Mortemobire CODEX SULDER
   

Chapitre 14 : Le réveil du chanceux

Balco émergea lentement de sa somnolence. Ses yeux brumeux mirent un moment à assimiler la lumière de la pièce. Il se crut pendant un court instant revenu chez lui dans sa chambre. Cependant, un visage familier penché au-dessus de lui le replongea dans la réalité. C’était Hilld qui se tenait fixement face à lui. Il était debout au pied du lit de Balco. Ce dernier balaya rapidement la pièce avec ses yeux enfin aptes à observer le monde qui l’entourait.
Il se trouvait dans sa chambre à la taverne. Rien n’avait bougé, ses rares affaires étaient là. La cotte de mailles, que lui avait été offert Hilld, traînait sur le sol comme un chiffon sale. Hilld apercevant son regard heurter sur la cotte de mailles parla doucement : « Je suis navré qu’elle ne fût pas plus efficace. Je n’aurais pas dû te perdre de vue une seule seconde.
— Tu n’y es pour rien, répondit Balco avec une petite voix fatiguée. Tu as fait de ton mieux. Et je suis encore là par un prodige sans nom. Alors, tu n’as pas à t’en vouloir. Pour la cotte de mailles, je gage que l’on pourra en trouver une plus résistante pour la prochaine fois. Toutefois, j’espère bien avoir les moyens de me l’acheter moi-même. Et si possible, une deuxième comme cela je pourrais te la donner !
— Une cotte de mailles ! S’exclama Manu avec un ton de surprise très rare. Je te remercie pour le geste, mais cela ne sera pas nécessaire. Je n’ai pas besoin de ce genre de chose.
— Ce sera un cadeau, continua Balco. Tu n’auras pas le droit de la refuser.
— Bien entendu, souligna Manu légèrement contrarié.
— Je suis ici depuis combien de temps ? Questionna Balco en se redressant sur ses coudes.
— Trois jours presque complets, répondit Manu. La nuit ne devrait pas trop tarder à tomber. Tu peux être certain que le grand maître est impatient de te voir sur pied. Il a de très grands projets pour toi ! »
Balco ravala sa salive. Il n’était pas encore remis sur pied que déjà on allait l’affubler de nouvelles tâches. Balco soupira longuement en baissant les yeux. Il lui était très plaisant de vivre la vie dont il avait toujours rêvé. Quoique la responsabilité, d’être un héros attendu de tous, était trop lourde pour ses frêles épaules. Il ne se sentait pas la force d’accomplir tout ce que le grand maître voulait obtenir de lui.
Hilld resta impassible, comme à son habitude, laissant le temps à Balco d’assimiler la nouvelle et de retrouver le sourire. Balco redressa la tête et fixa les yeux de Hilld à la recherche d’un réconfort improbable. Sa famille lui manquait, sa maman lui manquait… et sa sœur ! L’image de la lettre de sa sœur vint se figer en premier plan dans son esprit.
Avec toutes les histoires qui lui étaient arrivées en si peu de temps, il n’avait pas pu lui envoyer une lettre de réponse à la sienne. Il devait en écrire une autre. Il y avait tellement de choses à raconter désormais. Pas seulement les histoires sans grand intérêt du village où chaque année il se déroulait exactement la même chose. Pour lui tout avait changé, ce n’était plus la routine quotidienne, mais de la nouveauté en permanence. Sa vie ne se résumait plus à se lever et à garder des cochons toute la journée.
Non, maintenant, il était une connaissance du grand maître, un compagnon d’aventure de créatures fantastiques. Des elfes, des nains, des arklins et encore bien d’autres. Il vivait dans la grande cité de Haches, bien que de ce côté sa sœur vivait elle aussi dans une très grande cité. Il n’y avait même pas vraiment de comparaison possible entre San Angelos et Haches.
Cette idée s’accrocha à son esprit quoiqu’il advienne au cours de cette fin de journée, il devait trouver un moyen d’envoyer une lettre à sa sœur avant qu’il ne revienne se coucher !
Hilld invita Balco à descendre dans la salle principale de l’auberge pour aller manger de quoi reprendre des forces. Balco invita en retour son compagnon à partager son repas. Pourtant, il déclina amicalement, expliquant qu’il avait plusieurs choses en retard qui ne pouvaient pas attendre un instant de plus.
Hilld s’excusa une fois de plus et quitta Balco en tournant les talons. Balco ne fit rien pour le retenir. Il se doutait que Hilld avait certainement dû veiller sur lui durant les trois jours. Hilld devait s’en vouloir de ne pas l’avoir protégé comme l’aurait voulu le grand maître. Il trouverait un moyen de remercier Hilld pour tous ses efforts, mais pour le moment il voulait s’occuper de sa lettre.
Balco resta seul dans sa chambre quelques instants. Le temps pour lui de revivre cette guerre mentalement. Des squelettes, des cris, des éclairs, des morts, de la souffrance… mais il n’avait pas ressenti de joie particulière. Certes il avait raté la fin de la bataille et la fête qui avait dû suivre la victoire. Cependant, il ne voyait rien qui puisse le réjouir au cours d’une guerre.
Balco continua d’y penser en se levant et surtout en prenant le temps de se vêtir avec du linge propre. Comme tout était toujours prévu pour lui depuis sa rencontre avec le grand maître, des vêtements propres et neufs étaient à sa disposition juste au pied de son lit.
Ils ne lui appartenaient pas, mais c’était clairement destiné à son usage. Un pantalon en tissu léger noir qui flottait légèrement par rapport à ses frêles jambes. Une chemise jaune flashante qui rayonnait de mille feux. Ce n’était pas vraiment dans ses habitudes de porter quelque chose d’aussi visible. Mais n’ayant pas mieux à se mettre il n’avait pas d’autre choix pour le moment.
Il descendit pieds nus dans la taverne. Elle était complètement vide et propre ! Balco fut surpris de n’y voir personne. Il s’attendait à y trouver quelques habitués.
La voix de la tavernière le fit sursauter. Cette dernière débarqua derrière lui en sortant de la cuisine. Elle l’invita à s’installer à une table et elle lui proposa de venir lui porter une soupe bien chaude. Balco ne refusa pas cette proposition et passa quelques minutes à retrouver la chaise gravée du nom de Nac’ab’eiis pour s’installer dessus.
Il était certain désormais qu’il y avait eu du mouvement dans la taverne, car plus aucune chaise n’était à sa place. La tavernière revint avec une gamelle en bois remplie d’une soupe verdâtre dont émergeaient plusieurs bouts de légumes.
« L’aspect est certainement un peu ragoûtant, mais elle est excellente, confia la tavernière avec une voix sincère.
— Je suis certain que je vais l’aimer, dit Balco fermement. J’ai tellement faim que je mangerais n’importe quoi.
— Si vous en voulez une deuxième gamelle, il n’y aura qu’à demander, indiqua la tavernière. Il en reste encore tout plein.
— Merci, dit Balco avant de prendre sa première cuillère de soupe dans la bouche. »
La tavernière commença à s’éloigner lorsque Balco l’interpella avec une petite voix remplie d’excuse. « Est-ce que je pourrais vous demander un petit service ? Questionna Balco timidement.
— Évidemment jeune homme, affirma la tavernière avec un sourire rassurant. Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
— Eh bien ! Voilà, ma grande sœur vit à San Angelos et j’aurais aimé lui envoyer une lettre pour lui donner de mes nouvelles, expliqua Balco.
— Très bonne idée, souligna la tavernière. Il est important de ne pas perdre le contact avec ses proches.
— Oui, mais je n’ai pas grand-chose pour moi sauf ma motivation, se lamenta Balco. Je ne possède ni papier, ni plume, ni encre et pour terminer j’ignore complètement, s’il y en a une, où se trouve la poste de Haches. Enfin si, je suppose que cette cité possède une poste, car mes courriers précédents étaient toujours transférés à Haches avant d’être expédiés à San Angelos.
— Effectivement, donner des nouvelles à votre sœur semble une épreuve insurmontable, dit la tavernière. Soyez rassuré jeune homme, il y a tout ce qu’il vous faut ici pour que cela se réalise sans problème. Quant à la poste, il y a bien une… même plusieurs bâtiments postaux dans la cité. Je vous conseillerais d’en toucher un mot au grand maître, on ne sait jamais son réseau de relation est si vaste que votre lettre pourrait très bien aller bien plus vite à sa destinataire que par le réseau normal.
— Je n’avais pas pensé à cela, assura Balco. Mais il est certain que le grand maître doit avoir des possibilités que je n’aurais jamais.
— Mangez tranquillement, enchaîna la tavernière. Je vous apporte de quoi rédiger votre lettre ensuite.
— Merci pour tout, conclut Balco. »
Il mangea sa soupe rapidement et demanda un deuxième bol dans la foulée. Si le mélange de légumes pouvait donner un aspect ragoûtant à la vue, c’était un délice sans nom au goût. Balco se délecta de cette soupe, la saveur de chaque ingrédient parfaitement rendu et se mariant à la perfection.
La tavernière apporta un deuxième bol de soupe et un verre d’eau à Balco. Il ingurgita la quasi-totalité du verre d’une seule traite, ne laissant qu’un peu d’eau au fond du verre. Balco commença à prendre quelques cuillères de soupes. Néanmoins, des petits bruits de pattes gambadant sur le sol éveillèrent son attention. Balco regarda à droite et à gauche observant la taverne complètement vide. La porte de la taverne était toujours fermée.
Un doux miaulement s’élevant dans les airs juste à côté de Balco confirma ses soupçons, tout en lui donnant le sourire. Un chat tout blanc se tenait au pied de sa chaise. Deux yeux grands ouverts semblant supplier Balco de lui donner quelques choses. Assis sur ses deux pattes arrière. Les deux pattes de devant, parfaitement droites, collées contre les deux de derrière.
Un long poil blanc lui recouvrait tout le corps donnant l’impression qu’il était nourri très généreusement. Les deux oreilles dressées et attentives au moindre mot qu’aurait pu dire Balco. Ce dernier regarda le chat d’un air attendri. Sa nouvelle vie, les guerres et les diverses créatures qu’il avait croisées lui avaient fait oublier le simple bonheur d’avoir un chat. Il le regarda avec un sourire ne sachant pas quoi faire. Le chat se remit à miauler comme pour demander une faveur. Balco était embêté, il ne savait pas que lui donner.
« Je m’excuse petit chat tout blanc, dit Balco. Je n’ai rien à te donner. Je n’ai même pas de lait. » Le chat se raidit et poussa sur ses pattes arrière. Il se retrouva en un saut sur la table à la plus grande surprise de Balco. « Je ne sais pas si tu as le droit d’être ici, monsieur, le chat, indiqua Balco. »
Mais le chat fit mine de ne pas l’entendre. Il avait sa petite idée en tête et il comptait bien la réaliser. Le chat avança doucement vers la soupe de Balco et commença à la sentir. Malgré que ce soit un chat, Balco eut l’impression de le voir faire une grimace de dégoût. « C’est donc ça, tu veux savoir ce que je suis en train de manger. Vous êtes, bien curieux monsieur, le chat. »
Le chat continua sa tournée d’inspection. Après avoir donné le même verdict au contenu de la cuillère à soupe, il s’intéressa au contenu du verre de Balco. Cette fois, il avait trouvé un élément liquide intéressant. Le chat plongea sa tête dans le verre. Trop étroit pour qu’il se rende au fond du verre. Le chat tenta par tous les moyens d’atteindre le fond. Tirant même la langue dans l’espoir de lui donner un peu plus de longueurs pour atteindre l’eau du verre qu’il convoitait.
Balco observa le chat avec un sourire sans intervenir. Le chat recula sa tête du dessus du verre résigné, mais pas à court d’idées. Il avança une patte avant contre le rebord du verre. Balco eut l’impression que le chat allait renverser le verre et tout son contenu. Ce ne fut pas le cas, le chat plongea sa patte jusqu’au fond du verre afin de toucher l’eau s’y trouvant encore. Une fois sa patte humide, il la remonta.
Et il lécha sa patte. Une fois trop sèche, il recommença l’opération. Balco regarda l’ingéniosité du chat tout blanc. Il se risqua à le caresser sur le dos. Le chat sembla ne pas trop apprécier, reculant provisoirement du verre. Puis il y revint, une fois qu’il se fut assuré que Balco n’allait plus chercher à le caresser. Balco continua sa soupe tranquillement admirant attentivement le chat se délecter du fond de son verre.
La porte de l’auberge commença à s’ouvrir. Le chat bondit de la table et alla se cacher le plus rapidement possible en direction des cuisines. Le verre de Balco était couché sur la table, il n’y avait pas eu de casse !
Balco termina son deuxième bol juste à ce moment-là. Balco tourna la tête vers la porte et put voir entrer une elfe. Son visage lui rappelait des souvenirs. Il l’avait croisé précédemment, mais il ne parvenait plus à mettre un nom sur son visage. Un visage fin, une peau blanche avec une légère teinte rougeâtre. De longs cheveux blonds courant jusqu’au milieu de son dos. Deux oreilles pointues typiquement elfiques qui pointaient très discrètement dans ses cheveux. Elle était vêtue d’une longue robe bleu foncé avec quelques dentelles en bas. Elle jeta un coup d’œil global à la taverne et sembla surprise de n’y voir que si peu de monde.
Elle plissa un peu les yeux en voyant Balco, mais afficha un grand sourire rapidement pour le rassurer. Elle s’approcha de lui et s’installa en face en prenant soin de récupérer la chaise qui portait son nom. Balco tenta de rapidement lire l’inscription lorsqu’elle fit l’échange, mais en vain. Il ne pourrait pas la surprendre d’avoir retenu son nom. Enfin, elle ne pourrait pas lui en vouloir au vu du nombre de nouvelles personnes qu’il avait rencontrées ces derniers temps. Une fois installé, elle prit tout de suite la parole :
« Je suis très heureuse de vous voir rétablie jeune Balco. Vous avez une capacité de récupération vraiment unique.
— Je n’y suis pour rien, balbutia Balco en baissant les yeux. Je ne sais même pas de quoi il retourne exactement. »
L’elfe éclata d’un rire joyeux qui fit sourire Balco et le détendit quelque peu. « Nous nous ne connaissons que très peu, mais vous m’impressionnez déjà, expliqua l’elfe. Nous ne nous sommes croisés que rapidement lors de votre première balade dans les rues de la cité.
— Je pense que de nous deux, c’est moi qui suis le plus impressionné par l’autre, répliqua timidement Balco.
— Il ne faut pas, dit d’un ton rassurant l’elfe. On a dû vous dire que j’étais Alendomïën la magelsorf, pleine de pouvoirs magiques. Certes, je suis une magicienne elfique et possiblement plus doué que beaucoup d’autres. Mais j’ai encore bien des choses à prouver pour réellement revendiquer une place de grande magicienne.
— Madame Alendomïën, dit Balco. Je suis encore bien innocent et inculte. Voir une elfe et en plus qui fait de la magie. Cela ne faisait partie que de mes rêves les plus fous, il n’y a encore que quelques jours.
— J’imagine le choc, affirma Alendomïën. De mon côté, je connais le grand maître et tout notre groupe hétéroclite depuis toute petite. Je baigne dans ce monde incroyable depuis toujours. Je n’ai jamais rien connu d’autres. Toutefois, j’imagine fort bien la situation que vous êtes en train de vivre. J’espère bien que vous parviendrez à vous acclimater et à faire partie sans équivoque de notre groupe. Nous sommes nombreux, mais il y a encore beaucoup de place.
— C’est un rêve, dit Balco. Mais je ne vois pas ce que je pourrais vous apporter. Certes, il semblerait que j’ai des facultés pour récupérer plus vite que n’importe qui. Si j’étais un peu plus doué, je n’aurais pas besoin de mettre en valeur cette compétence.
— Cela viendra avec le temps, le rassura Alendomïën. Vous avez le temps de progresser et de nous montrer votre valeur. Je ne sais pas pour tout le monde, mais pour beaucoup, moi comprise, nous attendions des miracles de votre part. Je pense que nous avons tous saisi le message qu’a voulu nous donner le grand maître au cours de cette guerre. Vous êtes exceptionnel, mais pour le moment jeune. Nous devons vous aider comme vous nous aiderez lorsque le moment sera venu. Vous êtes possiblement l’un des héritiers que le grand maître chercher depuis des années. Votre découverte va accélérer plusieurs événements qui auraient tôt ou tard eu lieu sans votre présence. À première vue, vous pourriez croire que vous êtes le déclencheur de nombreux événements à venir. Vous n’en êtes que le catalyseur. L’espoir pour nous que l’on peut croire en un monde meilleur.
— C’est déjà bien trop à me mettre sur le dos, conta Balco en grimaçant.
— Nous n’attendions qu’un petit signe du destin, continua Alendomïën. Ce petit signe fut perceptible avec votre arrivée dans le groupe. Par votre rencontre avec le grand maître, voir même avec celle de Taruis. Et si l’on veut pousser l’idée jusqu’au bout, si Lichn ne vous avait pas attaqué vous n’en seriez pas là. Sans s’en rendre compte, c’est ce nécromant noir de malheur qui vous a amené vers le grand maître.
— C’est une histoire incroyable, signala Balco. J’ai bien du mal à me rendre compte de tout ce qui m’arrive.
— Qu’est ce que vous faisiez avant que tout cela ne vous tombe dessus ? Questionna Alendomïën. »
Balco se mit à rougir un peu de honte. « Ce n’est pas très glorieux, expliqua Balco. Mes parents avaient une ferme et j’aidais à sa bonne tenue. Ma tâche principale était de garder les cochons.
— Gardien de cochons, intéressants, souligna Alendomïën. Au moins, vous allez être dans un domaine connu lorsque vous vous retrouverez avec notre groupe. Nous en avons un certain nombre.
— Des cochons ? S’étonna Balco.
— Ils n’ont pas de groin, ni de queue en tir bouchon, mais c’est bien comme ça qu’on les surnomme, enchaîna Alendomïën avec un sourire. »
Balco se mit à rire doucement en comprenant soudainement l’allusion que Alendomïën avait lentement amenée. Il se sentait décontracté. Encore une sensation étrange d’être dans un rêve, car communiquer et rire avec une elfe c’était une chose encore inconcevable il y a peu. Mais là, il discutait librement et il parvenait même à rire ensemble. Sa vie avait changé, plus rien ne serait comme avant et il avait un peu de mal à intégrer cette donnée.
« Vous avez de la famille Balco ? Questionna Alendomïën en reprenant la main sur la discussion.
— Je crains que ma rencontre avec Lichn ne se soit pas terminée de la même manière pour le reste de ma famille, indique Balco avec une voix légèrement enrouée.
— Je m’excuse, dit Alendomïën. Je n’aurais pas dû aborder ce sujet.
— Il n’y a pas de mal, indiqua Balco en reprenant de la vigueur dans la voix. Je ne suis pas certain qu’ils soient morts. Même si je le pense inéducable, il me reste un espoir. Et puis, il reste ma grande sœur qui elle est bien vivante. Elle habite à San Angelos !
— La cité des 5 tours, commenta Alendomïën. Ou encore la cité de la comtesse. Merveilleux, c’est une très belle cité, même si la comtesse actuelle ne me dit rien qui vaille. Comme bien trop souvent d’ailleurs. Cette descendance de comtesse semble bien trop souvent ne chercher qu’à faire évoluer les choses dans leur sens. Et elles ne s’occupent absolument jamais du sort de la planète.
— J’ai entendu des histoires sur la comtesse de San Angelos, dit Balco. Mais je n’oserais prononcer un jugement de mon propre chef. Je n’en sais pas assez pour fonder un jugement.
— J’apprécie cette attitude, expliqua avec un sourire Alendomïën. Je connais bien trop de monde qui réagit au quart de tour sans même prendre le temps de tout analyser. Vous avez les compétences pour devenir quelqu’un d’important. Il ne vous reste plus qu’à les faire progresser.
— Je ne sais pas ce que je souhaite, dit Balco timidement. Je rêvais d’aventure et le destin me l’a offert. Désormais je suis à l’intérieur, je vis des histoires plus extraordinaires que n’importe quel récit que l’on peut conter dans les tavernes. Et pourtant, j’en ai peur. Je ne maîtrise rien, je ne contrôle rien. Je ne sais même pas quoi faire. Je me fais embrocher ou tuer à chaque combat que je mène. Il n’y a que la chance et ma fameuse faculté à survivre qui me permettent encore d’être là. Mais est-ce que je le mérite vraiment ? Ma place était-elle ici sur cette planète ou est-ce que j’ai obtenu un sursis sans aucune raison valable.
— Je n’aurais pas de réponse élégante à cette question, dit Alendomïën. Mais je vous comprends parfaitement. Vous êtes perdus. Vos repaires ont été retirés. Vous arrivez dans une cité inconnue, dans un groupe inconnu où de multiples espèces sont représentées. Et pour couronner le tout, il y a le grand maître qui espère secrètement que vous êtes l’un des héritiers qu’il recherche depuis des années. Vous voilà dans un milieu sans repaire avec une pression incontrôlable sur les épaules. N’importe qui n’aurait plus conscience de sa place dans ce monde et la remettrait en question. Vous avez un point d’ancrage au fond de vous. C’est votre sœur. Je suis persuadé que votre sœur peut vous servir à voir un avenir meilleur. Vous souhaitez lui donner des nouvelles, mais sans le dire, vous souhaitez encore plus avoir la chance de la croiser à nouveau. De discuter avec elle ce serait un nouveau moment merveilleux bien plus agréable que de discuter avec une elfe !
— Ce n’est pas exactement la même chose, dit Balco. Mais il y a du vrai. J’aurais beau lui raconter ma nouvelle vie par le biais de lettre. Rien ne remplacera une véritable rencontre. J’ai tellement de choses à lui dire et à apprendre d’elle. Il va nous falloir des semaines pour tout nous raconter.
— San Angelos ne fait pas partie des plans du grand maître, continua Alendomïën. En tout cas pas à ma connaissance. Vous aurez éventuellement votre mot à dire, bien que j’en doute malgré tout l’espoir que le grand maître place en vous. Si cela se présente, parlez-lui de votre intérêt pour San Angelos. Il réalisera peut-être un geste dans votre sens.
— Merci pour tous vos conseils madame Alendomïën, lança Balco.
— Simplement Alendomïën, répliqua-t-elle. Je ne suis ni mariée, ni assez vieille, ni assez réputée pour mériter le titre de madame. Ne vous laissez pas impressionner par le monde qui vous entoure. On doit tous paraître bien étranges et extraordinaires à vos yeux. Mais nous étions tous dans le même état que vous lors de notre première rencontre avec le grand maître. Nous avons juste pris l’habitude de nous côtoyer et de vivre en présence du grand maître. Vous allez acquérir cette habitude vous aussi.
— J’ai un peu de mal à imaginer que je puisse considérer cette situation comme normale, confia Balco. Je croise tellement de personnes formidables. Le grand maître a constitué un groupe des plus étranges, mais que j’ai un plaisir intense à découvrir chacun. Même si certains me font encore peur. »
Alendomïën eut un sourire amusé sur le visage avant de reprendre la discussion. « Chacun à son caractère, son humeur, ses convictions, entonna Alendomïën. Une seule chose est certaine, c’est que vous pouvez avoir confiance en eux lorsque la situation l’exige. Nous avons nos petits conflits internes certains sont vrais, d’autres ironiques ou simplement par jeu pour provoquer les autres. Mais aucune querelle ne dure, nous oublions tous lorsque la situation l’exige.
— J’ai pu en avoir un aperçu au cours de ce conflit aux portes de la ville, indique Balco. Et vous avez même quelques personnes bien téméraires.
— C’est bien vrai, dit Alendomïën avec un air amusé. Il y a bien quelques fous parmi les personnes du groupe. Elles sont toutes attachantes à leur façon, même si des rivalités culturelles sont entretenues pour donner un semblant de bonne figure.
— Les conflits entre les nains et les elfes par exemple, suggéra Balco.
— Par exemple, répéta Alendomïën. Bien que ce conflit ne devrait pas être censé m’atteindre normalement. »
Balco fronça les sourcils ne comprenant pas l’allusion de Alendomïën. « Je vous demande pardon, s’excusa Balco. Je ne pense pas saisir ce que vous me racontez.
— Je comprends, dit Alendomïën avec un sourire rassurant. Je vais m’expliquer rapidement. Il existe quatre grandes familles d’elfes. Les elfes de midican, les elfes noirs, les elfes aquatiques et les maquelfs. Les guerres entre les nains ne concernent que les elfes de midican et les elfes noirs.
— Vous êtes donc…, dit pensivement Balco.
— Une maquelf, coupa Alendomïën. Et de façon plus précise, je suis ce que l’on appelle une magelsorf. En langage plus compréhensible, je suis une lanceuse de sort elfique considéré de haut niveau. Pour cette dernière partie, tout reste à prouver malheureusement. Et je ne souhaite pas m’étendre particulièrement sur le sujet.
— Vous avez de grande capacité, mais pas encore dévoilé ? Demanda Balco.
— C’est en grande partie la réalité, c’est une très bonne vision de la situation sans entrer dans les détails, affirma Alendomïën.
— Un coup de chance, dit Balco tout gêné. Je n’y connais absolument rien en magie. Je ne sais même pas comment cela fonctionne, ni même si c’est quelque chose que l’on peut attraper comme une grippe. »
Alendomïën se mit à rire doucement en plissant les yeux. « Non, non, la magie n’est pas une maladie que l’on peut attraper comme une grippe, expliqua Alendomïën. C’est une chose que l’on possède à sa naissance ou que l’on ne connaîtra jamais de toute sa vie.
— Est-ce que cela veut dire que je ne possède pas de magie ? Demanda Balco.
— Difficile d’y répondre, déclara Alendomïën. Il est possible que vous en possédiez, mais en n’ayant jamais cherché à la développer, elle est un résidu si faible qu’elle est indétectable pour un autre magicien. Mais vous pourriez toujours la développer ultérieurement. C’est une particularité de naissance que l’on ne peut pas perdre quoique l’on en fasse.
— Il en est de même pour l’énergie ? Questionna Balco avec des yeux avides de curiosité.
— Pas du tout, exposa Alendomïën. Je constate que le grand maître vous a placé sous son aile, mais il n’a pas eu le temps de vous former comme il l’a fait pour nous. »
Balco honteux de poser autant de questions baissa la tête. « Je ne veux pas vous déranger avec mes questions stupides, dit tristement Balco. Je dois paraître bien idiot à vos yeux.
— Ne vous excusez pas Balco, vous ne me dérangez pas du tout, dit Alendomïën. Vous n’avez pas eu l’occasion d’apprendre avec le grand maître au cours de votre enfance, il n’y a aucun mal à cela. Surtout que vous avez la curiosité d’aller chercher les réponses à vos questionnements. Je suis juste surprise que le grand maître ne se soit pas donné la peine de vous apprendre plus de choses avant de vous lancer dans de grandes aventures. Heureusement qu’il n’a pas fait cela avec notre groupe, nous ne serions peut-être plus ici pour en parler. Expliquons de façon simple l’énergie… »
Alendomïën esquissa un petit sourire en observant Balco : « Très bien, on va déjà distinguer les trois forces qui régissent notre univers, continua Alendomïën souriante. La vie, la magie et l’énergie. Pour la vie, simple chaque cellule de notre corps possède sa vie et c’est l’ensemble de nos cellules qui nous donnent une consistance. Pour la magie, certaines personnes possèdent des cellules particulières qui sont capables de transformer la vie de leur cellule en magie. En maîtrisant cette accumulation particulière, on peut la transposer en sortilèges plus ou moins puissants. Quoi qu’il en soit, le lanceur de sort s’épuise en consommant sa magie. Pour renouveler son stock de magie, il doit puiser dans sa propre vie. C’est donc un équilibre à trouver et à maîtriser. Tout cela ne doit pas être pris à la légère. Et en dernier lieu, on va retrouver l’énergie. C’est un peu le même principe que la magie, sauf que tout le monde possède la faculté de développer l’énergie à sa naissance. Et contrairement à la magie, on peut puiser de l’énergie partout dans les environnements qui nous entourent. On n’est donc pas forcé de puiser dans sa vie pour générer de l’énergie. »
Alendomïën prit une petite pause pour regarder Balco pensif. « J’ai simplifié l’explication, ajouta Alendomïën. Pas besoin de rentrer dans tous les détails que je ne suis pas certaine de maîtriser moi-même. Encore que pour la magie, ce soit mon quotidien. Mais pour l’énergie ce n’est que la théorie, je n’ai jamais pu mettre en pratique. J’espère que le grand maître osera un jour nous enseigner son art même si les risques sont grands.
— C’est également l’un de mes rêves, dit Balco toujours pensif. Je comprends un peu mieux le fonctionnement de la magie et de l’énergie. Bien que j’aie encore du mal à concevoir comment je pourrais me sacrifier moi-même pour me retirer de la vie.
— C’est un processus naturel, expliqua Alendomïën. Pratiquement transparent pour l’utilisateur. Si vous n’allez pas au-delà de vos limites, vous ne sentirez jamais rien de plus qu’un grand coup de fatigue. Malgré tout, il faut garder en tête que ce coup de pompe passager peut-être particulièrement préjudiciable si vous êtes en mauvaise posture.
— J’ai encore beaucoup à apprendre, dit Balco en plaçant sa tête entre ses deux mains.
— Il faut vous y prendre étape par étape, dit calmement Alendomïën. Ne pas brûler les paliers en cours de chemin et vous deviendrez un compagnon aguerri dont nous pourrons avoir une confiance aveugle.
— Ce temps est encore bien loin malheureusement, dit Balco. Je sais à peine tenir une épée entre mes deux mains. J’ai besoin de deux à trois gardes du corps pour combattre un misérable squelette. L’autonomie et la confiance des autres ce n’est pas pour demain.
— N’allez pas si vite en besogne, indiqua Alendomïën avec un sourire rassurant. Nous sommes tous passés par là. Même s’il vous faut du temps, vous allez être bien encadré et conseillé. Et je ne doute point qu’un jour vous puissiez apporter votre expérience au groupe. Pour le moment profitez, vous allez vivre des jours mémorables et découvrir des mystères que vous n’auriez jamais pu imaginer.
— Rien que rencontrer une elfe m’était inconcevable il y a encore peu, souligna Balco.
— Jusqu’à qu’Anis croise votre route par un hasard improbable ! Commenta Alendomïën. Sans cette rencontre fortuite, vous ne seriez certainement pas ici et Anis ne serait peut-être plus de ce monde. Vous avez eu un courage exemplaire. Peu de monde aurait fait comme vous. Préférez sacrifier sa vie plutôt qu’une autre.
— C’est ce qui m’a semblé le plus judicieux sur le moment, dit Balco timidement. Je ne suis qu’un pauvre gardien de cochon et Anis est une elfe. Elle met apparu comme une déesse qui avait un avenir plus grand que le mien. Que peut apporter un gardien de cochon dans cette lutte contre les créatures de l’ombre ?
— Finalement, le grand maître vous a donné la réponse à cette question, ajouta Alendomïën. Un simple gardien de cochon peut devenir l’espoir de toute une planète. »
Balco s’enfonça dans son siège. « Toute une planète ! Répéta Balco en faisant de gros yeux. Oulà, non je n’espère pas. Je ne suis pas quelqu’un d’aussi important que cela.
— Cela va venir, dit calmement Alendomïën. Et on va vous aider pour que cela se produise. Vous avez tout un groupe prêt à vous soutenir dans toutes vos démarches. Avez-vous trouvé le mot qu’Anis vous a laissé ?
— Non, je n’ai rien vu de tel, indiqua Balco très surpris.
— La tavernière a dû ranger le mot dans votre armoire avec le reste de vos affaires, expliqua Alendomïën.
— Le reste de mes affaires, s’exclama Balco. Je crois que je suis passé à côté de pas mal de choses dans ma chambre. Si vous permettez, je remonte vite pour voir tout ça et récupérer la lettre.
— Allez-y Balco, je vous attends ici, indiqua Alendomïën. »
Balco remonta en courant dans les escaliers. Il n’avait pas trouvé la lettre d’Anis et il n’avait pas imaginé que l’armoire de sa chambre serait remplie d’affaire. Il se doutait que c’était le grand maître qui avait agi pour qu’il ne soit pas démuni et sans vêtement. Il repensait également à sa sœur et ne perdait pas de vue qu’il avait une lettre à lui écrire.
Balco poussa la porte de sa chambre déjà légèrement ouverte et s’arrêta sur le pas de la porte. Le chat tout blanc était installé sur son lit. Roulé en boule, il dormait sagement. Une patte posée devant ses yeux comme pour le cacher de la lumière. Balco se mit à sourire se disant que ce chat n’était pas spécialement gêné. Il faisait bien ce qu’il voulait. Balco avança avec précaution dans sa chambre pour ne pas réveiller le chat qui semblait dormir profondément.
Il avança à petits pas feutrés jusqu’à l’armoire présente dans sa chambre. Il ouvrit délicatement un battant. À l’intérieur, plusieurs piles de vêtements propres différents et sur l’étagère du haut, il y avait ses anciennes affaires lavées et pliées. Il regarda sur l’étagère du haut. Il découvrit, placé entre deux vêtements, la lettre qu’Anis lui avait écrite. La lettre était un peu froissé, mais toujours en très bon état.
Balco ne se posa pas trop de questions, il prit la lettre entre ses mains. Il ne referma pas la porte de l’armoire pour ne pas déranger le chat toujours endormi. Il le regarda quelques secondes admirant sa façon particulière de dormir avec une patte lui recouvrant les yeux. Ses pattes arrière et sa queue parfaitement repliée sur lui-même pour ne former qu’une boule blanche de poils.
Balco ressortit de sa chambre à petits pas et referma la porte qu’à moitié pour ne pas être obligé de la claquer. Balco repartit dans la grande salle de l’auberge pour y retrouver Alendomïën, tout en commençant à lire le court message d’Anis. Elle le remerciait une fois encore de lui avait sauvé la vie et elle le prévenait qu’elle allait tout faire pour l’accompagner dans les prochaines aventures qu’aller lui confier le grand maître. Balco retourna s’installer sur son siège face à la magicienne elfique.
« Merci, dit Balco. J’espère que je ne vous ferais pas perdre votre temps. Vous m’offrez tous beaucoup trop. Je ne sais pas comment je vais pouvoir tous vous remercier. Vous pourriez peut-être m’aider à ce sujet d’ailleurs !
— Si je le peux, cela me fera plaisir, indiqua Alendomïën.
— Je voudrais trouver une idée pour remercier Hilld, dit Balco. Il m’a offert beaucoup. Son temps pour discuter, m’apprendre des choses, me surveiller au cours de la bataille et veiller sur moi lors de ma convalescence. Mais également du temps pour me faire visiter un peu la ville. Il m’a même offert une cotte de mailles. Certes elle n’a pas pu me protéger de ce démon, mais c’est un geste qui m’a profondément touché. Je lui ai indiqué que je souhaitais lui offrir une cotte de mailles dès que j’en aurais les moyens, mais il ne m’a pas semblé très emballé par cette idée.
— Une cotte de mailles pour Manu ! Répéta amusée Alendomïën. Effectivement j’imagine qu’il a dû décliner votre proposition tout en vous remerciant de celle-ci.
— C’est exactement ce qu’il a fait, indiqua Balco très surpris.
— Manu est un peu particulier, ajouta Alendomïën. Il n’aime pas spécialement s’affubler de tout l’attirail de protection des humains. Mais on va bien trouver quelque chose qui pourrait lui faire plaisir. Possible qu’il aimerait quitter la taverne pour avoir son propre logement. Mais cela n’est peut être même pas certain.
— Une demeure ? S’exclama Balco. Je n’ai pas de sou pour acheter quoi que ce soit actuellement. Il va me falloir un travail pour en gagner un peu. Disons que je serais très heureux de pouvoir lui offrir une maison, mais ce n’est pas dans mes moyens actuellement.
— J’en ai bien conscience, indiqua Alendomïën. Ne vous inquiétez pas pour l’argent, on trouvera des solutions. Je ne vois pas le grand maître accepter de vous voir travailler. L’idée d’une demeure était juste une idée. Manu est le dernier membre du groupe à encore vivre dans la taverne.
— Vivre encore ? Questionna Balco. Cela veut dire que vous avez tous habité ici durant une période.
— C’est exactement ça, dit Alendomïën. Après quelques années passées chez le grand maître… au cours desquelles il nous a formées. Lorsque le grand maître a estimé que nous pouvions nous débrouiller seul, nous sommes venus ici. Nous avons mis en commun tout l’argent que nous avions à cette époque pour acquérir cette taverne. Chaque membre du groupe possède une part de la taverne. Vous n’avez certainement pas eu l’occasion de voir tout ça, mais au fond des cuisines, il y a un escalier qui descend dans le cellier. Enfin, je devrais dire les celliers ! La taverne s’étend dans de vastes salles souterraines. Elle y abritait des brigands à une certaine époque. Nous avons tous trouvé logement dans les celliers. Puis petit à petit suivant les moyens de chacun, nous avons acheté d’autres maisons, commerces, demeures dans la cité, désertant progressivement la taverne. Mais cela reste notre point de ralliement, de rencontre, de discussion et bien trop souvent à mon goût de fête. À l’heure actuelle, nous avons donc tous quitté la taverne sauf Manu. Je suis certaine qu’il aurait les moyens de quitter l’auberge. Mais être tout seul dans une si grande bâtisse à son intérêt également. Certes désormais il n’est plus tout seul, car vous êtes ici.
— Intéressant, conta Balco. J’apprends des détails passionnants sur votre groupe. Je comprends un peu mieux le cheminement de ce groupe. Même si en parallèle je suis également en train de comprendre que pour trouver chacun de vous dans la cité, il va me falloir connaître un grand nombre de demeure.
— Vous allez avoir du travail en vue, dit Alendomïën en souriant. Même si nous sommes plutôt regroupés dans les mêmes quartiers, cela va représenter beaucoup de visite.
— Je vais commencer par me repérer dans la cité, dit Balco sagement. Je verrais ensuite pour le reste.
— Je vous aurais bien proposé une balade dans la cité, mais la nuit ne devrait pas tarder à tomber ce qui ne va pas spécialement mettre en éveil votre sens de l’orientation, commenta Alendomïën.
— Je dois aussi attendre le grand maître, précisa Balco. J’ai bien conscience qu’il est en mesure de me trouver où que je sois dans la cité. Mais je préfère l’attendre sereinement ici.
— J’attends moi aussi son arrivée, dit Alendomïën. Je ne sais pas ce qu’il a préparé, mais je compte bien vous accompagner. Je pensais rester ici pour régler des histoires de paperasse elfique. Mais je me rends compte que même si je reste ça ne fera pas évoluer les démarches de l’administration plus rapidement. Je veux me mettre à votre service pour vous accompagner dans votre quête !
— Vous mettre à mon service, balbutia Balco étonné et gêné. Si cela ne tenait qu’à moi, j’accepterais avec joie. Je suis certain que vous auriez encore plein de choses à m’apprendre et je serais curieux de vous voir manipuler la magie. C’est une chose si fascinante…
— Qu’il en soit ainsi, dit une voix dure juste derrière Balco ! »
Balco sursauta de surprise et tourna rapidement la tête. Le grand maître se tenait juste derrière lui les bras croisés sur le torse et un large sourire jovial sur le visage. Un long tissu blanc drapé autour de son corps formait son seul vêtement. Le grand maître prit place au côté de Balco sans même prêter attention sur quelle chaise il était en train de s’installer. Il posa ses mains à plat sur la table et regarda Balco attentivement dans les yeux.
« Vous avez un pouvoir de décision, argumenta le grand maître. Je ne compte pas être là derrière chacun de vos pas pour vous dire quoi faire. Alendomïën vous a proposé son aide, vous l’avez accepté… Tout cela me convient parfaitement. Alendomïën vous accompagnera dans votre périple. Je dois dire que vous avez fait un excellent choix. Alendomïën est une lanceuse de sort très douée. Elle a un très grand potentiel et ses pères le reconnaîtront un jour. Si seulement j’avais eu plus de connaissance dans ce domaine, j’aurais pu l’aider moi-même.
— Vous avez fait beaucoup grand maître, souligna Alendomïën. Je ne vous remercierais jamais assez pour ça.
— J’accepte d’autant plus qu’Alendomïën pourra te protéger, mais aussi t’apprendre de nouveaux enseignements au cours de cette aventure, continua le grand maître sans prendre note de l’intervention d’Alendomïën. Soyez naturel et réfléchi comme l’êtes à chaque fois et vous n’aurez pas de mauvaise surprise.
— Nous allons faire de notre mieux grand maître, conta Alendomïën. Vous pouvez être certain de cela. Qui va nous accompagner jusqu’à Englub ?
— La capitale ! S’estomaqua Balco en ouvrant de grands yeux et la bouche. Je vais mettre les pieds dans la capitale ?
— Tout à fait, expliqua le grand maître. Votre destination sera Englub. Je vous expliquerais la teneur de cette quête un peu après. Je vais d’abord répondre à Alendomïën. Pour vous accompagner, il y aura Nathax, Naneshhlimsh, Mardeën, Hilld et Anis. Pour cette dernière ce n’était pas spécialement un choix de ma part, mais elle a insisté lourdement pour accompagner son sauveur. Sa motivation pourra pallier à son manque d’expérience et de sagesse. Je ne la vois pas faire un geste qui pourrait mettre en péril la vie de Balco. Je prévois également d’envoyer un second groupe qui partira un à deux jours après vous. Si jamais vous rencontrez une difficulté majeure, vous pourrez attendre le second groupe. Dans la mesure du possible je n’interviendrais pas dans cette histoire. Bien que cela reste une option, cela réduirait à néant l’impact que cela doit donner. C’est à vous de le faire, de sonner une révolte qui doit réveiller l’esprit combatif de tous les sulduriens ! Et surtout leur redonner l’espoir que des jours meilleurs sont possibles… C’est à portée de main, si on veut bien s’en donner la peine.
— Qu’est que l’on doit faire de si particulier pour réveiller la planète entière ? Questionna Balco avec une grande appréhension.
— Renverser l’empereur, répliqua froidement le grand maître sans aucune émotion lisible sur son visage. »
Balco ouvrit des yeux énormes et resta la bouche ouverte pendant quelques secondes sans pouvoir réagir. « L’empereur ! Destituer, voire tuer, l’empereur » parvint finalement à dire Balco avec difficulté.
« Mais c’est de la folie, s’écria Balco en prenant conscience de la demande du grand maître. Je ne suis rien pour renverser une telle icône de notre monde !
— Je n’ai rien contre ce pauvre homme, continua le grand maître placidement. Sauf qu’il ne mérite pas son titre de chevalier et encore moins celui d’empereur. Il est à la tête de l’Empire et c’est bien là son principal défaut. Faire tomber le sommet de la hiérarchie de l’Empire va faire bouger bien des individus et des idées. Et à ce moment-là ce sera à moi d’agir pour que tout tourne en notre faveur.
— Tuer l’empereur, répéta une fois encore Balco incrédule. On parle tout de même de tuer l’empereur. Ce n’est pas rien pour moi. Tuer l’empereur. Ce n’est pas ce que j’appelle une petite tâche ou quête de routine.
— Le meurtre n’est pas obligatoire, l’empereur peut abdiquer de lui-même pour éviter le désagrément de mourir, répliqua le grand maître. Commençons par lui faire peur, s’il est raisonnable, il laissera son trône. Sinon, il ne nous laissera pas le choix de commettre un geste obligatoire pour la situation évolue. C’est un événement incontournable !
— Non, mais on parle de tuer un individu sans remords… et de plus l’empereur, ajouta Balco n’en revenant toujours pas. Et puis on ne peut pas rencontrer l’empereur comme ça. Il va nous falloir des armées de plusieurs milliers d’hommes. Ce n’est pas un petit groupe de quelques personnes qui va réaliser cet exploit. Même si nous sommes mandatés par le grand maître.
— Il y a quelques années de cela, je vous aurais avoué que cela aurait été vrai, dit tranquillement le grand maître. Mais ce n’est plus le cas et encore moins en cette période. C’est une conjoncture créée par le destin qui ne se représentera certainement jamais plus. L’empereur est isolé dans son palais, tout juste sa garde royale et son archiviste pour l’entourer. Les chevaliers de l’Empire et l’ensemble de leur troupe sont aux différentes frontières de l’Empire. La situation nous est favorable. C’est une opportunité… Une fenêtre pour lancer des grandes manœuvres… Elle ne va pas durer éternellement. Nous n’avons plus le temps de nous permettre de réfléchir, il faut agir. Au moins, l’un des chevaliers devrait revenir au palais prochainement. Il est très rare qu’il laisse l’empereur aussi démuni. Même si c’est vrai que peu de monde oserait tenter une action contre lui, car effectivement dans la conscience collective, il faudrait une armée pour le terrasser.
— Je ne pense pas que tout cela me rassure, dit Balco nerveusement. Je n’aime pas spécialement cette idée de devoir renverser l’empereur. Son incompétence ne justifie pas sa mort. Il n’a rien fait de si mauvais pour que je ressente le besoin et l’envie de lui ôter la vie. Qui suis-je de toute façon pour décider que quelqu’un doit mourir ?
— C’est un fait, exposa le grand maître. Si cela peut vous rassurer, c’est mon choix de lui retirer son trône. Et j’assumerais toutes les actions que vous réaliserez pour parvenir à cet objectif. Maintenant je vais vous donner une raison, l’empereur actuel ne peut rien dans la situation dans laquelle on l’a placé. Mais il n’a surtout rien fait pour que cela s’améliore, bien au contraire j’ajouterais. Si Lichn a pu venir jusqu’à votre village c’est parce que l’empereur n’a pas fait son devoir pour protéger correctement l’Empire. Je ne l’accuserais pas d’avoir été la cause de la destruction de votre village, même s’il en a été un facteur certain. Maintenant, si je pensais que cet empereur de pacotille puisse être utile et que je serais en mesure de le faire revenir dans le bon chemin. Je ne chercherais pas à l’évincer de son poste.
— Ce sont des raisons, dit Balco toujours pas tranquille. Mais moi je n’ai rien à reprocher à l’empereur qui pourrait justifier que je lui passe une lame au milieu du cœur.
— J’ai tenté de négocier avec l’empereur, assura le grand maître. Il n’y a rien à faire, il ne veut rien entendre et encore moins agir. Beaucoup de partisans de l’Empire ont rejoint ma cause. Vous aurez tout de même la liberté de tenter de négocier si le cœur vous en dit. De façon ouverte comme Taruis et d’autres sans l’avoir annoncé ouvertement, mais ils attendent la chute de l’empereur pour se joindre à nous. Je dirais que l’Empire est prêt à rependre les armes pour défendre sa liberté et repousser ce Lichn ou toute autre créature qui voudrait marcher sur Sulder. Mais il y a un empereur qui est un lâche. Représentant le sommet de la structure de l’Empire, il empêche tous les niveaux sous lui de prendre les bonnes décisions pour agir avec efficacité. Je l’ai di et je le redirais, c’est malheureux de devoir en arriver à une solution aussi extrême. Mais cet empereur ne nous laisse pas d’autres choix.
— Ce ne sera pas de gaîté de cœur, dit Balco. Mais vous avez certainement raison, grand maître. Je n’ai pas votre sagesse et vos connaissances pour juger la valeur d’un homme !
— Malgré tous les âges que j’ai traversés, je ne revendiquerais jamais une telle expérience, clama sèchement le grand maître. Personne n’a la sagesse de définir si un homme est bon ou mauvais et encore moins s’il doit mourir ou vivre. Je me base sur des stratégies politiques pour que l’Empire redevienne l’Empire avec un très grand E. Quoi qu’il soit, et quoi qu’il ait fait cet empereur ne mérite certainement pas la mort. Il y a juste que sa disparition sera le facteur déterminant pour construire un avenir meilleur.
— On va tous l’espérer, ajouta Alendomïën. Tant que l’Empire ne sombre pas dans une guerre civile… Sinon ce serait l’échec total.
— Ce n’est pas possible, indiqua le grand maître. Il restera toujours les cinq chevaliers de l’Empire. Ce sont eux qui détiennent le vrai pouvoir de l’Empire. Tant qu’ils seront là, l’ordre restera. La chute de l’empereur ne va pas faire s’écrouler la pyramide en cascade. On va retirer le sommet de la pyramide, mais le deuxième niveau de la structure sera toujours là pour maintenir tout le reste en équilibre. Ce n’est pas pour rien que ces cinq chevaliers sont appelés les cinq doigts de la main de l’empereur. Ils vont reprendre la direction de l’Empire et je les connais tous personnellement. Ils sont suffisamment intelligents pour interpréter de la bonne manière le geste que nous nous apprêtons à commettre. Ils ne nous en tiendront aucune rigueur. C’est de façon naturelle qu’ils vont reprendre les commandes de l’Empire et s’associer à nous. Enfin cette partie de l’histoire, ce sera mon travail. Je vous laisse le geste, je m’occuperais de la partie politique qui sera derrière.
— Vous avez déjà prévu des éléments dans ce sens ? Demanda Alendomïën.
— Effectivement, il n’y a rien qui est laissé au hasard, argumenta le grand maître. À la chute de l’empereur, maître Agal, Inima et Aliens vont joindre leurs forces aux nôtres et donc par extension à l’Empire retrouvé.
— Dame Inima ! S’exclama Balco avec surprise. Vous voulez créer une alliance avec dame Inima ?
— Tout à fait, confirma le grand maître. Et si on parvient à prouver que vous êtes bien un héritier de l’aigle blanc, vous allez être un ambassadeur de cette alliance.
— Je pourrais la croiser ? demanda Balco avec une gorge serrée par l’émotion.
— Sans aucun doute, lâcha le grand maître. Je suis certain qu’elle sera curieuse de croiser un héritier. »
Balco resta muet quelques secondes submergé par des vagues d’émotions. Alendomïën et le grand maître le regardèrent avec une inquiétude grandissante. « Pardon, dit Balco avec une voix pleine d’émotion. C’est mon plus grand rêve que vous me proposez de réaliser. Si je ne devais vivre qu’une chose dans ma vie pour que je la considère remplie, ce serait de croiser dame Inima en vrai. J’ai toujours cru que cela n’arriverait jamais. Que ce serait le rêve d’une vie, mais qu’il ne pourrait jamais se réaliser. Un doux rêve d’enfant.
— Votre vie a bien changé, dit le grand maître en souriant. L’impensable, le rêve et l’incroyable vont devenir votre quotidien. Chaque jour sera un nouveau rêve. Enfin, c’est comme cela que je considère chaque jour de ma vie. J’ai vu beaucoup de choses, vécu beaucoup d’expérience, mais chaque jour qui passe possède son lot de nouveauté.
— Si seulement cela pouvait m’arriver, signala Alendomïën. Je demande pourtant peu de choses. Je souhaite que l’on m’accepte comme une maquelf reconnue dans une tour de magie elfique. »
Alendomïën soupira doucement en fermant les yeux. « Cela va venir, indiqua le grand maître en se voulant rassurant. Il n’y a aucune raison pour que cette situation perdure dans le temps. Je suis persuadé que la tour de magie de Haches regrettera de ne pas t’avoir recruté rapidement comme il aurait dû le faire.
— Je ne leur souhaite même pas du mal, ajouta Alendomïën. Je veux juste apprendre un peu plus sur ma vocation qui est la magie.
— Je ne pense pas que je puisse être utile en quoi que ce soit, ajouta Balco. Mais si je peux vous aider, je le ferais avec plaisir.
— Merci, dit Alendomïën. Mais c’est une histoire entre elfes, même l’influence du grand maître n’y change rien. On garde l’espoir que la situation change, mais cela prend beaucoup trop de temps.
— Nous trouverons une solution, conclut le grand maître. On va bien finir par déceler un détail qui pourra nous aider à faire pencher la balance en notre faveur.
— Commençons par aller jusqu’à Englub, renverser l’Empire et revenir ici, indiqua Alendomïën. Cela ne va pas se faire en un jour. À mon retour, on regardera où en est la situation avec la tour de magie. Entre temps, on va oublier cette histoire et se concentrer sur la tâche que vous m’avez donnée.
— Ta principale tâche est de protéger notre jeune ami ici présent, expliqua le grand maître. Il doit se rendre à Englub vivant et doit revenir ici dans le même état. De plus, je doute que l’archiviste de l’empereur puisse être évité par la ruse. Tu auras donc un grand rôle à jouer pour le ralentir ou pire si la situation l’exige. Vous jugerez des mesures à prendre en fonction de chaque situation. Je suis certain que vous prendrez les bonnes décisions.
— On assumera en tout cas chacun de nos choix, déclara Alendomïën. On évitera au maximum les patrouilles de l’Empire pour que notre route soit sans encombre.
— Cela va de soi, dit le grand maître. Vous pourrez faire confiance à Hilld pour vous guider. Il a l’habitude de ce genre de situation. Il sera vos yeux dans bien des cas.
— Pour nous rendre à Englub, j’imagine que nous allons éviter les grandes routes ? Questionna Alendomïën.
— C’est exact une fois encore, dit le grand maître. Vous prendrez l’une des anciennes routes naines qui passent sous les montagnes. Elles sont pas ou peu surveillées. Vous devriez arriver à Englub sans rencontrer personne si tout se déroule convenablement. Une fois à la capitale ce sera une autre histoire. Toutefois, vous allez être déjà sur place, il n’y aura plus qu’à agir, plus besoin de se dissimuler. Nul besoin de forcer la marche non plus, vous avez une dizaine de jours avant que la situation change. Cela vous laisse une bonne marge pour y arriver.
— Nous partirons quand ? Souleva Balco.
— Demain matin, déclara rapidement le grand maître. Peut être pas à l’aurore, mais le plus tôt possible serait le mieux. Évitons de perdre de précieuse heure qui pourrait être mise à profit. Pour le reste du voyage, je fais confiance à Hilld pour vous imposer un horaire strict chaque jour. J’ai pleinement confiance en lui pour ce genre de détail. Il est d’une grande rigueur et risque de faire grimacer plus d’un en les sermonnant le matin. Mais il sera assez ferme pour que personne ne la ramène. »
La porte de l’auberge grinça légèrement en s’ouvrant très lentement. Dans l’encablure de la porte apparut lentement un humain plutôt pataud et malgré tout très musclé. Une peau de bête sur les épaules. Il balaya la taverne d’un regard sombre et s’arrêta sur le grand maître. Il lui adressa un sourire. La taverne était devenue silencieuse. Chacun ayant tourné son regard vers la porte de l’auberge. Le véloce guerrier avança d’un pas dans l’auberge en clamant d’une grosse voix rauque : « J’ai repris votre épée des mains de maître Paclaus comme vous me l’aviez demandé. »
Le grand maître bondit de son siège avec un regard rempli d’un grand espoir. « Vous avez l’épée de la roche ?
— Oui, affirma le guerrier. »
Il tira une longue lame grise au reflet bleuté pâle qui était rangé dans un fourreau placé dans son dos. Le pommeau était très simple, en forme de croix. À chaque extrémité de la croix, une grosse pierre rouge sang était incrustée dans le métal. La poignée recouverte d’un cuir marron qui semblait ne plus avoir d’âge, mais toujours fermement accrochée. « L’épée de la roche. Enfin ! Soupira le grand maître. »
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