devez assurer la protection de la galerie durant mon absence. Et qu’il doit survenir à vos besoins pendant cette période. Je paierais toutes vos dépenses à mon retour. Si je ne devais pas revenir, le grand maître se chargerait de régler l’addition en mon nom. Cela sera une garantie bien suffisante pour vous assurer tout le confort nécessaire dans votre tâche.
— Cela aurait été plus réconfortant pour nous de vous guider jusqu’à la cité des neiges, conclut le guerrier arklins. Nous agirons comme vous nous le demandez. »
Gatrac-goharic lui fit un dernier signe de tête et n’ajouta pas un mot supplémentaire. Il n’en avait plus le cœur. Il était déjà déchirant pour lui de se séparer de bons éléments pour prendre ses camarades de formation. Il ne voulait pas en rajouter. Cette tâche de rester à Haches pour surveiller la galerie était totalement inutile. Mais il ne pouvait pas se permettre de leur dire.
Il suivit l’un de ses guerriers, qui le mena jusqu’à une petite clairière où ils avaient laissé trois chevaux attachés au milieu. Gatrac-goharic grimpa sur le premier et s’élança en direction du nord !
Il suivit la route principale reliant les deux cités. Haches et la cité des neiges n’étaient pas en guerre lui contre l’autre. Il n’y avait aucune raison de se méfier de visiteur venant d’une cité ou de l’autre. Même s’il s’agissait d’un groupe de trois cavaliers arklins.
Gatrac-goharic pensait rejoindre la cité des neiges en trois jours si aucun obstacle fâcheux ne venait les ralentir.
Ils chevauchèrent durant deux jours. Même si les arklins ont une meilleure vision de nuit que de jour, ils avancèrent principalement dans la journée. Leurs chevaux n’étaient pas comme eux. Ils s’acclimatèrent aux préférences de leur monture. Ils profitèrent de la nuit pour se reposer et se relayer pour les tours de garde. Gatrac-goharic força Angueudrac à prendre le tour de garde du milieu, le plus difficile. Elle le savait parfaitement, mais elle ne pipa mot. Elle accomplit sa tâche sans rien dire. Seuls ses yeux s’embrassaient de colère lorsqu’elle regardait l’arklins noir.
Gatrac-goharic n’avait que faire de la colère de cette dernière. Si elle avait simplement l’audace de lui souffler une fois dans les bronches, il n’aurait pas la patience d’encaisser. Il lui volerait dans les plumes et mettrait un terme à sa vie. Il pourrait facilement faire passer sa disparition pour le compte d’une bagarre entre quelques-uns de ses guerriers ébréchés et Angueudrac. Le grand maître ne pourrait rien savoir de la vérité.
Les nuits étaient devenues plus fraîches à mesure qu’ils se rapprochaient de la cité des neiges. Gatrac-goharic appréciait se rafraîchissement. Les nuits lui faisaient le plus grand bien, il en profitait pour réfléchir à tout ce qu’il allait entreprendre dans le court terme. Il y avait tant à faire que cela le rendait radieux. Seule la vue d’Angueudrac lui redonnait un visage sombre et colérique.
Gatrac-goharic entamait le début de la troisième nuit. La luminosité venait décliner depuis quelques heures. Ses deux compagnons de route dormaient près du petit feu de camp qu’ils avaient improvisé. L’arklins noir était perdu dans ses pensées. Ses idées l’avaient menée loin. Il regrettait que les nuits soient si courtes. Pourtant la cause en étant extrêmement simple. La rotation des trois soleils de Sulder n’avait rien de scientifique, c’était uniquement de la magie !
Tout cela à cause d’une poignée de magiciens qui avaient décrété les règles de l’astrologie de Sulder. Ces magiciens avaient recréé les trois soleils de Sulder. Afin que les ténèbres ne puissent pas acquérir d’avantage décisif par des nuits trop longues, ils avaient agi en conséquence.
Quel que soit l’endroit de la planète où l’on pouvait se situer, une journée se répartissait exactement avec dix heures d’obscurité et quatorze de luminosité. Tous les jours s’étaient exactement la même chose. L’heure d’arrivée de la lumière et de sa disparition évoluée au cours d’une année. Mais, les horaires étaient parfaitement fixés par les règles de la magie des trois soleils.
Bien que ce principe ce découpage d’une journée n’intéresse quasiment pas les espèces de la planète qui font avec ce qu’elles ont sans se poser plus de questions. Il n’en était pas exactement de même pour les arklins. Gatrac-goharic en tant qu’arklins noir avait une vision bien plus développée de nuit que de jour. Des nuits plus longues leur accorderaient un avantage certain. Mais aucun chaman n’avait été consulté pour recréer les trois soleils de Sulder. Gatrac-goharic si demandait si cette règle inscrite dans le temps pourrait un jour évoluer. Et si c’était le cas, comment la rendre plus favorable à son espèce.
Dépendant de leur monture, n’avoir que des nuits de dix heures n’était pas un souci majeur. Leur tour de garde était plus court et dès que la lumière remontrait son éclat ils se remettaient en route sans tarder.
La troisième nuit se déroula sans encombre comme les deux premières. Ils reprirent leur chevauchée en suivant la route de la cité des neiges. Ils eurent à peine fait une heure que Gatrac-goharic quitta la route principale pour s’engager dans un sentier plus forestier qui se dirigeait vers l’est dans la direction des montagnes de glace.
Ils traversèrent une forêt dense, composée principalement de sapins. Le sentier était escarpé et montait progressivement dans les hauteurs de la montagne. Finalement au détour d’un autre chemin plus clairsemé, une montée impraticable pour leur monture apparue devant eux.
C’était la fin du voyage pour eux. Ils étaient presque arrivés au campement des guerriers arklins de Gatrac-goharic. Ils descendirent de leur monture. Ils n’avaient plus le choix, les chevaux ne pouvaient pas monter jusqu’au campement par ce chemin. Ils les attacheraient en bas, quelques guerriers de Gatrac-goharic seraient envoyés pour les récupérer et ils les ramèneraient par une route plus longue.
Gatrac-goharic laissa sa monture sans regret. Il était impatient de retrouver ses guerriers et de se débarrasser enfin d’Angueudrac. Tout du moins, avoir suffisamment d’occupation pour ne pas avoir à la croiser. Il commença à gravir le sentier abrupt.
Après avoir parcouru cinq cents mètres, Gatrac-goharic trouva un autre petit sentier qui serpentait le long des falaises. Gatrac-goharic regarda derrière lui, ses deux compagnons avaient un peu plus de mal que lui à suivre son allure dans les montées. Cela le fit sourire et il continua sur la même lancée peu sensible à leur difficulté. S’ils pensaient que c’était une promenade de santé, ils n’auraient eu qu’à rester à Haches.
Gatrac-goharic s’engagea sur la corniche et il parcourut les trois kilomètres à quelques centimètres d’un précipice. La vue était magnifique. Il se trouvait au-dessus de la forêt qu’il avait traversée depuis le matin. Il pouvait presque voir au loin dans la plaine la cité de Haches. La cité était masquée par quelques collines, mais on pouvait en deviner l’emplacement en connaissant la géographie de la région.
Gatrac-goharic ne se laissa pas submerger par la beauté du paysage. Ce n’était pas la première fois qu’il empruntait la corniche. Et cette fois particulièrement, il n’était pas là pour faire du tourisme. La corniche se terminait sur l’ouverture d’un tunnel s’ouvrant dans la paroi de la falaise.
La cité des neiges se trouvait au sommet des montagnes de glace. Pas sur les plus hauts sommets, mais assez proches pour être dans une altitude très respectable. Le tunnel montait également et arrivait sur une plaine placée à une hauteur légèrement plus basse que la cité qu’il recherchait.
Gatrac-goharic entra dans le tunnel sans même jeter un coup d’œil en arrière de lui. Ses compagnons ne comptaient plus désormais. Il connaissait ce chemin par cœur. Il en avait rêvé chaque nuit depuis que le grand maître lui avait confié cette mission.
C’était le triomphe pour lui. La sortie du tunnel signifiait qu’il retrouverait pleinement son statut de chef de guerre. Après une vingtaine de minutes dans le tunnel, la sortie commença à apparaître. Gatrac-goharic soupira de plaisir. Il accéléra encore le pas. Fier d’être ici, chez lui !
Face à lui, un petit village fortifié se dressait dans toute sa splendeur. Une construction récente, peinte avec des couleurs vives. Du rouge, du vert et des symboles arklins en noir. Des murs fortifiés formés par des troncs d’arbres dressés et plantés dans la terre. Gatrac-goharic regarda le camp avec un large sourire.
Il sortit complètement du tunnel. Cinq féroces arklins noirs lui barrèrent instantanément le passage en se dressant devant lui. D’imposantes épées furent tirées et pointées dans sa direction.
Gatrac-goharic tourna la tête de droite à gauche pour les dévisager rapidement. Ils portaient tous une veste et un pantalon en peau de sanglier. Ils avaient une tête de cochon légèrement étiré vers le haut. Une peau noire avec quelques reflets verts. Les deux canines du bas dépassé de leurs lèvres. Elles étaient sculptées avec des symboles arklins.
Leurs visages exprimaient parfaitement leur intention. Ils avaient dû entendre Gatrac-goharic arriver par le tunnel depuis quelques minutes. Ils avaient la ferme intention de se débarrasser de ce visiteur imprévu.
Toutefois, leur réaction changea très vite ! Ils baissèrent instantanément la pointe de leurs épées vers le sol. Ils avaient reconnu l’arklins noir comme étant leur chef de guerre ! Eux aussi attendaient son retour depuis des semaines. Leurs visages s’illuminèrent de joie. Un large sourire s’élargit sur leur visage. Ils commencèrent à émettre des grognements de joie.
Gatrac-goharic leur accorda un signe de tête. Ils poussèrent alors des cris de joie en levant dans les airs leur bras. Le bruit éveilla tout le campement qui prit conscience que quelque chose d’important se déroulait à leur porte.
« Soit le bienvenu Gatrac-goharic. Nous t’attendions depuis un trop long moment.
— Oui je le sais mes amis, s’écria Gatrac-goharic d’une voix puissante. Je suis enfin revenu. Et surtout avec une grande nouvelle à vous annoncer. Une très grande. Celle que nous attendions tous. Celle qui va vous faire plaisir. Nous allons lancer notre siège de la cité des neiges ! Nous n’allons pas attendre, dès demain à l’aube, plus personne ne pourra sortir de la cité des neiges sans passer sous notre lame. »
L’effet de la déclaration de Gatrac-goharic fut immédiat. Les arklins noirs crièrent encore plus fort leur contentement. La pensée d’une guerre, de l’odeur du sang coulant ou des cendres remplissant l’atmosphère réveilla totalement le campement qui avait semblé calme à Gatrac-goharic. Il ne faut pas toujours se laisser emporter par une première impression.
La nouvelle circula très vite dans le campement. Gatrac-goharic n’eut pas le temps d’avancer d’un pas de plus vers la porte du campement que tous ses guerriers arklins noirs étaient sortis à l’extérieur de leurs abris. Chacun avait une arme à la main. Ils se mirent en ronds autour de leur chef de guerre en hurlant le plus fort que leur voix leur permettait.
La discrétion n’était pas de mise. Si la cité des neiges avait posté des espions proches du campement, ils étaient déjà au courant du retour de Gatrac-goharic. Dans ce cas, la cité serait au courant dans moins d’une heure.
Gatrac-goharic ne préféra pas penser à cela. Il était trop tard pour la cité des neiges pour réagir. Les plans étaient fixés depuis longtemps. Gatrac-goharic profita du fait que ses troupes s’étaient réunies volontairement autour de lui pour présenter les deux compagnons qui l’accompagnaient. Même si cela ne lui faisait pas plaisir, il ne pouvait pas passer sous silence leur présence. Des questions lui seraient très rapidement posées s’il n’y répondait pas immédiatement.
Angueudrac et le chaman s’étaient positionnés derrière lui. Gatrac-goharic tourna sa tête pour les observer rapidement. Le chaman ne semblait pas perturbé par l’ambiance du campement. Angueudrac avait un visage moins lumineux. Gatrac-goharic supposa qu’elle commençait à prendre conscience des risques qu’elle avait pris en lui forçant la main. Ses guerriers arklins noirs n’étaient pas de nature amicale. Ils étaient plutôt des créatures belliqueuses, prêtes à en découdre par la force au moindre signe de provocation. Sa meilleure chance de survie serait certainement de ne pas l’ouvrir. Qu’elle ne compte pas sur lui pour la protéger.
Les présentations furent rapides. Il les présenta comme des compagnons du grand maître qui avaient à faire dans la cité des neiges pour ce dernier. Il évita d’évoquer toute relation entre eux et lui. Il y avait réfléchi sur la route, il lui semblait que c’était la meilleure option à adopter. Des élèves du grand maître seraient mieux perçus par ses arklins plutôt que des compagnons de route imposés.
Les guerriers arklins ne posèrent aucune question sur les deux visiteurs supplémentaires. Ils furent tous entraînés au cœur du campement pour y partager leur repas. Un large feu brûlé au milieu du camp, alimenté plus que nécessaire par du bois de la forêt avoisinante. Gatrac-goharic ne leur en tint pas rigueur. Il ne pouvait leur en vouloir, la température était glaciale dès que la nuit tombée dans cette région. Le feu était leur source de chaleur. Ils n’avaient pas été discrets, mais après tout les arklins ne l’étaient jamais.
Gatrac-goharic profita d’être au milieu pour observer le campement. C’était un petit village arklins qui avait été fondé ici, des centaines de petites huttes construites à l’aide des pierres de la montagne pour la base des murs. Le reste était fait de branches et de torchis pour calfeutrer le vent.
Chacun de ses arklins avait participé à leur construction. Ils avaient certainement espéré posséder chacun leur propre demeure afin d’y entreposer les trésors qu’il avait pu piller sur les corps de leurs adversaires décédés, voir directement dans les demeures de leur victime. Faute de temps, il n’avait pas encore une hutte pour chacun. Il devait se regrouper à trois ou quatre sous la même hutte. Cela renforcer à cohésion de son armée et c’était pour le mieux pour Gatrac-goharic.
Ses guerriers avaient beau être sous ses ordres, ils n’en restaient pas moins des arklins. Ils prenaient un plaisir à piller et à tuer. Ils devraient absolument les contrôler lors de la prise d’armes de la cité des neiges. La cité ne devait pas être détruite. Les ordres du grand maître étaient clairs là-dessus. Il venait simuler une guerre, mais en réalité il venait pour protéger la ville et non la réduire en cendres.
Il ne pourrait jamais faire comprendre la nuance à ses guerriers. Il ne chercherait même pas à leur expliquer. C’était parfaitement inutile. Ils risquaient d’être plus énervés et de provoquer plus de dégâts. Et si c’était vrai pour les arklins, ce serait encore pire avec ses arklins noirs.
Tout comme lui, les arklins noirs provenaient d’une vieille mutation, crée par les ténèbres. Ils voulaient rallier les arklins à leur cause afin de réduire à néant les humains et les elfes. Mais les ténèbres échouèrent dans leur corruption. Au lieu de se faire des alliés puissants, ils créèrent de redoutables et cruels ennemis.
Les arklins noirs sont des arklins que les ténèbres ont doués d’une force et d’une taille encore plus impressionnante. Bien que la stupidité légendaire des arklins leur ait été pratiquement intégralement fournie. Les arklins noirs sont, malgré tout, plus intelligents que leur demi-frère arklins. Cette masse de cerveau plus active les a fait renoncer à se tourner vers les ténèbres. Pensant bien faire, les ténèbres venaient de créer la nouvelle caste dirigeante des arklins qui se retournèrent immédiatement pour combattre les créatures sombres qui les avaient générées.
C’était certainement inscrit dans les gênes des arklins noirs, car même Gatrac-goharic vouait une profonde inimitié envers les créatures des ténèbres. Après son excursion vengeresse sur Bemiz, il comptait bien livrer quelques combats contre les ténèbres. Le grand maître lui trouverait bien quelques démons à renverser.
Le repas fut de courte durée. Gatrac-goharic n’avait pas spécialement faim pour le moment. Il était principalement impatient de prendre des nouvelles de la région. Son absence avait été longue au sein de ses troupes, il s’était certainement déroulé quelques événements dont il devait prendre connaissance.
Il laissa ses deux compagnons manger à leur guise. Il se dirigea vers un large fauteuil sculpté dans un tronc d’arbre qui dominait le centre du campement. C’était un siège digne d’un roi. Gatrac-goharic ne s’y trompait pas, il lui était destiné.
Des signes étranges y avaient été gravés dans le bois, puis noircis en faisant brûler le fond de chaque gravure. Il y avait des têtes de mort, des flèches dans tous les sens et encore d’autres symboles. Gatrac-goharic repéra même un soleil sombre dans le haut du fauteuil. Pour un œil non averti, cela pouvait apparaître sans queue ni tête. Mais pour un arklins comme lui, cela voulait tout dire.
C’était tout ses exploits qui étaient gravés là. Tout ce qu’il avait réalisé jusqu’à présent. Son nom, ses origines, son rang de chef de clan. Il y était même écrit qu’il était un ami du grand maître. Ce fauteuil était là pour rappeler à chacun de ses guerriers pourquoi il était à cette place.
Il était très fier de la réalisation de ce siège. Il s’installa dessus et balaya du regard l’ensemble du campement. Ses guerriers vaquaient à leur occupation. Plusieurs étaient en charges de surveiller le camp et mettaient du cœur à l’ouvrage. Gatrac-goharic sourit, il était conscient que son retour avait redonné un peu plus de droiture à l’ensemble du camp. Chacun faisait un peu plus d’effort que naturellement afin de ne pas s’attirer les foudres de leur chef de clan.
Gatrac-goharic interpella son guerrier arklins le plus proche de lui. Ce dernier se dressa instantanément prêt à écouter attentivement les ordres de son chef. Gatrac-goharic le laissa raide comme un piquet en lui ordonnant de lui ramenait son intendant dans les plus brefs délais devant lui. L’arklins acquiesça d’un mouvement de tête et il s’élança en courant dans le campement.
Son intendant l’avait remplacé sur la gestion du campement pendant son absence. Il avait tenu le rôle de chef, s’il voulait avoir des nouvelles, c’était à lui qu’il devait s’adresser en premier. Comme il s’y attendait, son intendant ne se fit pas attendre. Il le vit apparaître au détour d’une hutte s’approchant avec une foulée ample et énergique.
C’était un grand et puissant arklins noir, il mesurait prêt de deux mètres cinquante. Une musculature bien supérieure à la moyenne arklins noirs. Il portait juste un petit short coupé dans de la peau de sanglier maintenu par une grosse ceinture de fer noir. L’arklins noir s’avança jusque devant Gatrac-goharic. Il posa solennellement un genou au sol en baissant la tête. Le salut terminé, il redressa la tête, mais garda son genou au sol. Il croisa ses bras sur son torse bien droit et attendit que son chef lui permette de parler.
« Bonjour Galgruk, déclara Gatrac-goharic en se retenant d’afficher une mine joyeuse. Comment se sont déroulés les semaines où je fus éloigné de mes troupes. Cette fois, je reviens pour de bon. J’ai besoin de savoir si mes troupes sont prêtes pour une guerre. Nous allons assiéger la cité des neiges dès demain. Il me faut savoir si je peux compter sur mes guerriers pour ne pas se défiler au moment où j’ai le plus besoin d’eux.
— Quel plaisir pour chacun de nous de vous retrouver enfin mon grand seigneur, commença Galgruk. Nous sommes prêts pour en découdre avec la cité des neiges. Nous n’attendons qu’un ordre de votre part. Si vous souhaitez que l’on parte dans la prochaine seconde, nous le ferons.
— Cela peut attendre demain mon cher intendant, déclara Gatrac-goharic. Mais cela me rassure. Des nouvelles de la cité des neiges depuis quelques semaines.
— J’ai envoyé régulièrement des éclaireurs pour épier la cité, commenta Galgruk. Je savais que vous l’auriez fait si vous aviez été présent.
— Certainement, soutient Gatrac-goharic en restant stoïque.
— Nous avons observé la cité et je peux dire fièrement que nous en avons découvert plusieurs failles, déclara avec un grand sourire Galgruk. Nous ne sommes pas forcés de faire le siège de la cité. Nous pourrions facilement nous immiscer à l’intérieur pendant une nuit. Je suis certain que la bataille sera extrêmement facile et sans grand aucune difficulté pour notre armée. Vous n’avez qu’à me demander, je vous conseillerais sur toutes les manœuvres à opérer pour faire tomber cette cité en une seule nuit ! Ce sera dommage de s’en priver ! »
Gatrac-goharic se retint de grimacer. C’est bien ça qu’il redoutait. Ses guerriers arklins seraient difficiles à retenir à l’extérieur de la cité. Ce n’était pas des troupes faites pour un siège. Une après-midi de siège tout au plus, même en désavantage, ils ne savaient que rentrer tête baissée dans leur adversaire. Gatrac-goharic était encore le chef, les différentes failles repérées par son intendant n’en étaient peut-être pas des aussi flagrantes. Il allait devoir timoré son intendant pour que sa folie guerrière ne se répande pas sur le reste de son armée pour le moment.
« Pas de précipitation Galgruk, gronda Gatrac-goharic. Je sais ton empressement à livrer une bataille. Nous devons nous méfier, les humains peuvent être rusés. La cité des neiges possède de nombreux oiseaux géants qui peuvent nous être défavorables dans un conflit sur un terrain dégagé. Je vais étudier ce que tu as pu détecter. Je ne lancerais pas mon armée dans un piège.
— Je ne souhaite que vous conseiller oh mon maître ! clama Galgruk avec douceur. Je ne suis que votre intendant, je ne suis pas là pour prendre les décisions à votre place.
— Les choses sont claires entre nous, conclut Gatrac-goharic. Nous allons devoir pousser les humains dans leur dernier retranchement. C’est à cette occasion-là qu’il faut se méfier d’eux. Lorsqu’ils sont acculés, ils deviennent imprévisibles. Les agissements des humains sont toujours étranges, mais lorsque la mort ouvre ses bras devant eux, ils le sont d’autant plus.
— Vous avez bien raison mon seigneur, commenta Galgruk. Je n’avais pas pris ce point en compte dans mes plans.
— Je ne suis pas chef pour rien, gronda Gatrac-goharic.
— Je n’ai pas dit le contraire, s’excusa Galgruk en inclinant la tête vers le sol.
— Encore heureux, soupira Gatrac-goharic. Ne nous énervons pas entre nous Galgruk. Notre cible commune c’est la cité des neiges et les étranges humains qui y vivent. Je ne chercherais pas à les comprendre. Je suis ici pour un siège. Je vais te demander de me conseiller aujourd’hui comme je te l’avais demandé avant de repartir pour Haches. Tu as la maîtrise du terrain, alors que moi je ne connais que peu de chose. Si j’avais plus de temps devant moi, j’irais faire moi-même quelques reconnaissances en m’appuyant sur tes premières constatations. Mais je n’ai pas le temps.
— Vous êtes le chef, commenta Galgruk. Si vous voulez avoir le temps, vous l’avez.
— J’aimerais pouvoir le prendre soit en certain Galgruk, déclara Gatrac-goharic en tapant du poing sur l’accoudoir de son siège. Je ne l’ai pourtant pas. La cité des neiges doit tomber dans les plus brefs délais, c’est une obligation. C’est donc toi Galgruk, guerrier arklins noir de grande valeur qui va devoir guider nos troupes sur la bonne voie. Je donnerais les ordres, mais c’est toi qui m’auras aiguillé pour les donner.
— Vous me faites trop d’honneur grand chef Gatrac-goharic, dit Galgruk en réponse. Je n’en mérite pourtant pas autant, je ne fais que mon devoir d’intendant.
— Ne dis pas de bêtise, répliqua Gatrac-goharic. Je sais déjà que tu fomentais quelques idées pour outre passer mes ordres. Ton initiative aurait pu te coûter très cher.
— Pardonnez-moi mon grand seigneur, dit Galgruk avec une petite voix étranglée. Vos guerriers étaient impatients, je ne pouvais pas les retenir éternellement dans ce campement à faire de la surveillance et de la gestion de camp. Encore un mois sans vous et j’aurais été forcé de lancer l’assaut contre la cité des neiges afin de ne pas perdre vos troupes.
— Et tu aurais très mal agi, lâcha sèchement Gatrac-goharic en tendant un doigt accusateur vers Galgruk. Mes ordres étaient pourtant limpides dans ton esprit. Tu as de la chance que je sois revenu à temps. Sinon, ta tête se serait retrouvée suspendue au bout d’une pique. L’entrée du campement en aurait été améliorée.
— Je ne voulais pas agir contre votre volonté mon seigneur, piailla Galgruk d’une voix suppliante.
— Je ne veux plus t’entendre te plaindre, grogna Gatrac-goharic. Si tu veux racheter tes fautes, tu devras le montrer sur le champ de bataille. Je vais attendre de toi de l’exemplarité. Interdiction que je te surprenne à l’arrière de la mêlée. Tu seras en première ligne et tu vas défendre chèrement ta peau. Sinon, je te tuerais de mes propres mains.
— Je m’excuse platement mon seigneur, implora Galgruk. Je devais assurer votre intendance. Vos guerriers commençaient à craindre que vous n’ayez été tué par l’un des élèves du grand maître. Ils sont beaucoup trop étranges pour que nous leur fassions confiance.
— Je ne doute pas que tu pensasses bien agir, argumenta Gatrac-goharic. Mais quelles que soient les raisons que tu pourrais évoquer. Les ordres sont les ordres, ne pas les respecter, c’est prendre le risque de subir mon courroux !
— Vous êtes le plus courageux d’entre nous mon seigneur, s’excusa Galgruk. Je n’aurais pas pu comme vous l’avez fait supporter l’odeur des humains, des nains et des elfes. » Galgruk prit une mine de dégoût plus prononcé en prononçant ce dernier mot.
« Vous avez bien du courage, continua Galgruk. Vous êtes le plus grand. Vous êtes le plus vénérable chef de tous ceux que j’ai eu l’occasion de servir au cours de ma vie. »
Gatrac-goharic était fâché après son intendant. Il l’avait convoqué uniquement pour prendre des nouvelles. Mais il se rendait compte que tout n’avait pas été géré comme il l’aurait souhaité durant son absence. Le grand maître avait besoin que la cité des neiges soit occupée par un siège pour qu’elle n’envoie pas ses oiseaux géants à la rescousse d’Englub au moment où l’empereur tomberait. Pouvait-il véritablement compter sur son armée pour accomplir cette tâche ?
Son intendant leur avait mis en tête qu’il allait piller la cité des neiges. Ce qui ne serait pas le cas. La cité était bien trop défendue pour qu’un assaut frontal soit envisageable. Il devait simuler un siège pour bloquer la cité des neiges, mais aussi pour la protéger d’un autre envahisseur ! Ses guerriers ne pourraient jamais comprendre ça.
Il ruminait. Ce qui l’énervait le plus dans cette histoire, c’est que les deux seules personnes en mesure de comprendre sa position étaient ses compagnons de route. Le chaman et la guerrière arklins ! Il serra son poing contre l’accoudoir de son siège. La situation n’était pas encore perdue, mais il avait du travail devant lui. Une seule nuit se serait court pour s’assurer du soutient total de son armée dans son plan.
Soudainement une idée perfide lui traversa l’esprit. Il ricana intérieurement en laissant un large sourire apparaître sur son visage. Enfin, un éclaircissement de la situation !
« Je vais te confier une tâche complémentaire Galgruk, dit fermement Gatrac-goharic. Je suis arrivé ici avec un chaman et une arklins. Le chaman m’accompagnera lors de la bataille. Sa magie pourrait se révéler bénéfique pour nous tous. Proche de moi, je pourrais directement lui donner les bons ordres. Mais la femelle ne m’apportera rien de bon dans ma gestion du conflit. Je te charge de la surveiller ! »
Une petite étincelle de malice brilla dans les yeux de Gatrac-goharic. « Tu dois la protéger, mais également veiller à qu’elle ne fasse d’impaire dans mes ordres. Si elle commet la moindre erreur qui serait susceptible de nuire à notre siège, je t’en tiendrais personnellement responsable ! Elle ira combattre à tes côtés s’il doit y avoir un assaut. Mais en aucun cas, je ne veux la voir passer un pied entre les murailles de la cité. Elle doit rester à l’extérieur. Attache là au besoin pour lui faire respecter cet ordre !
— Me voilà assigné à une tâche bien cruelle, soupira Galgruk. Je préférerais mourir au combat, que de devoir surveiller cette arklins ! Mais je suppose que je mérite cette sanction pour vous avoir déçu dans ma tâche d’intendant. Je sais que ce n’est pas un cadeau que vous me faites mon seigneur en me confiant cette greluche. Alors, je ne sais pas comment accepter votre offre.
— Je ne t’ai pas demandé ton acceptation Galgruk, rugit Gatrac-goharic avec fermeté. C’est un ordre. Il n’y a pas de négociation à envisager. Si tu refuses, je te tus sur le champ. Je n’ai que faire d’un guerrier qui ne sait pas respecter les ordres de son supérieur.
— Je ne faillerai pas devant mon devoir, répliqua Galgruk en tremblant légèrement.
— Je le souhaite pour nous tous ! Grogna Gatrac-goharic. Je sais que tu es un fidèle intendant et je vais encore avoir besoin de toi. Considère que la protection de cette arklins sera vitale dans notre réussite. Si elle vient à mourir, nous allons nous attirer les foudres du grand maître. Sa fureur pourrait tous nous balayer. Ce n’est pas une punition que je t’impose, mais une partie de la destinée de mes guerriers. Ne me déçois pas.
— J’agirais au mieux, ajouta Galgruk.
— Tu as toujours ton rôle d’intendant à tenir, ajouta Gatrac-goharic avec colère. Si je viens à mourir sur le champ de bataille ou même si je dois m’absenter pour tenter un assaut contre la cité, tu devras continuer à ma place. Tu connais bien mieux que moi le moral de mes troupes en ce moment, tu devras trouver les bons mots pour que chacun tienne son rôle jusqu’à la capture de cette cité. Je sais que tu es capable de haranguer les troupes mieux que personne. Tu sais parler directement à leur cœur pour les faire bondir et rugir. Tu sais attiser leur soif de destruction pour qu’elle devienne une rage permanente. Un jour, toi aussi tu auras ta place comme chef de guerre.
- Merci mon seigneur, dit Galgruk avec respect. Je commence à comprendre votre point de vue. Je peux vous certifier qu’aussi longtemps que je serais vivant nul arklins de ce campement ne vous abandonnera. Ils se battront jusqu’à leur dernière limite. La mort sera derrière eux, mais ils l’ignoreront continuant à terrasser leur adversaire jusqu’à que la grande faux ne les emporte pour de bon. Nous allons tuer tous ses humains puants qui vivent entre les murs de la cité des neiges. Cette cité sera à nous. Nous vaincrons en votre nom seigneur Gatrac-goharic.
— Je n’en doute pas, répondit Gatrac-goharic en grattant son crâne chauve. Tu as reçu tes ordres, tu peux désormais te retirer. Je dois encore rencontrer quelques personnes pour que les préparatifs soient complets pour demain. Il me faut également prendre quelques heures de repos pour être moi aussi en grande forme. Demain, c’est un grand jour pour nous tous. La victoire sera à nous. »
Gatrac-goharic se redressa de son siège et il invita d’un mouvement de la main Galgruk à se redresser. Son intendant fut prompt à se redresser. Son visage ne fut marqué par aucune douleur, pourtant Gatrac-goharic était certain que d’avoir laissé ses jambes pliées pendant plusieurs minutes avait dû le tirailler. Son intendant ne souhaitait laisser paraître aucune faiblesse. Voilà qui n’était pas pour lui déplaire.
Galgruk mena Gatrac-goharic jusqu’à une hutte construite pour sa personne. Gatrac-goharic le remercia et le congédia. Il entra dans son antre.
La hutte avait une odeur de feuille fraîche. Le toit de sa hutte avait été refait récemment à moins que la demeure en elle-même ne soit récente. Ce doux parfum de nature fut agréable au nez de l’arklins noir. Ses guerriers avaient réalisé un excellent travail. Gatrac-goharic savait qu’ils avaient mis plus d’entrain dans la réalisation de sa demeure que la leur.
Gatrac-goharic fit venir plusieurs de ses guerriers les uns après les autres. Il avait une série d’ordre à donner à tous ses lieutenants. Le siège de demain prenait de plus en plus forme. Gatrac-goharic passa un peu plus d’une heure à donner toutes ses consignes avant de prendre enfin le temps de se reposer.
Gatrac-goharic se roula sur un matelas de feuilles séchées disposé au fond de sa hutte. Il s’endormit rapidement avec des petits grognements de satisfaction et l’impatience d’être déjà demain. Tout se déroulait selon les plans qu’il avait imaginés. Bientôt, très bientôt, il obtiendrait sa vengeance.
Les deux autres invités du campement eurent beaucoup moins de privilèges que Gatrac-goharic. Angueudrac fut conduite jusqu’à une veille hutte qui tenait debout par chance. C’était certainement la première construction du campement. La moindre bourrasque la ferait basculer au sol sans aucune difficulté. Elle n’eut d’autre choix que de l’accepter. Elle n’avait pas la possibilité de revendiquer quoi que ce soit. Elle enrageait intérieurement, elle faisait de gros efforts pour se contenir.
Le chaman fut logé à la même enseigne. Une hutte branlante lui fut également accordée. Mais sa réaction eut le mérite d’impressionner les guerriers de Gatrac-goharic. Le chaman lança une incantation sur la hutte. Une bourrasque entoura la demeure. Les guerriers de Gatrac-goharic commencèrent à gronder pensant que le chaman allait forcer la hutte à s’écrouler. Mais ce fut tout le contraire, le chaman avait lancé une incantation pour renforcer la solidité des murs. Le charme ne serait pas de très longue durée, mais il pourrait au moins passer une nuit tranquille sur ses deux oreilles.
Le chaman expliqua son geste en assénant un coup de pied dans un mur de la hutte. Les guerriers de Gatrac-goharic regardèrent la hutte avec surprise, la structure de la hutte ne bougea pas d’un pouce malgré le coup porté. Le chaman venait d’acquérir la reconnaissance des arklins. Ils savaient désormais qu’un chaman doté de pouvoir allait les accompagner dans le combat contre la cité des neiges.
Le repos de Gatrac-goharic fut réparateur. Ses guerriers avaient veillé sur le campement et lorsque les premiers éclaircissements de la nuit commencèrent à apparaître, ils étaient tous prêts à suivre leur chef.
Gatrac-goharic était fin prêt lui aussi. Il ressentait l’atmosphère tendue autour de lui. Lorsqu’il sortit de sa hutte, des centaines de paires d’yeux étaient fixées sur lui. Ils s’étaient rassemblés sans même attendre son commandement de le faire. Il pouvait lire sur chaque visage l’impatience de ses guerriers. Il leva les bras en l’air tirant sa hache de combat pour la porter le plus haut possible au-dessus de lui. Il poussa un cri rageur qui fut repris en cœur par tous ses guerriers.
Son discours fut bref et précis. Il expliqua son choix du siège de la cité et que chacun devait se conformer à ses ordres. À moins que la situation ne l’exige, aucun assaut ne devait être lancé contre la cité avant qu’il ne le décrète lui-même.
Il n’était pas certain que la situation fut comprise par ses guerriers, mais c’était sans importance. Des sangliers de guerre chevauchés par des guerriers arklins noirs attendaient Gatrac-goharic à la sortie du camp. Les sangliers étaient un des mets favoris des arklins, mais aussi leur meilleur compagnon. L’équivalent des chevaux pour les humains. Sauf que les sangliers sont de natures plus agressives. Leur réaction était plus convenable à l’esprit arklins dans un combat.
Un sanglier de guerre avait été laissé à la disposition de Gatrac-goharic. Il ne se fit pas prier deux fois pour avoir cette place. D’un bon, il sauta sur le dos du sanglier. D’une main, il attrapa la sangle pour maintenir sous son emprise la fougue de l’animal. De l’autre, il pointa un poing serré dans les airs pour ordonner à sa troupe de se mettre en marche. Il s’élança suivi des autres chevaucheurs en direction de la ville.
Le reste de son armée suivit à pied les sangliers. La cité des neiges était à une heure à pied du campement. À dos de sanglier, ce fut plus rapide, même si les chevaucheurs ralentirent volontairement leur allure pour ne pas perdre toute l’armée qui suivait plus lentement. Gatrac-goharic se remémora les différents rapports qu’il avait emmagasinés la veille au sujet de la cité.
La Cité des Neiges possédait deux principales portes. L’une située au nord de la cité, l’autre à l’opposé vers le Sud. Toute la cité était protégée par une imposante muraille qui en faisait le tour complet. Tout comme la cité de Haches, mais la muraille était beaucoup plus haute ici ! La cité des neiges avait été construite dans la démesure des oiseaux géants qui en faisait sa renommée. Les murailles mesuraient une vingtaine de mètres de hauteur. Bien plus que nécessaire. Cependant, avoir des oiseaux géants à disposition capable de planer à des hauteurs plus importantes étaient un avantage certain.
Plusieurs de ses lieutenants lui avaient conseillé de lancer un assaut contre la face ouest de la cité. La muraille semblait moins bien entretenue sur cette face. Plusieurs jets de catapulte bien placée avec l’aide de la magie d’un chaman, alors une faille pouvait être percée.
Pourtant, il était étrange pour Gatrac-goharic de penser que cette faille, il ne devait pas s’en servir au contraire, il devait la protéger. Son faux siège devait assurer la protection de la cité des neiges. Tous les défauts de la cité avaient été étudiés pour qu’il en assure la meilleure protection possible. Comment allait-il pouvoir cacher la vérité de son action à des guerriers et surtout combien de temps ? Il l’ignorait.
Il continua d’avancer dans la forêt. La nuit disparaissait progressivement, mais les lueurs de la cité des neiges étaient encore visibles au loin entre les arbres. Il était tout proche de son objectif, mais la situation ne fut pas celle qu’il s’attendait à vivre.
Gatrac-goharic pensait qu’il lui faudrait au moins une bonne heure avant d’avoir placé toutes ses troupes à l’orée de la forêt. Ce qui assurerait sa première ligne de siège. Entre la forêt et la muraille ouest de la cité, il n’y avait qu’une centaine de mètres à découvert. Ce qui lui laisserait le temps de vérifier l’état de la muraille. Il devait vérifier par lui-même si elle était aussi friable que ses lieutenants lui avaient signalé.
Mais sa surprise fut de taille ! La muraille Ouest était éventrée. Plusieurs catapultes en bois sombre étaient postées à l’orée de la forêt. Elles avaient tiré leur salve sur la muraille de la cité des neiges. Elle devait être aussi faible que ses lieutenants l’avaient prédit, car elle avait sombré. Ses points sensibles avaient été touchés par des rochers.
Une brèche importante avait été ainsi ouverte. Le siège que Gatrac-goharic avait prévu venait de s’envoler en fumée. Le grand maître avait eu raison, une autre armée venait profiter de la faiblesse de l’Empire pour s’attaquer à la cité des neiges. Sauf qu’il arrivait trop tard pour la protéger. Il n’était plus question de protéger, désormais c’était la guerre !
Gatrac-goharic força l’allure de son sanglier. Plus question d’attendre ses guerriers à pied. La situation ne lui permettait plus d’attendre. Il devait rapidement découvrir quelle armée s’attaquait ainsi à la cité des neiges. Il avait l’avantage de la surprise, les assaillants ne s’attendaient certainement pas à avoir une autre armée dans leur dos.
Gatrac-goharic fit signe à tous les chevaucheurs de sanglier de le suivre. Il tira sa hache de guerre. Ses guerriers comprirent tout de suite le signal de leur chef. Ils commencèrent à pousser des cris sauvages. Les sangliers impatients d’en découdre nasillèrent en harmonie avec leurs chevaucheurs. Quelques trompettes résonnèrent dans le dos de Gatrac-goharic. Ses troupes à pied venaient de recevoir le signal de l’assaut. Ils presseraient le pas pour venir rejoindre leur chef de guerre.
Avec quelques cris, Gatrac-goharic ordonna que l’on s’occupe des catapultes en premier lieu. Débarrassé d’elle, il pourrait ensuite déferler sur les troupes à pied.
Gatrac-goharic sortit de la forêt. Enfin, il sut à qui il avait à faire. Une armée des ténèbres ! Similaire à celle qui avait tenté un assaut contre la cité de Haches quelques jours auparavant. Leur tactique était toujours la même, il avait envoyé leur bande de squelettes en premier. Leurs sorciers attendaient en arrière-plan. Un seul démon semblait être présent sur le champ de bataille, proche de la brèche, il combattait avec les squelettes les gardes de la cité.
Le conflit semblait tourner court pour ses derniers. Ils n’avaient pas l’avantage du nombre, il se ferait rapidement débordé par la masse de squelettes. Gatrac-goharic ordonna aux chevaucheurs les plus proches de lui de foncer sur les lanceurs de sorts des ténèbres. Absorbé par le conflit devant eux, il n’avait pas encore remarqué la présence des arklins noirs. À moins qu’ils ne soient plongés dans leur transe pour lancer leur sortilège. Gatrac-goharic avait eu l’occasion de protéger la magelsorf lors de la bataille de Haches. Il savait que les lanceurs de sorts pouvaient oublier le monde qui les entourés à partir du moment où ils se concentraient sur leur sort.
C’était une occasion unique et profitable. Si en quelques minutes, il pouvait réduire en cendre les catapultes et achever les lanceurs de sorts dans leur dos sans qu’ils s’aperçoivent de leur présence. Il resterait alors le démon dont il se chargerait personnellement. Le reste, cette armée d’os animée ne résisterait pas longtemps à la charge de ses arklins. Désormais… comment arrêter son armée, il ne pourrait pas les empêcher de continuer leur assaut jusque dans la cité. Les plans du grand maître n’allaient pas se dérouler tout à fait comme il le prévoyait. Gatrac-goharic allait devoir improviser, ce qui n’était pas totalement pour lui déplaire.
Sans perdre de temps, il dirigea son sanglier de combat droit sur l’un des sorciers des ténèbres. Son assaut fut bref, le sorcier ne le vit à aucun moment arriver dans son dos. Gatrac-goharic fracassa le crâne du sorcier en faisant tomber lourdement sa hache dessus. Les autres sorciers des ténèbres furent alertés par la disparition de l’un des leurs. Avant qu’ils n’aient pu réagir, les guerriers accompagnant Gatrac-goharic réservèrent un sort similaire aux autres sorciers.
Gatrac-goharic sauta de sa monture. Il ne restait plus qu’un seul sorcier encore debout après le premier passage. Il comptait achever ce sorcier de sa main. Bien que conscient de la présence des arklins noirs, le sorcier n’eut pas le temps de réagir. Il avait certainement engagé de nombreuses forces en direction de la cité des neiges, il n’eut pas l’occasion de focaliser de nouveau ses pensées sur les nouveaux arrivants. Gatrac-goharic lui accorda un large sourire avant d’un geste précis détacher sa tête du reste de son corps avec un coup de hache.
La menace des sorciers des ténèbres avait été réduite à néant très rapidement. Pendant ce temps, les autres chevaucheurs de sangliers avaient mis à terre les catapultes dirigées contre la cité. Les servants des catapultes réduits en poussières.
Gatrac-goharic ne se réjouit pas pour autant. Le mal était déjà fait, une brèche avait éventré la muraille de la cité des neiges et des hordes de squelettes y avaient déjà pénétré. Les gardes de la cité ne semblaient pas assez nombreux pour protéger leur cité. Ils étaient submergés par le nombre.
La situation allait devenir compliquée. Gatrac-goharic allait devoir entrer dans la ville pour mieux la protéger. Il n’avait plus le choix. Il hurla un nouvel ordre guerrier en montrant très haut sa hache au-dessus de lui. Les chevaucheurs de sangliers comprirent le signal et convergèrent en chargeant vers la brèche. Gatrac-goharic sauta sur son sanglier de combat, d’une main il en reprit la bride. Avec quelques mouvements de pieds, son sanglier suivit les autres.
Le conflit se propageait au sein de la cité, mais le démon qui devait diriger cette armée avait pris conscience de la présence des arklins noirs. Surtout, il avait dû comprendre que l’appui magique sur lequel il escomptait avait été rendu inopérant. Le démon renvoya de nombreux squelettes en direction des chevaucheurs. Peu habile, la manœuvre fut lente. Les squelettes se retournèrent trop tardivement.
Les chevaucheurs embrochèrent plusieurs lignes de squelettes faisant sauter les os désarticulés de leur ennemi décharné. Gatrac-goharic suivit le mouvement, mais il n’était pas intéressé par ses tas d’os sur deux pattes. Il voulait le démon pour lui. Il suivit le sillon tracé par ses guerriers devant lui. Et lorsque ces derniers commencèrent à ralentir pour s’occuper des squelettes autour d’eux. Il donna quelques coups de pieds supplémentaires dans les flans de son sanglier pour qu’il force encore l’allure.
Le sanglier avança droit devant lui. Gatrac-goharic le dirigea vers la brèche dans la muraille, il voulait entrer à son tour. Il pourrait alors regarder la situation à l’intérieur de la cité des neiges. Son sanglier entra dans la ville sans encombre. Les squelettes s’occupaient des autres sangliers de combat, ils laissèrent passer le chef de guerre sans lui opposer de résistance.
La situation derrière la muraille était similaire à l’extérieure de la cité. L’armée des ténèbres avait commencé à envahir les premières ruelles de la cité. Plusieurs groupes de gardes avaient barricadé les rues à proximité de la brèche pour s’opposer vaillamment à l’armée de squelette. Alors que Gatrac-goharic commençait à évaluer la situation et identifier la position du démon, il ressentit un danger au-dessus de lui. Il eut juste le temps de lever les yeux, avant de sauter de son sanglier pour rouler sur le côté.
Une pluie de flèches venait de s’abattre du ciel. Son sanglier de combat fut criblé de flèches. Il se laissa tomber sur ses pattes et roula sur le côté. Si Gatrac-goharic n’avait réagi rapidement, il aurait reçu plusieurs flèches dans le corps.
Gatrac-goharic regarda vers le haut de la muraille. Il y vit une dizaine d’archers perchaient sur le chemin de ronde. Les humains étaient en train de s’attaquer à son armée d’arklins. Ce n’était pas dans le marché que le grand maître avait conclu avec la cité des neiges. Gatrac-goharic ne leur pardonnerait pas cet affront.
Il était particulièrement mécontent de la tournure des événements. Le conflit n’était plus seulement contre l’armée des ténèbres. La cité des neiges était réellement opposée à leur venue. Pour Gatrac-goharic, les ordres du grand maître n’avaient plus lieu d’être. Il était libre d’agir à sa convenance contre la cité des neiges.
Il se redressa d’un bon sur ses pieds et il chercha immédiatement le moyen de grimper en haut de la muraille. Le démon de l’armée des ténèbres ne l’intéressait plus.
À une trentaine de mètres de lui, il vit une petite échelle posée contre la muraille. Elle avait dû être placée dans l’urgence après la création de la brèche. Mais c’était le moyen le plus efficace pour aller se venger des archers.
Il se précipita vers l’échelle en courant. Quelques squelettes se trouvaient sur son passage, il leur planta sa hache dans le crâne. La poussière d’os volait autour de l’arklins noir pendant qu’il continuait de courir vers l’échelle. Il bondit sur l’échelle pour agripper un barreau à mi-hauteur.
Sans perdre un instant, il grimpa toute l’échelle avec une souplesse prodigieuse. Il rugit en arrivant sur le chemin de ronde. Quatre archers proches de lui étaient penché vers l’extérieure de la cité pour tirer des flèches sur ses guerriers. C’était facile pour les humains de déclarer qu’ils visaient les squelettes dans la confusion, ils pouvaient tuer des arklins en toute impunité.
Gatrac-goharic ne se laisserait pas tromper par la perfidie des humains. D’un balancement de bras, il trancha la tête des deux archers qui étaient le plus proche de lui. Il poussa les deux autres d’un coup d’épaule par-dessus la muraille. Gatrac-goharic hurla de plus belle devant ce massacre en règle. Son hurlement fut ressenti par son armée d’arklins qui répondirent à son cri par des hurlements sauvages.
Il en fallait peu pour motiver une troupe d’arklins. Ressentir que leur chef se trouvait en plein cœur de la bataille et qu’il n’était pas un faible lâche d’humains caché derrière ses troupes. C’était le plus beau sentiment de fierté qui pouvait couler dans leur veine. Son armée pouvait constater qu’il avait déjà mis un pied dans la cité convoitée. Cela les motiverait à le suivre dans les plus brefs délais. La cité des neiges tomberait plus vite que prévu !
Les archers qui restaient sur la muraille furent alertés par les cris répétés de l’arklins noir. Ils furent particulièrement surpris de sa présence sur leur muraille. Toutefois, ils se reprirent rapidement. Ils se tournèrent tous vers l’arklins noir encochant une nouvelle flèche dans leur arc.
Gatrac-goharic eut un regard sombre en voyant en face de lui une demi-douzaine d’archers prêts à le transpercer. Encore une fois, il eut la lucidité nécessaire pour survivre. Il attrapa le corps sanglant de sa première victime décapitée et il l’amena juste devant lui comme un bouclier. Le sang gicla de l’archer décapité recouvrant une grande partie du bras de l’arklins noir. Gatrac-goharic fronça les sourcils en grognant, mais il retint son dégoût pour maintenir fermement le corps sans vie devant lui.
Les archers décochèrent leur salve de flèches. La protection improvisée de Gatrac-goharic fit son effet. Toutes les flèches vinrent se planter dans le corps inerte de l’archer. L’arklins noir n’attendit pas qu’une nouvelle salve soit déclenchée. Son astuce ne fonctionnerait qu’une seule fois. Il relâcha le corps de l’archer en le faisant basculer à l’extérieur de la cité.
Il s’élança en avant. Il plongea sa hache contre les archers sans se poser de question. Il embrocha le premier en lui enfonçant sa lame profondément dans le thorax. La lame de sa hache resta plantée dans le corps de l’archer, mais entraînée par son mouvement, il repoussa quatre autres archers contre le bord de la muraille. Deux d’entre eux basculèrent en arrière en hurlant de terreur.
Gatrac-goharic laissa le manche de sa hache dans le corps de l’archer. Il n’avait plus d’autres choix que de finir le combat à main nue. Il prendrait le temps de déloger sa hache une fois plus tranquille.
Gatrac-goharic commença à se redresser de toute sa stature en faisant craquer les jointures de sa main, lorsqu’il fut stoppé dans son élan. La cause n’était pas due à l’un des archers. Une vive douleur dans le dos le prit soudainement et le paralysa.
Ses membres se redirent. Ses doigts se crispèrent. Son esprit continuait de fonctionner, il faisait son possible pour ordonner à son corps de se remettre en mouvement. Mais une force supérieure venait de stopper le fonctionnement normal de son corps. Quoi qu’il tente, il n’était plus le maître de son propre corps. Il ne pouvait plus faire le moindre mouvement.
Les derniers archers qui lui faisaient face implosèrent ! Leur peau et chair recouvrirent la muraille. À leur place se tenait leur os parfaitement blanc. Les os prirent soudainement vie et commencèrent à se déplacer. Toutefois, ils ne semblaient pas intéressés par l’arklins noir.
Gatrac-goharic fit des efforts impressionnant pour forcer son cou à tourner légèrement. Il se doutait qu’une autre créature avait dû intervenir derrière lui. Il se doutait que c’était le démon qu’il avait aperçu en arrivant proche de la cité des neiges. Il avait eu la mauvaise idée de lui tourner le dos quelques minutes. Le démon avait pris un avantage définitif sur lui. Pourtant, il ne voulait pas tourner le dos à la mort.
Ses efforts furent laborieux, mais en parvenant à bouger les muscles de sa tête et de son cou, il se rassurait. Il avait la capacité de reprendre le contrôle de son corps. Son visage se plissa affreusement devant tous les efforts qu’il entreprenait. Mais il parvint à faire un quart de tour à sa tête et enfin découvrir la créature qui l’avait envoûté.
Une forme noire flottait juste au-dessus de la haute tour de garde qui formait la jointure entre la muraille ouest et nord de la Cité des Neiges. La forme portait une longue robe rouge parsemée d’inscription ténébreuse inscrite avec du fil d’or. Une couronne noire avec des reflets brillants sur la tête attira le regard de la l’arklins noir. Mais son regard fut immédiatement attiré par les yeux rouges luisants qui le fixaient. Des yeux qui transmettaient la terreur et la colère. Gatrac-goharic ne broncha pas et répondit par un regard froid et glacial.
La créature tendit sa main en direction de l’arklins noir et lui tendit un index accusateur. La voix de la créature résonna dans l’esprit de Gatrac-goharic.
« Tu n’as rien à faire ici chef de clan ! Déclara l’ombre noire. Tu n’aurais jamais dû te retrouver sur mon chemin. Je n’ai pas de temps à perdre avec un arklins noir loin de ses terres. Dommage pour toi, je vais te réduire en cendre. Ton corps nourrira les flammes de l’enfer !
— Lichn ! S’étonna péniblement Gatrac-goharic en forçant sur tous les muscles de sa mâchoire. »
Gatrac-goharic n’en revenait pas. Il avait suivi le grand maître dans son rêve d’éradiquer les ténèbres de la planète Sulder. Le grand maître jouait avec des milliards de vies sans leur demander leur avis. Pourtant, personne ne pourrait jamais lui en vouloir. Il avait consacré toute sa vie dans cette optique. Jamais le grand maître n’abandonnerait Sulder aux ténèbres. Gatrac-goharic partageait complément la vision du grand maître.
Et là devant lui, la pire créature des ténèbres actuelle lui faisait face. Gatrac-goharic ne comprenait pas ce que le nécromant noir Lichn venait faire si loin dans les terres de l’Empire. Surtout si vite, l’empereur n’était pas encore mort. Gatrac-goharic ne comprenait pas. Pourtant, il ne voulait pas chercher à comprendre, l’occasion était trop belle. En dépit de la situation catastrophique, il avait en face de lui Lichn. Le nécromant noir pouvait être détruit ! S’il parvenait à se débarrasser de son envoûtement, il pourrait tuer cette vile créature des ténèbres.
Le grand maître ne lui pardonnerait peut-être pas sa gestion de la guerre de la cité des neiges. Mais ramener la tête du nécromant sur un plateau pardonnerait toutes les erreurs possibles. Gatrac-goharic sentit l’espoir renaître en lui.
Lichn intensifia encore un peu plus ses yeux rouges pour scruter l’arklins noir. « Je suis surpris qu’un minable chef de clan d’arklins connaisse mon nom, ajouta Lichn. Je devrais être flatté qu’une créature aussi insignifiante que toi connaisse mon nom. Je suis satisfait que mon nom fasse trembler les misérables. Je serais bientôt le chef des ténèbres sur cette planète. Le mal dans sa plus parfaite représentation sur ses terres. Je suis fâché contre toi chef de clan, ton intervention a ralenti ma capture de la cité des neiges. Qu’importe ta ridicule intervention, je ramènerais une armée des ténèbres plus puissantes dans quatre jours. Je déferlerais sur la cité des neiges. L’empereur va apprendre à connaître mon nom. Je vais faire trembler l’Empire dans ses fondements. Ne compte pas sur moi pour te laisser capturer cette cité à ma place pendant ce temps. Je veillerais personnellement à que toi et tes minables guerriers arklins restiez à votre place. Tu es certainement un bon chef de guerre. Audacieux et cultivé pour oser t’en prendre à la cité des neiges. Mes projets sont plus importants que les tiens, je suis désolé pour toi. Tu ne gagneras pas cette guerre. Tu n’es pas assez fort pour rivaliser avec ma puissance. Tu ne mérites même pas que je me donne la peine de tuer. Ce serait t’accorder plus d’importance que tu n’en auras jamais. Je vais te laisser aux mains de l’Empire et de la cité des neiges. Ils pourront faire ce que bon leur semble de ton corps et de ton âme. Si tu as de la chance, nous nous retrouverons dans quatre jours lorsque je reviendrais réduire en cendre cette cité. »
Lichn resta silencieux. Gatrac-goharic commença à sentir que l’emprise du nécromant noir s’effilochait progressivement. Ses doigts commencèrent de nouveau à bouger, puis ses jambes. Toutefois, le nécromant était en train de lancer une nouvelle incantation.
Gatrac-goharic comprit après coup que le nécromant noir usait de sa magie pour reconstruire la muraille comme elle l’avait été à son origine. Tout le travail de destruction que l’armée des ténèbres avait réalisé venait d’être balayé en un instant. Si son armée d’arklins devait prendre cette cité, tout le travail contre la muraille allait être à refaire.
Lichn ouvrit sa main en direction de l’arklins noir. Ce dernier retrouva toutes ses facultés instantanément. Sa joie fut de courte durée, une brusque bourrasque le projeta en arrière. Il ne put résister à la puissance des éléments déchaînés contre lui. Gatrac-goharic fut projeté hors de la muraille du côté de la ville.
Gatrac-goharic entendit l’éclat de rire du nécromant noir. Un rire sadique, moqueur et glacial. Puis, le nécromant noir disparut dans un nuage d’éclairs.
La chute fut vertigineuse. Gatrac-goharic chuta lourdement contre le sol, il entendit plusieurs de ses os craquer au moment du choc contre le sol. Gatrac-goharic grimaça de douleur. Il reprenait lentement son souffle en cherchant à comprendre ce qui venait de se produire. Tout en analysant son corps, il cherchait à savoir s’il allait pouvoir se relever rapidement. Son corps lui fit comprendre que ce n’était pas envisageable. Chacun de ses muscles le faisait grimacer lorsqu’il cherchait à les solliciter. Il n’était plus qu’une épave couchée sur le sol. Les humains ne tarderaient pas à le trouver et à l’achever.
Des pas rapides vinrent dans sa direction. Gatrac-goharic serra les dents pour tourner la tête dans la direction de la personne qui s’approchait de lui. En découvrant le personnage, l’espoir revint l’envahir. Tout n’était pas encore perdu pour lui. Il avait encore une chance d’être sur pied promptement et de défendre sa vie comme un guerrier devait le faire. C’était le chaman qui se présentait devant lui !
Gatrac-goharic observa son compagnon de route avec enthousiasme. Rebel-rebel était vêtu d’un pantalon vert foncé et d’une chemise de la même couleur. Un visage très proche d’une tête de cochon avec une couleur caractéristique verdâtre. Une lune blanche peinte sur le sommet du crâne. Une lune parfaitement pleine !
Plusieurs autres symboles étaient peints en bleues sur ses vêtements. Une écriture approximative qui ne donnait aucun crédit à ce lanceur de sort. Le chaman n’avait que faire de son apparence, ce n’était pas cela qui l’importait.
Gatrac-goharic constata que le chaman avait sur lui le plus important. Sa ceinture en peau de lézard où étaient accrochées plusieurs potions de couleur vive. Ainsi qu’une petite dague, Gatrac-goharic se demandait bien à quoi elle pouvait lui servir.
Le chaman s’avança d’un pas rapide pour lui jusqu’à Gatrac-goharic. Il planta devant lui un grand bâton vert aussi grand que lui dont le sommet était terminé par un crâne humain peinturé de couleur vive. C’était la baguette de magie du chaman. Elle avait plutôt une valeur de décoration, car elle n’apportait pas grand-chose à la magie du chaman. Mais les apparences faisaient partie du jeu des lanceurs de sorts. Surtout pour chez les arklins, le peuple était influençable à ce genre de fantaisie
« J’ai comme l’impression que le grand chef de guerre va finalement avoir besoin de ma présence, déclara le chaman. Est-ce que je me trompe, mon cher Gatrac-goharic ?
— Rebel-Rebel ! Tu arrives au bon moment mon ami, commenta Gatrac-goharic en grimaçant terriblement. Je ne te demanderais pas de rivaliser avec la magie du nécromant noir. Juste de me remettre sur pied, ça suffira amplement à mon bonheur.
— Je ne suis pas certain d’avoir les compétences pour me frotter à Lichn, prévient Rebel-rebel avec une légère ironie dans le ton. Vu ta position actuelle, je n’en demanderais pas trop. Il t’a mis hors d’état de nuire avec juste un tour de passe-passe. Pour ton rétablissement, ça, c’est plutôt mon domaine de compétence. Je vais te concocter une potion pour te remettre d’aplomb. Pour bien faire, il serait préférable que tu ne fasses pas d’effort inconsidéré pendant trois heures au moins. Mais si je dis ça, je sais parfaitement que mes paroles sont déjà en train de se sauver au vent. Tu n’écouteras pas mes recommandations.
— Dépêches-toi au lieu de jacasser, satané chaman, gronda Gatrac-goharic en serrant fortement les dents. Je n’ai que faire de tes jérémiades et de tes conseils. Nous sommes en guerre, je n’ai pas de temps à perdre en repos inutile.
— Comme tu veux grand chef, dit rebel-rebel en haussant les épaules. C’est ton problème et ton corps, pas le mien.
— La potion devrait déjà couler le long de ma gorge, continua de rugir Gatrac-goharic. Le temps m’est compté. Nous devons nous replier dans la forêt afin de lancer un nouvel assaut ultérieurement. La muraille a été redressée par ce nécromant de merde. Nous devons la faire retomber.
— Ne bouge surtout pas pendant que je prépare la concoction, déclara le chaman en commençant à sortir de sa ceinture plusieurs potions de couleurs différentes. C’est très important de ne pas me déranger.
— Tu te crois un petit comique en plus ! Soupira Gatrac-goharic. Comme si je pouvais bouger le petit doigt dans mon état. Si je le pouvais, tu aurais reçu une taloche derrière le crâne pour apprendre à être aussi long. Active-toi non de non. Grouille ! »
Le chaman resta concentré sur ses activités. Il avait posé au sol en flacon vide de contenu. Il versa à l’intérieur plusieurs liquides de couleurs différentes. Les mesures semblaient précises, même si le chaman en versait chaque contenu avec pour seul instrument de mesure son œil. En même temps, le chaman lança quelques incantations destinées à finaliser sa potion.
Un claquement sourd retentit. Une fumée verdâtre monta lentement de la mixture fraîchement préparée. Une onde verte parcourut le corps du chaman de la tête au pied avant d’être absorbée par la potion.
La préparation était prête. Il en versa tout le contenu dans la bouche ouverte de Gatrac-goharic. L’arklins noir se retint de faire des commentaires sur le goût infâme de la mixture. Ce n’était pas la première fois qu’il y avait recourt. Une fois déjà, au cours d’une autre mission du grand maître, le chaman lui avait donné cette concoction. Il n’avait rien à redire sur le résultat final. C’était une vraie potion magique qui allait restaurer son corps meurtri en quelques instants. Un mauvais goût était supportable comme seul effet négatif à cette potion.
Le fluide se répandit lentement dans le corps de l’arklins noir. Une intense chaleur fut diffusée dans toutes les zones sensibles et meurtries. Les effets furent immédiats. Gatrac-goharic ouvrit de grands yeux et d’une poussée sur ses bras, il se releva !
Il était encore un peu engourdi, mais sa soif de vengeance était immense. Il poussa le chaman sur le côté. C’est à peine s’il le remercia pour le geste qu’il venait de faire. Le chaman ne s’en offusqua pas, il s’attendait à la brusquerie de l’arklins noir. Il ne chercha pas à lui rappelait son avertissement de se ménager. Il savait que le chef de clan ne l’écouterait pas.
Gatrac-goharic ramassa une épée qui reposait sur le sol non loin de lui. Il avait laissé sa hache dans le corps d’un archer sur le chemin de ronde de la muraille. Il n’avait pas le temps de la récupérer, il devait improviser avec ce qui était possible. Le tumulte d’une bataille retentit à ses oreilles. Plusieurs cris étaient poussés dans un langage arklins. Gatrac-goharic se douta que plusieurs de ses guerriers l’avaient suivi dans la faille de la muraille juste après lui. Ils étaient désormais coincés tout comme lui dans la cité des neiges.
Il fit craquer les os de ses doigts et se précipita vers le lieu du combat. Ses arklins noirs, entrés dans la cité, se battaient contre des gardes de la cité. L’atmosphère picotait les narines, les nombreux squelettes réduits à l’état de poussière devaient en être la cause. Il ne restait qu’une poignée de ses arklins noirs, regroupés contre la muraille. Ils défendaient leur vie avec vaillance. Les gardes de la cité étaient bien plus nombreux. Les arklins noirs ne tiendraient pas longtemps. Même en intervenant personnellement, il ne ferait que retarder l’inévitable.
Pourtant, il ne pouvait que tenter l’impensable, il n’avait pas d’autres choix à sa disposition. Il fonça tête baissée vers le groupe de guerriers arklins noirs. Il embrocha un premier garde dans le dos. Il prit l’arme du garde de ses mains et décapita un autre garde avec cette nouvelle arme. Les gardes proches s’écartèrent de la furie de Gatrac-goharic. Ce dernier put ainsi passer à travers la ligne de gardes. Ses guerriers lui firent une place dans leur cercle défensif.
Gatrac-goharic hurla quelques ordres pour assurer la défense de leur position de manière plus efficace. Il expliqua aussi son idée pour se sortir de cette situation. Il n’avait qu’un seul plan. Peu d’espoir de réussite, mais c’était mieux que de rester sur place.
Il en avait conclu que le seul moyen de quitter la cité des neiges était d’en ressortir par l’une des grandes portes. D’après ce qu’il pouvait savoir de la cité, la grande porte sud de la cité des neiges était la possibilité la plus proche de leur position. Son plan était de forcer le passage au travers les gardes et de filer vers la porte sud. En espérant que les pertes soient minimes.
Une fois dehors, tout serait beaucoup plus simple, ils n’auraient qu’à rejoindre l’orée de la forêt. Puis ils remonteraient à travers la forêt vers le reste de l’armée, restée derrière la muraille.
C’était un bien mince espoir qu’il proposait à ses guerriers. À peine eut-il terminé son discours en langage arklins que les gardes tentèrent un assaut massif contre la position des arklins. Ils les repoussèrent avec vigueur, mais trois arklins noirs furent mortellement blessés au cours de l’affrontement. Les gardes reculèrent légèrement, plusieurs d’entre eux avaient aussi été touchés. C’était toutefois une maigre consolation pour le chef de clan. Il avait personnellement tué deux nouveaux gardes, mais il ne pourrait pas se battre avec cette énergie encore bien longtemps. La rage lui donnait des ailes, mais elle finirait par faiblir.
Ce fut le cas bien plus vite qu’il ne l’aurait cru. Alors qu’il allait lancer sa tentative de sauvetage. Son cri fut bloqué dans sa gorge. Une puissante force le souleva du sol et le projeta en arrière contre la muraille de pierre. Le rire froid et sadique du nécromant noir retentit juste au-dessus de l’arklins noir.
« Cesses donc de me provoquer chef de clan, ria le nécromant aux oreilles de Gatrac-goharic. Tu ne fais qu’attiser ma colère. Je t’ai promis de ne pas te tuer de ma main, mais si tu m’y forces, je n’hésiterais pas à le faire ! »
C’était Lichn qui une fois de plus s’interposait dans les projets de l’arklins noir. Il ne pouvait rien faire pour lutter contre le nécromant. Il n’était pas de taille à se confronter à sa magie en tout cas pas tant que celui-ci ne se présenterait pas face à lui. Il l’attaquait toujours en traite dans le dos, mais qu’attendre d’autre d’une créature des ténèbres ?
Gatrac-goharic se releva une fois encore. Il n’abandonnerait pas même devant la magie noire du nécromant. Pourtant, il aurait eu toutes les raisons de baisser les bras. Pendant que le nécromant faisait de lui sa marionnette, les gardes avaient lancé un nouvel assaut. Tous ses guerriers arklins noirs avaient été tués ! Il était désormais tout seul. Le chaman devait se cacher quelque part non loin, mais il ne compterait pas sur lui pour lui venir en aide.
Les gardes encerclèrent Gatrac-goharic. Il se redressa de toute sa stature, referma sa poigne sur l’épée qu’il avait volée à un garde. Il était prêt à défendre chèrement sa vie. S’il devait mourir aujourd’hui, il entraînerait dans la mort autant d’humains qu’il le pourrait. Les gardes restèrent immobiles en formation autour de l’arklins noir.
Gatrac-goharic assurait sa position avec courage. La fatigue commençait à se faire sentir. Le chaman avait raison, les effets de la potion commençaient à diminuer. Bientôt, il allait en subir le contre coup. Il n’avait pas été raisonnable, il allait le payer de sa vie. Il fit tournoyer la lame de l’épée devant lui pour prévenir les gardes qu’il défendrait sa vie.
« Vous devez être Gatrac-goharic, le chef de clan arklins noir, déclara un humain habillé d’un épais manteau d’un bleu très noble. Le grand maître nous avait prévenus de votre arrivée ! Votre rôle était de rester en dehors de ses murs. Vous avez bien agi en venant nous aider, mais votre bravoure risque de ne pas être récompensée. »
L’humain fit tourner sa fine moustache entre son pouce et son index en observant l’arklins noir. « Rendez les armes chef de clan, ajouta le noble de la cité des neiges. Je vous promets que vous ne mourrez pas. J’aurais du mal à vous protéger, mais je vais faire de mon mieux pour qu’il ne vous arrive rien de fâcheux.
— Qui êtes-vous ? Questionna Gatrac-goharic en laissant tomber la lame de son épée à contrecœur.
— Seigneur Plumalai de la cité des neiges, répondit l’humain. Vous avez autour de vous des hommes de main à ma solde. Personne dans la cité ne sera au courant que vous venez de la part du grand maître. Cela pourrait avoir de fâcheuse conséquence pour nous tous. Notre secret commun sera bien gardé. J’aimerais pouvoir vous libérer, mais je ne pourrais pas vous faire passer une porte de la cité sans que les autres seigneurs de la cité soient au courant. Je n’ai pas le choix de vous conduire au conseil de la cité des neiges. C’est là que nous délibérons de votre sort. Le grand maître a plusieurs alliés dans les murs de cette cité, votre mort ne sera pas décidé. Nous allons tout faire pour que vous obteniez un cachot. Nous parviendrons à vous en faire sortir ultérieurement lorsque la situation le permettra. Je comprendrais que vous ne me fassiez pas confiance chef de clan, je ne vous en voudrais pas. Pourtant, je vous en conjure, croyez-moi, je suis votre meilleure chance de vivre actuellement. »
Gatrac-goharic baissa les épaules de dépit. L’humain avait certainement raison. Le grand maître avait encore des alliés dans cette cité, s’il voulait avoir une chance de s’en sortir et d’accomplir la tâche que lui avait confié le grand maître, il devait se fier aveuglement à cet humain. C’était le prix à payer pour que sa destinée le conduise bien un jour jusqu’à Bemiz. Il soupira en fixant lourdement le seigneur de la cité des neiges.
Les gardes agrippèrent ses mains et les ligotèrent dans son dos. Puis sans ménagement, il fut forcé de suivre le groupe. L’humain continua de lui parler :
« Je vais vous mener jusqu’à la chambre du conseil des seigneurs, expliqua-t-il. C’est là que nous déciderons de votre sort. Certains voudront que votre tête soit décapitée sur la place publique et que votre corps soit jeté à l’appétit de nos oiseaux géants. J’agirais au nom du grand maître pour que votre sort soit plus favorable. Vu les temps troublés et le récent assaut des créatures des ténèbres, plusieurs seigneurs préféreront ajourner cette séance en vous plaçant dans un cachot. Je compte là-dessus. Il sera plus simple de vous faire évader une fois dans un cachot. »
Gatrac-goharic se contenta de quelques grognements. Il n’était plus maître de son destin. Il devait désormais faire confiance à des humains. Même si ceci était des amis du grand maître, il lui était particulièrement déplaisant de subir cette humiliation. Sans la présence du grand maître, il aurait vendu chèrement sa peau et il serait mort avec les honneurs. Galgruk son conseiller aurait lancé toutes ses troupes dans un assaut de la cité pour venger l’honneur de leur chef de guerre. Les jours suivants auraient été sanglants.
Une digne fin pour un chef de clan. Là, il redoutait que les humains annoncent sa capture à ses troupes. Galgruk ne lancerait pas d’assaut, attendant un moment propice pour négocier la vie de son chef. Si l’attente devait trop longue, d’ici quelques jours, il attaquerait la cité. Cela n’augurait rien de bon. Si tout se déroulait mal, ses guerriers arklins attaqueraient le même jour que le retour de Lichn. Une fois encore la cité des neiges subirait un assaut de deux forces distinctes qui s’affronterait également entre elles.
Gatrac-goharic faisait grise mine, mais il se raccrocha à cette idée. Il devait par tous les moyens possibles rejoindre ses guerriers avant que les troupes fraîches de Lichn ne reviennent. Jamais il ne pourrait faire comprendre aux humains la menace que représentait le nécromant noir. Galvanisés par leur petite victoire d’aujourd’hui, ils balaieraient ses conseils de prudence d’un revers de la main.
Lui n’avait pourtant pas de doute. Si Lichn lui avait annoncé son intention de conquérir la cité des neiges, il allait tout mettre en œuvre pour y parvenir.
Perdu dans ses réflexions, Gatrac-goharic fut conduit jusqu’à la maison du conseil. C’était une grande bâtisse tout en bois. Une maison à colombages, le bois brun ressortait de façon harmonieuse devant les pans de murs peints en blancs. La maison était construite sur quatre étages. À chaque étage un encorbellement d’une bonne cinquantaine de centimètres agrandissait la demeure.
Gatrac-goharic entra dans la demeure toujours accompagnée par un groupe de garde. Il fut conduit jusqu’à une petite pièce richement décorée. Plusieurs tableaux posés sur les murs blancs ajoutaient des touches de couleur vive. Plusieurs canapés en cuir rouge étaient posés contre chaque mur de la pièce. Au centre de la pièce, une simple petite table ronde de bois blanc où était posé un imposant bouquet de fleurs. Les gardes laissèrent Gatrac-goharic entrer dans la salle et refermèrent la porte derrière lui.
« Vous devrez attendre votre tour pour être présenté devant le conseil, précisa l’un des gardes. Ne faites pas de grabuge, sinon nous devrons sévir ! »
Gatrac-goharic grogna de mécontentement, mais il n’avait plus d’autres choix qu’obéir. « Vous êtes venus voir le conseil de la cité des neiges ? Questionna une voix douce sur la droite de Gatrac-goharic. »
Le guerrier arklins noir tourna la tête sur le côté surpris qu’une autre personne fût présente. Il ne l’avait pas remarqué au premier coup d’œil dans la pièce. Il s’agissait d’une femme aux longs cheveux teintés en bleu très pâle. Elle avait des yeux cristallins qui observaient l’arklins noir avec un sourire ravissant.
Gatrac-goharic la dévisagea quelques instants avant d’être attiré par un écusson brodé sur la veste en cuir qu’elle portait. La femme remarqua son intérêt pour ce dernier. « Je m’appelle Larinita, précisa la jeune femme. Je suis une élève de dame Inima.
— Dame Inima ! Répéta Gatrac-goharic. C’est bien ça ce que j’avais cru comprendre. »
Larinita se mit à rire avec une petite voix cristalline. « Pour un robuste guerrier, vous semblez bien perdu, ajouta la femme toujours en riant.
— Je m’excuse, commenta Gatrac-goharic en secouant sa tête. Je vais passer pour un arklins noir mal élevé. Je me nomme Gatrac-goharic, je suis un élève du grand maître !
— Du grand maître ! Commenta Larinita avec intérêt. Voilà une rencontre des plus improbables. Que faites-vous si loin de la cité de Haches ?
— Je pourrais vous retourner la question gente dame, indiqua Gatrac-goharic. Vous êtes bien loin du palais de dame Inima.
— Je suis en mission pour dame Inima, répondit Larinita.
— Moi, je suis aussi en mission, mais pour le compte du grand maître, clama Gatrac-goharic avec un petit regard de défit.
— Ce n’est pas en gardant cette froideur entre nous que nous parviendrons à répondre à nos questions, suggéra Larinita. De ce que je sache, nous sommes dans le même camp. Nous œuvrons pour que les forces des ténèbres quittent cette planète.
— C’est la vocation du grand maître, indiqua Gatrac-goharic.
— C’est aussi celui de dame Inima, commenta Larinita. Comme je ne parviendrais pas à vous faire flancher, je vais commencer. Cela vous prouvera peut-être que nous avons intérêt à communiquer. Je suis ici pour m’assurer que la cité des neiges ne tombe pas entre les mains des ténèbres.
— Le grand maître m’a envoyé ici exactement pour la même raison, lâcha Gatrac-goharic. J’ai une armée d’arklins sous mes ordres à l’extérieur de la cité pour m’aider à accomplir ma tâche. Qu’est-ce que vous avez de votre côté ?
— Juste moi, sifflota Larinita. J’ai été entraîné par dame Inima, je suis tout à fait capable de me débrouiller seule.
— Sans vouloir vous manquer de respect gente dame, vous êtes bien ignorante, commenta Gatrac-goharic. À moins que vous ne me déclariez pas toute la vérité, ce que je pourrais comprendre. Même si dame Inima vous a très bien formé, vous ne pourrez pas rivaliser avec le nécromant noir Lichn !
— C’était donc lui ! S’exclama Larinita. Je n’ai plus besoin de ce conseil de vieux débris, vous m’avez donné la réponse que je suis venu chercher. Lichn était donc derrière l’attaque d’aujourd’hui.
— Je peux vous le certifier, ajouta Gatrac-goharic. Il est venu personnellement me ralentir alors que je donnais l’assaut à la cité pour la protéger.
— Je suppose que je dois vous remercier, dit Larinita. Il me semblait aussi que le démon que j’ai tué semblait attendre une aide et il ne se défendait pas comme s’il pensait vraiment mourir. Dommage pour lui, son cher nécromant était occupé par un arklins noir.
— Vous avez tué le démon de l’armée des ténèbres ! S’étonna Gatrac-goharic.
— Je m’en suis occupé effectivement, répliqua Larinita. Vous souhaitiez peut-être vous en occuper vous-même.
— J’avais dans l’idée de le faire, indiqua Gatrac-goharic en plissant les yeux. Toutefois, je n’ai rien à redire sur votre action. L’important c’est que cette créature des ténèbres fut vaincue, peu importe la manière.
— Nous partageons le même point de vue, souligna Larinita. Je vous laisserais le prochain, si vous le souhaitez.
— Vous restez dans la cité des neiges ? Questionna Gatrac-goharic.
— C’est ma mission, ajouta Larinita. Je suis bloqué ici pour plusieurs semaines. Dame Inima reviendra me chercher lorsqu’elle estimera que je me suis acquitté de ma tâche correctement. Ça peut être long !
— Je constate que nous partageons un entraînement similaire, commenta Gatrac-goharic en riant. Le grand maître est tout aussi rigoureux avec nous. C’est plaisant de pouvoir partager avec une autre personne qui vit la même chose. Vous aurez du travail dans quelques jours, si le nécromant noir ne m’a pas menti et il n’aurait eu aucune raison de le faire. Il devrait relancer un assaut contre la cité des neiges d’ici quatre jours.
— Je vais me faire un plaisir de le recevoir, commenta Larinita avec un large sourire.
— Méfiez-vous gente dame, déclara Gatrac-goharic. Ce nécromant noir n’est pas une créature que l’on peut vaincre facilement. Si je sors de mon guêpier dans les trois prochains jours, je me ferais un plaisir de vous épauler dans cette tâche.
— J’accepte votre aide avec plaisir, indiqua Larinita. Bien que je doute que Lichn ait l’audace de m’affronter. Pas que je sois en mesure de le vaincre, mais dame Inima ne restera pas les bras croisés si je devais me retrouver devant un péril aussi grand !
— Voilà une excellente nouvelle, grogna Gatrac-goharic en levant les yeux au-dessus de lui. Si dame Inima se déplace en personne pour réduire à néant ce nécromant noir, cela va rendre la vie sur Sulder légèrement plus facile pour quelque temps.
— Ce n’est pas encore fait, dit Larinita avec sérieux. Je suis ici depuis plusieurs jours et j’ai entendu parler plus souvent du nécromant que toute autre créature des ténèbres. Il est le lanceur de sort le plus actif des ténèbres, mais je doute qu’il soit le seul. Il se fait juste un peu plus remarquer que les autres. Sa destruction ne serait qu’une courte victoire. Très vite, un acolyte ou un de ses élèves prendra le relais. Nous n’en finirons jamais totalement avec cette saleté de ténèbres.
— Nous devons le croire malgré tout, soupira Gatrac-goharic. »
Ils ne purent continuer plus longtemps leur discussion. La porte de la pièce venait de s’ouvrir de nouveau. Un garde venait de réclamer la présence de dame Larinita de la guilda. Elle se releva, elle était aussi grande que l’arklins noir. Elle le salua d’un mouvement de tête avec un léger sourire sur les lèvres. Elle ajouta doucement : « Je compte sur vous dans quatre jours. Travaillons ensemble. Le grand maître et dame Inima ont tout intérêt à que leurs élèves s’entraident. Je ne sais pas comme vous ferais, mais je compte sur votre présence pour combattre à mes côtés le nécromant noir. C’est avec plaisir que je vous montrerais comment une femme peut manier un glaive avec efficacité !
— Je ne doute pas que vous me surpreniez dame Larinita, souffla doucement Gatrac-goharic. Je serais à vos côtés, une hache entre les mains pour vous montrer ce qu’un chef de clan est en mesure de réaliser.
— Nous verrons alors qui a reçu le meilleur entraînement, conclut Larinita en lui tournant le dos pour se diriger vers la porte. »
Gatrac-goharic se retrouva seul dans la pièce. Il repensa de longues minutes à cette rencontre surréaliste. Une élève de dame Inima. Le grand maître n’était pas le seul à avoir formé un groupe au cours des dernières années. Il était possible que d’autres anciens maîtres aient aussi réalisé la même chose. Plusieurs groupes d’élèves prêts à être envoyés sur les routes de Sulder pour rétablir l’ordre comme dans l’ancien temps. Une belle perspective.
Toutefois, ce n’était pas cela qui occupait l’esprit de Gatrac-goharic. Larinita l’avait provoqué sans le savoir. Elle avait émis l’idée de comparer l’entraînement qu’il avait reçu. Gatrac-goharic n’avait jamais pensé que l’on pourrait remettre en question l’entraînement du grand maître. Sa réputation n’était plus à faire, pourtant il prenait cette intervention à cœur. Il avait le devoir de prouver que le grand maître avait fait de l’excellent travail avec lui. Ce serait la moindre des choses pour le remercier que de prouver son apprentissage.
Il était méfiant, car si elle n’avait pas menti et il ne lui voyait aucune raison de le faire, elle avait tué un démon. Elle était donc une guerrière très habile. Dame Inima aussi avait dû parfaitement entraîner ses élèves au danger qui parcourait le sol de Sulder. Gatrac-goharic aurait la plus grande difficulté à rivaliser avec elle et pourtant il était impatient de prouver sa valeur. Trois jours seulement pour sortir d’un cachot et être présent pour le quatrième jour.
Pourtant, il y avait un problème dans son plan, c’est que pour le moment, il ne savait pas comment il allait faire pour être présent. Il ne pouvait pas faire confiance à l’humain qui l’avait amené jusqu’ici. Tel qu’il connaissait les humains, il l’aiderait aujourd’hui pour le maintenir dans un cachot. Puis il oublierait aussi vite sa présence. Jusqu’à que le grand maître vienne prendre de ses nouvelles, là étrangement, il obtiendrait sa libération en quelques heures. Donc il ne sortirait pas avec l’aide des humains en seulement trois jours.
Il devrait trouver seul un moyen de sortir de son cachot dans les trois prochains jours. Pour le moment, il n’avait qu’une seule idée en tête, tuer le garde qui lui apporterait son repas. C’était bien maigre, mais il ne voyait pour le moment pas d’autres possibilités. Il se forçait à ne pas trop y penser, il devrait surtout attendre de voir ce que l’avenir lui réservait. Le pire scénario pouvait se produire, l’humain pouvait le trahir au dernier moment et l’envoyer directement à la mort. Une corde passée au tour du cou et pendu contre la muraille. Ce serait la pire humiliation devant son armée de guerrier.
Il fut emmené dans une petite salle remplie de bibliothèque. Un homme vêtu d’un veston bleu l’attendait les bras dans le dos. Gatrac-goharic découvrit que son procès avait déjà eu lieu. Il n’avait pas eu son mot à dire. Sa défense avait été réduite au strict minimum. L’homme qui lui faisait face était simplement le greffier venu lui signifier le résultat du jugement.
Il n’avait rien à dire sur celui-ci. Il ne pouvait qu’écouter et subir les effets. Gatrac-goharic bouillonnait intérieurement. Il s’était attendu à un jugement plus juste de la part d’une cité de l’Empire. Le grand maître aurait connaissance de cette affaire, il se le promit. Cette histoire ne resterait pas dans l’oubli. Perdu dans ses pensées, il n’écouta que d’une oreille peu attentive les élucubrations de l’humain qui lui faisait face.
Un noble. Rachitique. Imberbe. Il aurait suffi à Gatrac-goharic de l’attraper d’une seule main au niveau de la gorge pour lui rompre la colonne vertébrale. C’était qu’un sale humain tout faible se cachant derrière des livres de loi. Sa loi à lui ne trouvait pas sa source dans les écrits. Gatrac-goharic se força à ranger sa rancœur, il aurait d’autres occasions de se venger de ses sales humains.
« …Pour toutes les destructions que vous avez causées à travers la cité. Ainsi que pour les multiples pertes humaines irremplaçables dont vous êtes le seul responsable. Vous êtes condamné par le grand conseil de la cité des neiges et ses représentants à passer le restant de vos jours dans les cachots de la cité ! Aucune remise de peine ne pourra jouer en votre faveur, vos actes sont trop odieux pour être pardonné même avec le temps. »
« Sauf si la cité des neiges venait à changer de mains, pensa Gatrac-goharic intérieurement. » Il se contenta de sourire légèrement.
« La sentence s’applique à l’instant. Amenez ce sauvage dans les cahots de la cité. Que nul ne le revoit sortir sauf mort ! »
Gatrac-goharic se retint de toutes ses forces pour ne pas asséner un coup de tête au greffier. Ce n’était pas l’envie qui manquait, mais cela n’améliorerait pas sa situation. Il n’aurait jamais dû écouter cet humain soi-disant là pour l’aider au nom du grand maître. Il était désormais enfermé dans les cachots de la cité des neiges. Pourtant au fond de lui, son avenir se jouerait dans quelques jours. Il trouverait le moyen de sortir de sa prison humaine. Il irait rejoindre Larinita pour combattre à ses côtés le nécromant Lichn !
Le greffier lui tourna le dos pour replonger dans quelques manuscrits posés sur une table derrière lui. Les gardes de la cité agrippèrent les épaules de Gatrac-goharic et le forcèrent à faire demi-tour. Gatrac-goharic se laissa entraîner sans rien tenter.
Il parcourut plusieurs couloirs richement décorés. Puis après avoir descendu quelques escaliers, les couloirs se firent arides de décoration. Le froid y était présent. Les murs devinrent de plus en plus rugueux. Gatrac-goharic comprenait qu’il s’approchait à chaque un peu plus des cachots de la cité.
Les gardes lui firent descendre encore un autre escalier en colimaçon cette fois-ci. Le froid y était de plus en plus poignant. Sa peau d’arklins noir réagit à ce froid mordant, mais Gatrac-goharic ne laissa rien paraître.
Arrivé en bas de l’escalier, l’air y était vicié. Gatrac-goharic fronça les narines. L’odeur de renfermé envahit son corps malgré ses efforts. De l’eau ruisselait par de nombreux interstices à travers les murs. Le sol était boueux. Gatrac-goharic avait les pieds humides malgré ses lourdes bottes en cuir. Il ne dit rien une fois de plus, il se contenta d’observer les lieux et d’en retenir le maximum de détail. S’il devait se sauver de son cachot dans les prochains jours, il n’aurait certainement pas le temps de jouer le touriste pour retourner à la surface.
Les gardes qui accompagnaient Gatrac-goharic le menèrent jusqu’à l’entrée d’une petite pièce plongée dans une obscurité pratiquement constante. Ils le projetèrent en le poussant fortement dans le dos. Gatrac-goharic laissa son corps entré dans la pièce, mais il parvint à rester debout. La force des gardes était risible.
À peine fut-il entré dans la pièce qu’un fort claquement retentit derrière lui. Gatrac-goharic n’eut pas besoin de se retourner pour comprendre qu’il venait de rejoindre le fameux cachot qui devait être son lieu pour toute sa vie. Enfin, juste pour quelques jours, il n’allait pas s’éterniser ici, ce n’était pas dans son intention.
Le bruit d’une serrure que l’on refermait se fit entendre. Puis lentement le bruit de pas des gardes pataugeant dans l’eau stagnante s’éloigna progressivement. Gatrac-goharic se pensait seul, situation favorable pour penser tranquillement au moyen qu’il allait employer pour se sortir de ce guêpier. Il allait commencer à faire le tour de son cachot, lorsqu’une voix proche l’interpella :
« Je ne m’attendais pas à te voir dans cet enfer Gatrac-goharic. Tu m’excuseras je n’ai rien à t’offrir pour t’accueillir ici. »
Gatrac-goharic tourna brusquement la tête dans la direction de la voix. Il connaissait cette voix. Il laissa ses yeux s’habituer à la pénombre. Progressivement, il reconnut le visage du chaman. Gatrac-goharic ne put retenir un petit rire de satisfaction. Il n’aurait jamais pensé être aussi heureux de revoir Rebel-Rebel.
Avec la présence du chaman en plus, il était désormais certain que son séjour dans le cachot serait particulièrement court. Les humains avaient commis une grave erreur de lui fournir un lanceur de sort. Même s’il n’était pas très puissant, il lui donnerait le petit coup de pouce nécessaire pour ne pas s’éterniser dans ce cachot humide.
Le chaman était assis dans un recoin du cachot. Il se redressa pour serrer la main du guerrier arklins noir. Gatrac-goharic commença à lui exposer les derniers événements de la journée. Il n’attendrait pas une seconde de plus avant de commencer à élaborer son évasion.
Il était désormais juste inquiet pour son armée. Galgruk devrait mener ses guerriers pendant quelques jours. S’il ne commettait pas d’impaire dans ce lapse de temps, il pourrait reprendre le commandement de son armée. Affronter les armées du nécromant noir… Et il ne partirait pas avant d’avoir cette fois parlée avec le grand conseil de la ville. Il leur ferait regretter de l’avoir envoyé dans un cachot. Gatrac-goharic s’impatientait déjà de la suite des événements.
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