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Chapitre 12 : La magie elfique

Alendomïën descendait les marches de l’escalier en colimaçon de la tour de magie de Haches. Son regard était noir de colère. Chacun de ses pas était marqué.
Elle fulminait.
Elle était lassée par toutes ses histoires. Elle perdait son temps pour des formalités et pour un passé dont elle ignorait tout. C’était bien là la cause de tout son malheur, si seulement elle avait une parenté clairement définie.
Elle n’avait pourtant d’autres choix que de faire avec. Elle voulait pourtant être tout simplement une lanceuse de sort ayant l’autorisation d’exercer son don et son art dans la tour de magie de la ville où elle vivait. Ce n’était pourtant pas faute de montrer ses capacités, de faire valoir qu’elle était une apprentie du grand maître. Rien que cette dernière information aurait dû être en mesure de lui ouvrir de nombreuses portes, mais non, les archivistes de la tour de magie de Haches étaient butés et bornés sur les formalités administratives.
Elle ne pouvait pas avoir une place ici tant que ses affiliations ne seraient pas clairement définies. Pourtant, c’était simple à comprendre, elle n’avait aucun souvenir de sa famille. Le grand maître l’avait recueilli dans sa demeure une quinzaine d’années plus tôt et d’après ses dires, il n’en savait pas plus sur Alendomïën qu’elle.
Alendomïën
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Elle était pourtant une lanceuse de sort rare même pour les elfes. Une magelsorf ! Le plus haut rang des lanceurs de sorts dans le peuple elfe. Elle possédait le don de la magie de façon bien plus prononcée que n’importe quel autre lanceur de sort. Mais même cette vérité ne faisait pas bouger les inamovibles archivistes surs de leurs procédures et ne voulant pas y déroger, elle devait se soumettre à leurs exigences.
La magie, elle baignait dedans aussi loin que remontent ses souvenirs. Ce phénomène que l’on appelle la deuxième force. La première étant la vie elle-même et la troisième l’énergie. Cette deuxième force ne peut s’apprendre, il faut avoir le don.
Et elle l’avait !
Elle se souvenait encore de sa première expérience face à la magie. Non préparée, elle avait pensé très fort souhaiter que la table à manger du grand maître s’écroule. Le phénomène se produisit ! Les quatre pieds cédèrent en même temps ! Elle se rappela ensuite que son corps lui avait semblé lui échapper. Elle se vidait de sa propre vie !
Finalement, après quelques heures de repos elle avait repris connaissance. Le grand maître avait veillé sur elle et ne lui avait jamais rien reproché quant à la perte de sa table.
Le grand maître lui avait expliqué la magie et ses principes. Principalement le facteur récupération ! Elle puisait dans les propres forces qui animaient sa vie pour renouveler sa magie. Étrange phénomène qu’elle avait appris à maîtriser et contrôler. Son corps bouillait de magie, bien plus que tous les autres lanceurs du groupe. Mais ce n’est pas pour cela qu’elle devait faire n’importe quoi. Sa vie et sa magie ne formaient plus qu’un en elle et si l’un venait à manquer ce serait la fin.
Le grand maître lui avait ensuite confié un livre de magie, son premier. Elle le garde encore précieusement aujourd’hui. Ce fut une révélation, la magie n’a rien à voir avec les grimoires, les écrits, les paroles étranges… Tout ça c’est pour donner le change aux incrédules, aux ignorants. La réalité est bien plus simple et définitivement ridicule. La magie n’est qu’image. Sa première expérience avait été de créer l’image de la table s’écroulant et c’est cette image qui passa de son esprit au monde réel par l’intermédiaire de sa magie.
Elle avait parcouru le livre du grand maître en ouvrant de grands yeux. Les textes en elfiques s’étaient brouillés en quelques instants pour ne laisser place qu’à des images. Les livres de magie n’étaient que des livres d’images ! Mais chaque image porteuse de morts, de malédiction… Il ne fallait pas prendre tout cela à légère. Elle avait appris à contrôler les images de ses pensées. Chaque image n’était pas faite pour trouver une réalité. Et surtout, il restait un fait, rien ne se crée, rien ne se perd… tout se transforme. Et c’est son corps, la magie enfermée à l’intérieur, qui se transforme pour donner forme à ses images.
Comme tous les autres lanceurs de sorts, elle avait appris à donner le change en retenant des formules absurdes, des gestes, des faciès. Lancer un sort était devenu un spectacle pour celui qui le lançait.
Alendomïën continua de ruminer sa colère en arrivant sur le palier de la tour de magie. Son esprit était rempli d’images où la tour de magie s’écroulait ou partait en fumée grâce à de puissantes flammes rougeâtres ou encore englouties dans une crevasse qui se serait ouverte sous elle. Mais elle retint chacune de ses images au sein de son esprit.
Elle avait certainement la capacité de donner une réalité à ses images. La dépense magique pour la réalisation de son image aurait été importante, mais pas insupportable à la vue du niveau qu’elle avait atteint. Elle ne devait pas faire ce geste le grand maître lui en aurait voulu. Elle devait prendre exemple sur la patience du grand maître.
Prochainement, elle aurait un droit d’accès à la tour de magie et alors elle aurait accès à encore plus de livres… plus d’images. Toujours des images. Il n’y avait que cela dans la vie d’un lanceur de sort collectionner les images dans son esprit ou en les transposant dans les pages blanches d’un grimoire afin de les visualiser en temps voulu.
Elle jeta un regard noir et froid aux deux gardes postés devant la porte d’entrée de la tour. Ils ne cherchèrent pas à l’arrêter. Les deux gardes restèrent immobiles, impatients que la magelsorf quitte la tour de magie. Ils ne souhaitaient en aucune manière la provoquer. Leur vie était déjà assez compliquée avec tous les lanceurs de sorts officiels de la tour de magie pour ne pas vouloir subir les malices de ceux qui n’en faisaient pas parties.
Alendomïën chassa les images de son esprit d’un mouvement de main devant ses yeux qui firent sursauter les gardes qui crurent à l’exécution d’un sort. La surprise et la peur des gardes face à ce geste anodin eurent au moins le privilège d’accrocher un léger sourire sporadique sur les lèvres d’Alendomïën.
Elle passa rapidement l’entrée de la tour de magie de Haches. Elle était d’une humeur maussade. Cette réunion ne s’était pas déroulée comme elle l’aurait souhaitée. Elle voulait admettre la nécessité pour le conseil des archivistes de la tour de vérifier de nombreux éléments afin de ne pas déroger à leur règle ancestrale. Au fond, elle reconnaissait l’utilité de respecter les règles. Elle faisait pourtant tellement d’effort pour y parvenir que leur refus renouvelé l’exaspérée. Elle ne souhaitait plus comprendre, elle voulait sa place dans cette tour de magie, ce n’était pourtant pas une requête si compliquée à traiter.
Il n’y avait rien à faire, leur flexibilité était proche du zéro. Un manque de modernité soupira Alendomïën en s’éloignant de la tour à grands pas. Elle ne se retourna pas un seul instant, personne ne la suivrait de toute manière.
Elle repensait encore à toutes les démarches qu’elle avait entreprises jusqu’à maintenant. Elle avait déjà rouspété contre les délais imposés entre les différentes réunions. Là où il y avait une possibilité d’accélérer en enchaînant… eh bien non, les archivistes préféraient repousser de quelques semaines pour avoir le temps de réfléchir. Il n’y avait pourtant pas matière à réfléchir. Elle respectait ses délais à la lettre bien malgré elle. Elle était une élève du grand maître et ne voulait pas salir sa réputation par un trop grand coup d’éclat.
Le grand maître en avait fait déjà bien trop pour elle. Il lui avait accordé du temps, des grimoires de sa bibliothèque et une formation la plus précise possible de la magie. Même s’il n’était pas un spécialiste dans ce domaine, elle devait bien reconnaître qu’elle devait toutes ses connaissances actuelles à ce vieux bonhomme plusieurs fois millénaire. Elle n’aurait jamais assez de tout une vie pour le remercier. Elle aurait au fond d’elle une reconnaissance éternelle pour tout ce qu’il avait fait.
Le grand maître avait fait de son mieux et il ne pouvait plus en faire plus. C’était désormais à elle de rentrer dans une tour de magie pour parfaire son apprentissage de la magie grise. Elle devait surtout parcourir les livres de magies elfiques et partager des connaissances avec d’autres lanceurs de sorts elfiques.
Si la magie n’était qu’image façonnée par l’esprit, avant d’être matérialisé par la puissance de la magie, il y avait autre chose. Chaque être avait sa propre façon de penser et créer ses images. C’est bien pour cela que le grand maître avec son esprit humain, ne pouvait plus l’aider elle avec son esprit d’elfe. La magie blanche, celle des humains, ne pouvait pas être représentée par l’esprit des elfes. Les images ne sont que partielles ou difformes. Elle ne pouvait plus y couper, elle devait apprendre auprès de ses congénères les elfes.
Elle désirait rejoindre la tour de magie de Haches pour accéder à des connaissances elfiques. Si elle avait toujours respecté les traditions et les coutumes des lanceurs de sorts jusqu’à aujourd’hui. Elle aurait voulu qu’elles ne soient pas présentes pour son entrée dans une tour. Bien entendu, elle avait le sentiment que dans ce cas précis les traditions n’y étaient pour rien.
Elle n’avait toujours pas rejoint la tour de magie de Haches pour des raisons si mesquines qu’elle se doutait que quoi qu’elle fasse pour faire valoir ses droits, ils finiraient par la refuser.
Alendomïën poussa un long soupir à cette idée. Comment allait-elle réagir, le jour où ils exprimeraient leur refus définitif ? Pourrait-elle retenir les images de destruction de la tour ? Son visage exprima toute sa frustration. Ses longs cheveux blonds avaient pris une légère teinte rouge sous le coup de la colère. Une accumulation trop importante de magie autour de son esprit. L’effet se dissipa lorsqu’elle aperçut Anis l’attendant à une terrasse d’auberge faisant face à la tour de magie.
Le visage rempli de colère d’Alendomïën ne laissa pas Anis indifférent. Et elle sut tout de suite ce qui s’était produit où tout du moins dans les grandes lignes ? Sa chère amie Alendomïën n’était toujours pas la bienvenue dans la tour de magie. Maudit soit, ses archivistes pensa Anis en cherchant les mots pour calmer un peu Alendomïën lorsqu’elle viendrait s’installer avec elle.
Anis feuille vive
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Anis ne trouvant pas une bonne formulation se contenta de la saluer discrètement d’un geste de la main légèrement timide. Alendomïën resta silencieuse. Elle prit place face à Anis, mais ne sembla pas remarquer sa présence ni son geste. Ses yeux étaient plongés dans le vague. Anis l’observa sans rien ajouter. Elle avait attendu plusieurs heures qu’Alendomïën sorte de la tour, elle pouvait bien attendre encore un peu qu’elle ait terminé sa conversation télépathique !
La situation ne fut pas très longue à décanter. Alendomïën cligna plusieurs fois des yeux comme pour reprendre ses esprits et elle accorda un maigre sourire à sa compatriote elfique. Anis lui rendit un sourire radieux. « À la vue de ta bonne humeur, nous n’allons pas évoquer le cas de la tour, indiqua Anis.
— Évitons le sujet, soupira Alendomïën en baissant un peu les épaules.
— Comme tu le souhaites, indiqua Anis en affichant un sourire constant. Parlons de ce jeune héritier dans ce cas. Un sujet neutre, où je suis certain que tu as des choses à conter.
— Le gamin ? S’exclama Alendomïën un peu surprise. Pour le moment, rien n’est prouvé à son sujet. C’est qu’un pauvre gamin sortit de sa campagne et dont on veut l’affubler de toutes nos espérances. Pauvre petit, je n’aimerais pas être à sa place.
— Il n’est peut-être pas encore reconnu comme un héritier, continua Anis. Mais le grand maître semble y croire fermement à cette probabilité.
— Le grand maître n’a aucune raison de douter, expliqua Alendomïën. Depuis des années, il cherche quelque chose qui le mènerait sur cette voie. Je ne douterais jamais des capacités du grand maître, mais cette histoire n’a duré que trop longtemps. Je suis très heureuse que ce gamin vienne relancer un peu nos vies. Et peu importe, qu’il soit un héritier ou qu’il ne le soit pas. Au moins, nous allons agir. Le grand maître veut croire en cette légende, je le laisse faire. De mon côté, ce gamin ne nous apportera rien de plus. Il ne sait rien faire de ses dix doigts, on ne devient pas un héros comme cela.
— Je ne suis pas d’accord avec toi, exprima Anis. Il est peut-être incapable de tenir une épée ou encore d’utiliser la magie comme toi. Mais il a quelque chose que peu de personnes peuvent se venter d’avoir. Dis-moi franchement combien de personnes auraient choisi entre vivre ou laisser vivre une autre personne inconnue quelques minutes auparavant. Ce gamin a fait ce dernier choix sans hésitation. Il n’est peut-être pas le grand héros que tu t’étais représenté des héritiers du grand maître. Reste qu’il a quelque chose de particulier.
— Si tu veux, acquiesça Alendomïën avec peu de conviction.
— Et comment que je veux, explosa Anis. C’est tout de même ma vie qui fut en jeu. Tu peux me dire que je n’ai pas assez de recul pour juger avec sincérité. En tout cas, je sais que je pourrais laisser ma vie entre les mains de ce gamin, comme tu le dis si bien. Lui ne laissera pas tomber juste pour sauver sa vie. Il a un sens moral.
— Tu t’emballes un peu trop, expliqua Alendomïën en fronçant les sourcils. Tu encenses le héros qui t’a sauvé la vie. Il était peut-être juste trop bête pour tenir un parchemin dans le bon sens. Lorsqu’on ne sait pas utiliser ses dix doigts !... On peut faire des actions stupides qui semblent extraordinaires aux yeux des autres.
— D’accord, on change de sujet, raja Anis. Je ne souhaite pas me fâcher avec toi Alendomïën.
— Je ne le souhaite pas plus que toi, indiqua Alendomïën. J’ai déjà bien assez de colère à cause de cette tour de magie. Ne nous fâchons pas pour des sujets anodins. Je sais que tu tiens à ce gamin parce qu’il t’a sauvé la vie. Ça reste tout de même qu’un gamin et un humain. Il aura peut être un grand rôle à jouer à l’avenir, pour le moment à mes yeux c’est un gamin qui a tout à apprendre de la vie. »
Anis avait passé une commande à l’auberge et elle arriva juste à ce moment-là. Parfaitement synchronisé pour diminuer quelque peu la tension. Anis et Alendomïën furent servis en jus de fruit rouge qui collait légèrement à la paroi transparente de leur verre. Elles prirent le temps de boire une première gorgée avant de reprendre leur discussion.
« Si on oublie que ce jeune gamin t’a sauvé la vie, recommença Alendomïën. Qu’est-ce que tu penses de lui ? Est-ce qu’il te semble être le sauveur que semble attendre le grand maître depuis si longtemps. »
Anis commença par lui répondre à l’aide d’un large sourire. « Toi, ma Alendomïën, tu n’abandonnes pas facilement un sujet, indiqua Anis. Bien entendu que ce gamin n’est pas le nouveau Rouge prêt à renverser l’univers d’un mouvement de doigt. Il est jeune, inexpérimenté et perturbé par tout ce qui lui arrive en ce moment. Mais qui ne le serait pas ? Est-ce que tu te souviens de toi lorsque tu as rencontré le grand maître pour la première fois ? Est-ce que tu aurais clamé sur tous les toits à ce moment-là que tu étais une magelsorf ?
— Tu dois avoir raison, commenta Alendomïën. J’en attends bien trop de ce premier héritier dont le grand maître nous a dépeint tant de qualité. Il nous faut lui donner du temps avant de le juger.
— Je suis persuadé qu’il va nous prouver rapidement sa valeur, indiqua Anis. Mais ce ne sera qu’un héritier. Un individu avec quelques pouvoirs particuliers accordés par un aigle. Il ne sera pas un aigle lui-même. Et même s’il en était un, il faudrait lui laisser du temps. Même Rouge au début de vie n’avait que très peu d’expérience.
— C’est certain que sa course folle dans une navette emperor4 pour rejoindre son père adoptif, l’empereur Jiduis, aurait pu être la fin de sa vie ! Commenta Alendomïën. Un zeste de chance, une dose de folie et une volonté sans nul autre ont forgé Rouge.
— Et surtout sa soif de retrouver sa mère, lui permis d’être le Rouge que l’on conte dans les histoires, ajouta Anis. Au lieu de devenir un grand héros, il aurait pu avoir le même destin que Jiduis.
— J’ai bien conscience que j’en demande trop à ce jeune gamin, expliqua Alendomïën. Je voyais déjà le premier héritier comme un grand héros qui allait nous faire partager son expérience, ses idées, ses connaissances…
— Cela viendra certainement, indiqua Anis. Il est pour le moment un héritier en devenir. Une créature sans expérience qui a besoin de nous. Pourquoi ne pas répondre à cet appel, afin de le faire évoluer dans la bonne direction ? Qu’en penses-tu Alendomïën ?
— Je ne vois pas trop où tu souhaites en venir pour le moment, souligna Alendomïën.
— Le grand maître l’a confié sous la garde de Manu, expliqua Anis. Jusque-là je n’ai rien à dire. C’est le seul d’entre nous qui peut le protéger à chaque minute qui passe. En plus, il ne lui apprendra que de bonnes choses. Mais imagine que Nathax, Rosental ou encore d’autres commencent à l’influencer ! L’image que va rendre Balco ne sera pas à la mesure d’une légende.
— Tu penses éduquer Balco ? Questionna Alendomïën.
— Et pourquoi pas ? S’indigna Anis. Qui nous empêchera de le faire ? Je ne parle pas de l’endoctriner sous quelques formes que ce soit. Mais lui faire part de notre bon sens et notre jugement pour le guider vers ce qui lui semblera juste. Nous venons de dire que ce gamin est encore innocent, c’est peut-être là une chance pour lui de devenir quelqu’un de respecter. Dont les légendes se souviendront de ses actions et non de ses exploits de taverne.
— La tâche ne sera pas facile avec la fine équipe que vivote dans la taverne, souligna Alendomïën.
— Je n’ai en aucun cas évoqué que ce serait une tâche simple, déclara Anis. Je trouve juste que le challenge soit suffisamment intéressant pour être relevé.
— Je te fais confiance pour ça, dit en souriant Alendomïën. Il serait plaisant que l’on puisse avoir un héritier qui ne soit pas un adepte du levé de coude. J’en parlerais à Mardeën, ainsi qu’à Deënie lorsqu’elle sera revenue de son excursion dans le Sud.
— En parlant de Deënie, tu as eu des nouvelles d’elle et des autres, demanda Anis.
— Pas depuis quelques jours, répondit Alendomïën. Ils sont bien arrivés à Néolezan et ils devaient rencontrer le maître des lieux pour discuter de l’alliance avec le grand maître. Je n’ai eu aucune nouvelle depuis. Il n’y a aucune raison d’être inquiètes. Ils vont repartir prochainement si ce n’est pas déjà fait. Ensuite tout va se dérouler comme le grand maître semble le penser… Nous allons renverser l’Empire, enfin uniquement l’empereur, puis forger une alliance solide avec les chevaliers de l’Empire. Puis capturer la cité des neiges, pour revendiquer l’usage de leurs oiseaux géants. Trouver des alliés arklins autour de la cité de Bemiz et des nains proche du pic des runes. Idéalement une main sera tendue vers la comtesse de San Angelos et vers l’empire lézard. En quelques jours, le royaume que souhaite mettre sur pied le grand maître sera doté d’une notoriété et d’une armée capable de rivaliser avec les forces des ténèbres.
— Présenté comme ça tout semble si simple et alléchant, commenta Anis.
— Comme toujours lorsque l’on projette une idée, appuya Alendomïën d’une voix légèrement triste. Aucune partie de ce rêve ne sera acquise d’avance, même avec le soutien du grand maître. Mais l’enjeu vaut bien une petite prise de risque. La liberté ne s’acquiert pas que dans les écrits. »
La discussion fut interrompue par l’arrivée d’une autre elfe. Elle interpella Alendomïën et lui expliqua rapidement la situation. Le grand maître venait de donner les dernières directives pour la bataille. Les troupes de Lichn étaient bien plus prêtes qu’il ne l’avait imaginé dans un premier temps. Ils devaient tous se tenir prêts à en découdre. Alendomïën et Anis quittèrent la terrasse de l’auberge à grands pas.
En moins de trente minutes, elles arrivèrent en vue de la porte Sud. La garde de la cité s’était préparée à l’assaut en préparant de nombreuses barricades sur la place de la porte Sud. Les trois elfes restèrent quelques minutes au centre de la place à discuter. Alendomïën et Anis décidèrent de partir sur la muraille afin de suivre le conflit. Mardeën préféra rester sur la place. Elle avait ordre de surveiller les agissements de la garde afin qu’il ne prenne pas d’initiative préjudiciable pour la cité.
Alendomïën et Anis s’installèrent sur le chemin de ronde. Elles purent observer les centaines de squelettes avancer d’un pas saccadé vers la grande porte Sud. Aucune des deux n’était inquiète. Elles n’étaient pas là pour ça. Alendomïën était venue pour combattre les lanceurs de sorts qui avaient animé cette armée d’os et Anis devait uniquement protéger Alendomïën pendant que son esprit serait accaparé à créer des images…
La bataille vint à commencer. Les premiers cris rugirent de toutes parts. Les chocs de métaux résonnèrent. L’air ambiant prit une légère odeur de mort. Alendomïën laissa ses sens s’imprégner de l’atmosphère sans émettre de jugement ou remarque. Elle cherchait dans le fond de l’air l’attraction de la magie.
Si un ou plusieurs lanceurs de sorts étaient dans les rangs adverses, elle allait le sentir. La pensée, les rêves se concrétisaient par la magie, chaque pensée ainsi engendrée demandait un apport de magie de la part du lanceur. Cette fluctuation de magie créait des courants d’air particulier. Invisible pour l’esprit non averti aux uses de la magie.
Elle recherchait donc cette variation dans l’air. Le petit indice qui allait lui indiquer à qui elle pourrait être confrontée. Le grand maître tenait à que cette bataille soit leur dernière épreuve avant qu’ils puissent jouir de plus de liberté.
Des épreuves, ils en avaient subi de nombreuses. Des missions, des tests, des confrontations, le grand maître les avait placés dans toutes les situations possibles. Changeant les effectifs, afin que chacun trouve ses forces et ses faiblesses. Mais surtout, il avait fait de cette bande de gamins perdus, un groupe uni où la vie de chacun d’eux importait les autres.
Ils avaient tous survécu jusqu’à présent, mais la mort les attendait. Bon nombre d’entre eux passeraient de vie à trépas dans l’avenir et encore plus rapidement dès que le grand maître leur donnerait cette liberté de mouvement et de décision. Chacun attendait ce moment, tout en le redoutant.
« La dernière épreuve, se répéta Alendomïën dans la tête. » Pour certains d’entre eux, la dernière épreuve était le voyage dans le Sud. Pour tous ceux restés à Haches, ce serait cette bataille. Elle souhaitait prouver au grand maître sa valeur. Sa reconnaissance pour tout ce qu’il avait pu lui apprendre.
Chacun devait montrer sa valeur, mais avec un détail particulier pour ce dernier challenge. Il y avait un être particulier à protéger. Il se révélera peut-être n’être qu’un simple paysan. Mais le grand maître ne leur pardonnerait jamais d’avoir perdu Balco sans avoir pu vérifier lui-même si sa supposition était la bonne.
Elle resta silencieuse au côté d’Anis. La marche des squelettes venait de débuter, mais ce n’était pas son rôle d’intervenir pour le moment. Elle aurait pu faire déferler une tornade au milieu des squelettes pour les anéantir par une simple pensée de l’esprit. Mais même si l’idée était tentante, il y avait trop de risque encouru. La dépense de magie serait importante et elle risquait de subir une attaque de la part des sorciers de l’armée de Lichn. Elle devait pouvoir riposter.
Et puis de toute manière, les autres membres du groupe lui en auraient voulu d’intervenir dans leur conflit. Principalement le nain Nathax, il lui aurait hurlé dessus d’avoir simplement tout tué alors que lui aurait pu faire aussi bien sans grand effet de magie. Du caractère, il en avait, mais des ressources aussi. Alendomïën esquissa un sourire rapide en y pensant. Elle était tout de même heureuse de compter le nain parmi ses amis plutôt que ses ennemis.
Les premières échelles tombèrent contre la muraille. Alendomïën fit un petit mouvement de tête en direction d’Anis. Elles n’avaient rien à faire pour le moment et le plus simple était de redescendre provisoirement en bas de la muraille. Alendomïën ne devait pas révéler sa présence et combattre les quelques squelettes qui cherchaient à gravir la muraille ne lui apporterait rien. Elle devait rester en retrait. Son tour viendrait bien assez tôt.
Alendomïën retourna au pied de la muraille suivie par une Anis qui assurait ses arrières. Elles trouvèrent une place proche d’une barricade de fortune bâtie par les gardes de la cité. Alendomïën n’était pas d’humeur à discuter, Anis compréhensive ne dit rien et se contenta de regarder partout autour d’elle.
Plusieurs minutes s’écoulèrent, avant que Alendomïën ne fronce les sourcils et que son visage ne devienne encore plus sérieux qu’à l’accoutumée. Une fluctuation dans l’atmosphère venait de titiller ses sens. Les cris redoublèrent d’intensité tout autour de la place ce qui la conforta dans sa conclusion.
L’atmosphère était encore saturée par la magie qui venait d’être dépensée. Imperceptiblement pour la majorité des êtres vivants et même de la plupart des lanceurs de sorts. Mais pour Alendomïën c’était l’un de ses dons, l’une de ses grandes forces. La magie coulait dans son corps et elle était sensible à sa présence. Elle pouvait sentir la fluctuation de la magie dans l’air.
Nul sorcier ne pourrait la prendre à défaut. Elle l’aurait ressentie bien assez vite. Là elle savait, elle n’avait nul besoin de l’avoir vue, la grande porte de Haches devait être en train de sombrer sous la puissance de flammes magiques.
Elle aurait pu contrer ce sort si simple et primaire dès qu’elle l’avait ressentie dans son être. Mais à quoi bon ! Cette porte aurait cédé un peu plus tard de toute manière, elle ne pouvait pas tout faire seule. Il est même possible que cette brèche dans la défense de Haches devienne un avantage. L’assaut allait être initialisé et les lanceurs de sorts de l’armée de Lichn resteraient en arrière avec moins de protection autour d’eux.
Elle aurait donc la possibilité de leur nuire. Une guerre entre magiciens, un équilibre magique dans cet affrontement. Alendomïën esquissa un léger sourire sur son visage marqué par la concentration qu’elle maintenait en elle. Quelques-unes de ses longues mèches blondes prirent une teinte légèrement rougeâtre à cet instant. Un brasier léger semblait l’avoir enveloppé entièrement.
Elle respirait lentement, son esprit vagabondait dans les airs à la recherche d’indice sur le nombre de lanceurs de sorts présents dans l’armée adversaire. Les magies sombres, très caractéristiques dans leur fluctuation de l’atmosphère, ne purent échapper très longtemps à vigilance d’Alendomïën. Elle put ainsi en dénombrer cinq.
Seulement cinq ! Alendomïën était surprise qu’un nécromant puisse négliger à ce point l’intérêt de maîtriser la partie magie d’une guerre. Soit, il s’agissait juste d’une avant-garde pour tester les défenses de Haches. Soit Lichn redoutait que ses actions inspirent d’autres lanceurs de sorts qui auraient pu revendiquer sa place.
Alendomïën en relâchant quelques bouffées d’air par les narines ne pensait pas se tromper en envisageant la peur de Lichn de former un apprenti plus puissant que lui. Lichn avait bien été le disciple de Zarox avant de défier son autorité !
Mise en confiance par la faible opposition magique qui lui était proposée, Alendomïën s’élança de nouveau vers la muraille. Elle devait les voir, même de loin afin de les défier. Elle jeta un rapide coup d’œil derrière elle, Anis n’avait pas bougé. Elle surveillait toujours les faits et gestes de Balco afin de lui porter secours, si cela semblait nécessaire. Elle ne remarqua pas le départ d’Alendomïën, ses yeux étaient fixés sur le seul Balco.
Alendomïën esquissa un nouveau sourire. Mais cette fois, c’était de l’amusement. Anis ne semblait pas se rendre compte de l’obsession qu’elle avait de protéger Balco, se transformant petit à petit en amour ! Tout cela parce que ce jeune héritier et protégé du grand maître avait eu le courage de la sauver au péril de sa propre vie.
Même amusée, Alendomïën ne souhaitait qu’une chose, c’est que cette histoire romantique perdure le plus longtemps possible. Alendomïën marcha à grandes enjambées et elle se rapprocha, à nouveau, de la muraille de Haches.
Elle plissa légèrement les yeux en constatant que le chemin de ronde était occupé autant par des squelettes que par la garde ou ses compagnons. Elle avait imaginé pouvoir trouver une place facilement sur la muraille afin de défier les lanceurs de sorts cachés au loin dans la plaine. Elle ne se démonta pas pour autant.
Il n’y avait là que des squelettes. Elle repéra Gatrac-goharic, l’arklins noir, à une centaine de mètres de sa position combattant des squelettes proches d’un des escaliers permettant d’accéder au chemin de ronde. Elle se dirigea vers lui. Elle avait confiance en Gatrac-goharic pour être en mesure de la protéger lorsqu’elle n’aurait plus son esprit concentré sur ce qui l’entourait.
Une bataille magique allait occuper toutes ses pensées. Gatrac-goharic allait être le bras droit idéal. L’arklins noir n’avait plus besoin de lui prouver ses capacités au combat. Elle les connaissait depuis longtemps. Gatrac-goharic était certainement aussi doué que Nathax en combat rapproché, mais avec un brin de réflexion supplémentaire. Nathax avait la ténacité de ses ancêtres nains, Gatrac-goharic l’intelligence tactique, même si ce n’était pas une caractéristique habituelle chez les arklins. Chacun sa force ! Il savait tous les deux la mettre en valeur.
Les images affluèrent dans l’esprit d’Alendomïën. Elle pensa. Elle imagina. Elle matérialisa l’anéantissement des squelettes autour de Gatrac-goharic. Les os scintillèrent dans son esprit, puis explosèrent les uns après les autres dans un brouillard de poudre blanche. L’idée… l’image fut de plus en plus présente dans son esprit. La magie vint faire le reste.
Les images de son esprit furent enveloppées par la magie déambulant dans son corps, dans ses veines, dans ses sens. Et ce qui était qu’une idée au départ finit par prendre forme !
Tout autour de Gatrac-goharic, les squelettes explosèrent en poussière blanche. Alendomïën marmonna quelques mots elfiques pour donner le change et consistances à son sort. La magie était plus simple lorsque l’image était transformée en mot préalablement. Même si finalement les mots ne servaient à rien dans la réalisation et l’exécution du sortilège. C’était une méthode plus facile pour garder sa concentration.
Gatrac-goharic tourna la tête dans la direction d’Alendomïën qui le rejoignait sur le chemin de ronde maintenant dépourvu de la présence des squelettes sur une cinquantaine de mètres. Il émit juste un grognement, mais n’ajouta rien. Alendomïën ne lui en laissa pas le temps de toute manière. Elle savait que l’arklins noir n’avait pas dû apprécier son intervention, mais il était suffisamment intelligent pour en comprendre les raisons. Il lui pardonnerait son intervention magique un peu brutale.
Gatrac-goharic
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« J’ai besoin de tes muscles Gatrac-goharic, entonna Alendomïën en parcourant les dernières marches de l’escalier menant au chemin de ronde. Je souhaite me confronter aux sorciers. Mais je vais avoir besoin d’espace et de calme. Tu penses pouvoir m’offrir une situation favorable ? »
L’arklins noir afficha un large sourire qui fit apparaître ses dents jaunies entre ses lèvres d’un vert marécageux. Il n’ajouta pas un mot, mais Alendomïën n’avait pas besoin de plus. Elle savait que Gatrac-goharic allait faire le nécessaire même si cela devait se faire au péril de sa vie. Il se retourna vivement et fit exploser une tête de squelette qui émergeait d’une échelle adossée contre la muraille.
L’idée traversa l’esprit d’Alendomïën de faire brûler toutes les échelles. Mais elle ne donna pas plus de matière à son idée. Elle devait garder son influx magique pour affronter les sorciers dirigeant cette horde de squelettes. Elle se tenait bien droite sur la muraille, la grande plaine entourant la cité de Haches bien visible. L’armée de squelettes avançait droit vers la muraille et plus particulièrement vers la grande porte sud qui était maintenant ouverte. Elle aperçut quelques démons de grandes tailles, mais ne s’y attarda pas spécialement.
Ses sens lui révélèrent ce qu’elle recherchait. La présence des sorciers de Lichn. Cinq cavaliers bien en arrière de l’armée de squelettes. Plus proche de la lisière des bois que de la muraille. Mais la distance n’allait rien changer. Elle venait de les détecter, de les voir, elle allait pouvoir les affronter dans un combat de magie dont elle espérait bien ressortir victorieuse.
Elle resta immobile les deux mains posées contre les remparts. Un visage impassible. De grands yeux ouverts fixant la plaine dans sa globalité. Si son champ de vision était total, elle ne se focalisait que sur les mouvements de magie qu’elle pouvait ressentir. Elle observa pendant plusieurs longues secondes où le temps sembla suspendu autour d’elle.
Elle avait décelé la présence des cinq sorciers, mais elle souhaitait être certaine qu’il n’y en avait pas plus. Elle ne souhaitait pas être prise au dépourvu en découvrant la présence de Lichn en personne, cachée dans l’ombre des bois. Si douée fût-elle, elle n’avait pas l’arrogance de défier Lichn. Il avait plus d’expérience et de capacité qu’elle.
Les idées commencèrent à affluer dans son esprit. Elle les laissa passer pour en étudier chaque image, elle en rejeta de nombreuses sans chercher à les développer. Elle allait confronter ses images et sa magie sur d’autres lanceurs de sorts. Elle ne pouvait pas faire tout ce qu’elle désirait. Le premier coup qu’elle allait porter devait faire mal sans que les lanceurs de sorts des ténèbres puissent interférer.
Ensuite, le combat magique pourrait commencer. Ils riposteraient avec leur image et leur magie. Et elle en ferait de même. L’esprit le plus vif accompagné de la magie la plus stable et contrôlé remporterait le conflit.
Elle continua de bercer son esprit d’image. Des éclairs, des sables mouvants, des poignards, des lances… tout y passait. Finalement, elle arrêta ses idées sur une boule de feu. Un énorme caillou qu’elle enflammerait par magie. Cette attaque ne serait certainement pas mortelle. Les lanceurs de sorts auraient le temps d’esquiver son offensive. Mais leurs chevaux auraient de grandes chances d’être effrayés. Les cinq sorciers à pied seraient des proies plus faciles à attaquer par la suite.
Elle adopta l’idée. Son esprit commença à faire le reste. Elle décela une pierre de taille imposante au milieu de la plaine juste sous quelques mètres de terre. Elle enflamma la pierre dans son esprit. La magie bouillonna en elle. Sa peau prit quelques reflets rouges qui s’estompèrent aussi vite. La pierre incandescente était toujours sous la terre. Il ne lui restait plus qu’à la projeter hors du sol avant de la rabattre entre les sorciers.
Elle y employa tout son esprit. Les images affluèrent, l’idée prit forme. Une nouvelle dose de magie s’échappa de son corps pour donner vie à son idée. La pierre rougeoyante léchée par des flammes bleues et jaunes s’éleva dans le ciel. Une masse importante de terre explosa dans tous les sens lorsque la pierre surgit de dessous.
La pierre de feu était désormais parfaitement visible des cinq sorciers. Alendomïën devait agir promptement pour éviter un retour de flamme. Elle imagina la prochaine direction de la pierre qui s’empressa de suivre son idée. Elle prit de la vitesse et s’engagea dans la direction voulue par Alendomïën. Les sorciers restèrent parfaitement immobiles. Ils étaient en train de se concentrer de leur côté pour chercher à dévier la trajectoire de la pierre enflammée.
Alendomïën crut jusqu’au moment de l’impact qu’elle allait réussir à les détruire tous d’un seul coup. Mais malgré l’explosion de la roche en fusion, tout ne s’était pas déroulé comme elle s’y attendait. Est-ce volontaire ou bien ce fut les sorciers qui le contraignirent, Alendomïën ne le sut jamais. Le corps massif d’un démon s’était placé sur la trajectoire de la pierre de feu. Le démon ne survécut pas à sa collision avec le rocher. Les flammes léchèrent sa peau, en faisant d’elle une couche de cendre.
La pierre elle-même acheva les supplices du démon en s’enfonçant de plusieurs centimètres dans son torse broyant à jamais ses organes et ses os. Le démon tomba sur le dos et la pierre resta figée dans son torse comme une pierre tombale qui lui fut destinée. C’était toujours un démon de moins, pensa Alendomïën. Mais elle aurait voulu faire d’autres victimes dans son premier assaut. Désormais la guerre était déclarée. Elle se doutait que les sorciers étaient dorénavant conscients de sa présence et de sa position.
Elle devait donc se tenir prête à réagir rapidement. À partir de maintenant, elle n’aurait plus que le contrôle de son esprit, son corps était entre les mains de Gatrac-goharic. C’était lui qui assurerait ses arrières. Elle avait confiance en lui, elle ne redouta à aucun moment le danger dans lequel elle plongeait aveuglément.
Sa respiration se fit plus lente. Son esprit était en alerte, elle suivait les fluctuations de la magie autour d’elle. Attendant le signal qui indiquerait la première contre-offensive ! Elle avait lancé la première salve. Elle souhaitait désormais attendre le bon moment pour agir. Et dans son cas, la défense semblait le choix le plus judicieux. Elle avait tout de même cinq adversaires en face d’elle. Elle ne pouvait pas se permettre de dépenser sa capacité magique n’importe comment. Il n’y aurait rien eu de pire que de se retrouver à plat dans un instant pareil.
Elle attendit donc, mais sa patience ne fut pas mise à l’épreuve. Elle obtint satisfaction très rapidement. L’un des sorciers lança un sortilège. Alendomïën décela la muraille sous ses pieds vibrants. Elle ressentait l’accumulation d’un flux magique juste en dessous d’elle. Elle guida son esprit vers ce flux de magie. Elle capta les images, elle comprit l’idée. La magie était la même pour tous, sauf que chaque espèce avait sa propre façon de penser, de générer sa volonté. C’était là, la différence, entre les multiples magies. Non pas la magie elle-même, mais la façon de penser pour imprégner la magie de sa volonté.
Alendomïën ne pouvait interférer sur l’idée, car elle ne pouvait la comprendre complètement. C’était une idée issue de la magie noire. Elle, représentante elfique, maîtrisait ce que l’on nommé la magie grise. La blanche était la couleur désignée pour représenter celle des humains.
Elle ne pouvait influer ou comprendre la magie noire, mais elle pouvait en capter les images et interpréter au mieux l’idée qui était initiée. Suivant le niveau de maîtrise du sorcier en face, les images pouvaient être plus ou moins claires. Dans ce cas-ci, elles étaient limpides.
Alendomïën resta impassible même si cette simplicité laissait présager une issue bien favorable. Elle avait à faire à un novice, un amateur, un débutant. Il n’utilisait même pas les mots. Même si les mots ne servent à rien sur l’idée ou la réalisation. Les mots permettent de dissimuler les images derrière eux. Plus les mots sont absurdes, sans sens précis, plus le masquage des images en devient efficace.
Mais utiliser un mot, ce qui peut sembler être le plus simple dans l’usage de la magie, s’avère en réalité l’exercice le plus complexe. C’est là que l’on peut mesurer la puissance et la maîtrise d’un magicien. Un grand puissant sorcier comme Tatin, par exemple, pouvait rendre ses images totalement invisibles et indescriptibles derrière un murmure. Quoi de mieux qu’un mot prononcé qui ne peut même pas s’entendre ?
Ni mot, ni image, ni même sensation d’une fluctuation de la magie. Tatin n’est pas le grand sorcier de tous les temps pour rien. Sa maîtrise de la magie était proche de la perfection.
Alendomïën capta les images. La muraille devait s’écrouler sous elle. Elle se mit à penser à son tour. Des images puissantes où la muraille tenait debout, où les pierres ne bougeaient pas d’un pouce les unes par rapport aux autres ! Une muraille solide contre les tempêtes, contre le vent, la pluie, les tornades et même les éclairs. Rien ne pourrait ébranler cette muraille.
La guerre magique venait de commencer. Les deux idées se faisaient face ! L’une et l’autre étaient contradictoires. Celui qui aurait l’idée la plus tenace et la magie la plus efficace prendrait le pas sur l’autre. En cas de conflit d’idée, les images de chaque idée se mêlaient dans l’esprit des deux protagonistes. Il fallait pour chacun maintenir le plus possible ses propres images et ne pas se laisser envahir par celles de l’autre.
Le premier qui flancherait intégrerait les images de l’autre dans son idée. Il n’y aurait alors plus de conflit puisque les deux auraient la même image ! Le conflit fut bref. Alendomïën ne s’attendait pas à que ce fut aussi court. Elle s’était préparée à avoir un adversaire avec du répondant. Mais comme elle l’avait supposé dès la première image captée, c’était un très jeune novice.
Il avait si peu d’expérience qu’entrer dans un conflit qu’il n’était pas capable de maîtriser fut la dernière de ses expériences. C’était un danger intrinsèque à un affrontement d’image. Un esprit trop faible ou sans volonté entraînée pouvait se laisser dévorer par les images de son adversaire. Dans le cas de ce lanceur de sort, absorber des images de magie grise que son cerveau était incapable d’interpréter avait mis fin à son existence.
La vie coulait toujours en lui, mais son esprit avait cessé de fonctionner. Finir en légume voila le prix coûteux que l’on pouvait subir à vouloir jouer avec la magie sans y être convenablement préparé.
Alendomïën se méfia tout de même de la tournure des événements. C’était trop facile de s’en tirer de cette manière. Elle doutait que Lichn leur ait envoyé que cinq novices pour assurer la force magique de son avant-garde. Il devait obligatoirement y avoir l’un des lanceurs de sorts avec un niveau supérieur.
Alendomïën esquissa une grimace qui recouvrit son visage. Elle ressentit que son premier adversaire magique avait été sacrifié par les siens. C’était certainement mieux pour lui de finir ses jours maintenant plutôt que de vivre des décennies sans en avoir conscience. Mais tout de même, sacrifier une vie n’était jamais une chose aisée. Elle n’en aurait certainement pas eu le courage elle-même.
Alendomïën n’eut pas le temps pour y penser. Car sa vigilance et son esprit furent de nouveau sollicités. Une nouvelle vague de magie ébranla l’équilibre de l’atmosphère. Elle se doutait que ses adversaires allaient agir de la sorte, elle avait même plus imaginé qu’ils le feraient immédiatement après avoir découvert sa présence. Ils avaient sacrifié un novice dans le seul but de confirmer qu’ils avaient en face d’eux une lanceuse de sort avec de belles compétences.
Alendomïën intercepta les images comme la première fois, mais elles étaient issues de deux esprits. L’assaut magique était différent. Deux lanceurs de sorts avaient coordonné leur esprit pour relier la même image. Ce fut une découverte rassurante pour Alendomïën ! Certes l’accumulation de deux images allait rendre sa tâche plus ardue pour assurer la perte de l’ensemble des idées. Mais c’était dans le domaine du réalisable.
Il aurait été bien plus préjudiciable que les deux lanceurs de sorts envoient des images différentes et qu’un seul des deux souhaitait réellement donner naissance à son sort. Alendomïën aurait dû tenter d’identifier le véritable sortilège par rapport à celui qui n’aurait été qu’un leurre. Bien souvent dans ce cas, rien que le temps de réflexion rendait toute action ultérieure déjà trop tardive. La décision hasardeuse était souvent le meilleur moyen, mais si la chance n’était pas là…
Pour Alendomïën pas de soucis dans le cas présent. Les deux images étaient identiques, les deux lanceurs de sorts souhaitaient la même chose. Alendomïën s’imprégna de l’idée. Les deux créatures des ténèbres orientées leur esprit vers une image commune. Faire s’écrouler la muraille ! C’était une idée récurrente chez eux !
Cette fois c’était une pluie d’éclairs qui devait s’abattre sur elle. Elle souhaita donc se prémunir de cette offensive. Tout en étant capable de réaliser une contre-attaque pour mettre en difficulté au moins l’un des lanceurs de sorts encore présents. Rien n’allait être évident et sa capacité à agir promptement serait mise à l’épreuve.
Elle devait dans un premier temps repousser les éclairs et maintenir un équilibre pour préserver sa magie à un niveau élevé. Car elle était loin de pouvoir se permettre de gaspiller sans raison son potentiel magique. Elle se devait de réagir très rapidement.
Le problème identifié, elle devait imaginer une solution. Elle savait déjà au fond d’elle qu’elle ne cherchait pas à contrôler le sort, mais à rendre caduc l’impact qu’il aurait sur les environs. Elle chercha un moyen de détourner les effets des éclairs vers une autre direction. Elle avait eu une première idée et la rejeta très rapidement pour former une autre idée dans son esprit. Elle visualisa une grande barrière magique autour de la muraille qui aurait la capacité de repousser les éclairs.
Elle se concentra le plus possible, oubliant tout ce qui l’entourait. Elle devait agir vite, car déjà les premiers éclairs surgirent au-dessus des lanceurs de sorts des ténèbres et se dirigèrent vers la muraille. Son esprit formalisa son idée, la magie bouillonna dans ses veines et elle ressentit intérieurement le crépitement des éclairs le long de sa peau lorsqu’ils percutèrent sa barrière magique.
Les éclairs claquèrent avec violence contre la muraille avant de modifier leur trajectoire. L’effet rebond était incontrôlé par Alendomïën. Elle ne s’était pas occupée de ce détail. Les éclairs partirent vers le ciel, repartirent en arrière sur les armées de squelettes, d’autres vinrent se briser contre les toitures de quelques demeures au cœur de la cité.
Alendomïën était toujours concentrée sur son sortilège de défense lorsque la voix du grand maître vint bourdonner dans son esprit. Quelques mots prononçaient rapidement et qui n’attendaient aucune réponse en retour.
« Change de sort Alendomïën. Celui-ci cause plus de dégâts dans la cité qu’à l’extérieur. »
Alendomïën fut légèrement perturbée dans le maintien de son sortilège. Un éclair profita du court laps de temps pour pénétrer dans sa protection magique et s’écrasa contre la muraille et la fendre en deux. Un passage de quelques mètres était désormais accessible au cœur de la muraille.
Alendomïën grimaça et changea habilement de tactique. Elle riposta à son tour avec une série d’éclairs. Son corps semblait inerte, une légère touche de brume rougeâtre entourait son corps. La moindre personne qui l’aurait touché à cet instant aurait reçu plus d’éclairs dans le corps qu’il n’aurait pu en voir au cours d’une vie entière.
Alendomïën matérialisa dans son esprit des éclairs défensifs chargés de frapper les éclairs se dirigeant vers la cité. Mais elle ne s’arrêta pas à cela, des éclairs offensifs émergèrent de ses idées. Leurs cibles étaient les quatre sorciers derrière les lignes de squelettes. Son corps crépitait d’une saturation de magie.
Elle accompagnait chaque éclair, qui se forgeait dans son esprit jusqu’à sa matérialisation au-dessus d’elle. Et pour chacun elle le dissimula derrière un mot. Des mots courts, sans fondement, sans signification précise, mais qui aidaient à maintenir sa concentration et sa cadence.
En quelques minutes des centaines d’éclairs avaient zébré le ciel au-dessus de la cité de Haches. Pas un seul éclair n’avait plus touché les habitations ou la muraille de la cité. Trois des sorciers des ténèbres avaient été foudroyés et il n’en restait plus que des cendres noires éparpillées par le vent sur le champ de bataille.
Le dernier s’était protégé par un champ de magie autour de lui. Celui-ci avait absorbé les éclairs d’Alendomïën. Lorsqu’elle put prendre conscience de l’efficacité du sort de protection de son adversaire et surtout que plus aucun éclair ne prenait la direction de la cité. Elle relâcha sa concentration.
Un retour de magie la frappa ! Sa dépense de magie avait été intense et sa perte de magie très importante. Son corps n’avait pas encore compensé cette perte et ce fut comme un grand coup de fatigue qui envahit tout son corps. Elle vacilla sur ses jambes. Des picotements envahirent tous ses membres comme si son sang ne les alimentait plus depuis trop longtemps. Son esprit perdit sa sensibilité pendant quelques secondes.
Le retour de magie ! Elle travaillait pour que cet effet particulier de l’utilisation de la magie soit le plus modeste possible. Elle avait encore du travail à faire en ce sens. Malgré tout, elle avait fait d’énormes progrès en comparaison à ses débuts. Son premier retour de magie avait été horrible, elle avait mis plusieurs jours avant de retrouver la capacité de générer un nouveau sort !
Là, le retour ne dura que quelques secondes. Son corps reprit sa vigueur. Son sang circula de nouveau, une grande vague de chaleur enlaça son corps. C’était toute la magie dépensée qui s’évaporait d’elle. Elle poussa un court soupir et referma son esprit de nouveau pour se préparer à la suite.
Ce combat de magie ne pouvait pas durer éternellement. L’une ou l’autre des parties allait rendre les armes avant. Elle avait une grande confiance en elle. Ses chances de victoire étaient faibles lorsqu’elle fut à une contre cinq. Désormais l’équilibre était respecté dans chaque camp. Un lanceur contre un autre lanceur. Ce qui laissait présager une issue bien plus favorable. En tout cas, aucun relâchement de sa part n’était à envisager. Elle ne savait que trop bien qu’une trop haute estime de soi et une confiance aveugle étaient les premiers signes d’un échec en devenir !
Toute son attention était concentrée sur le dernier sorcier. C’est à peine si elle sentit les bras rugueux de Gatrac-goharic l’enlacer par la taille. L’arklins noir souleva la magelsorf et la plaça sur son épaule comme un vulgaire sac de patates. Alendomïën ne fit aucune remarque, son esprit ressentit à peine le déplacement de son corps. Toutes ses pensées étaient dirigées vers la magie et non plus son physique. Mais c’est bien pour cette raison qu’elle avait demandée à Gatrac-goharic de la protéger.
Trois démons venaient de rentrer dans le conflit. Harangués par le dernier sorcier, les trois démons venaient de se précipiter contre la muraille en créant des brèches. Alendomïën fut malgré tout perturbée dans sa concentration par la voix du grand maître. Balco venait de tomber de la muraille à l’extérieure de celle-ci ! Les paupières de Alendomïën remuèrent rapidement, elle revint progressivement à elle.
Elle constata sa présence sur l’épaule de l’arklins noir. Ils étaient encore sur la muraille, mais à quelques mètres derrière l’arklins noir, une brèche venait d’ébranler la solidité de la muraille. Sans l’intervention de Gatrac-goharic, elle aurait été dans une mauvaise posture… tout comme Balco l’était en ce moment.
La voix du grand maître résonna dans son esprit. « Occupe-toi du dernier sorcier Alendomïën. Tu en es capable. Mardeën et Pys’ch’kim vont se charger du jeune garçon. Ne t’occupe pas de lui. Élimines le dernier sorcier, cela aidera tout le monde. »
Alendomïën allait demander pour les démons, mais elle se ravisa. Elle devait écouter le grand maître et faire confiance aux autres. Nathax ou Manu avaient toutes les capacités nécessaires pour mettre fin à l’existence de ces démons. Elle ferma les yeux et replongea ses pensées dans les images qui gravitaient dans l’atmosphère.
Une chance, le sorcier n’avait pas profité de la petite période d’inattention pour tenter un assaut. Le visage d’Alendomïën resta impassible. Les idées s’accumulaient dans son esprit. Elle voyait un point noir au fond de ses yeux alors que le reste n’était que lumière. C’était la position du dernier sorcier. Son interlude ne lui avait pas fait perdre sa position. Il semblait bouger, certainement en train de donner des ordres à ses dernières créatures. Lui aussi ne semblait pas prêt, elle devait saisir cette chance.
Alendomïën tendit une main devant elle. Gatrac-goharic s’arrêta et il reposa délicatement Alendomïën sur le sol de la muraille en la tenant par les épaules. Le doigt pointait en direction du dernier sorcier. Un éclair jaillit de son index tendu.
Un claquement sourd retentit, puis l’éclair zébra le ciel de Haches. Le sorcier réagit rapidement en reformant une bulle de protection autour de lui. Alendomïën s’y attendait, l’éclair n’était là que pour faire une diversion, ses pensées étaient déjà tournées vers d’autres attaques. Elle pensait vite et donner naissance à toutes ses idées avec une rapidité déconcertante.
Un deuxième éclair suivit le premier. Des pierres tombèrent du ciel en direction de la position du sorcier. Et dans le même temps, une stalagmite constituée de boue compacte se forma sous le sorcier. L’esprit de Alendomïën était submergé par ses idées. Elle vacilla sur ses jambes. Gatrac-goharic continuait de la tenir fermement par les épaules ce qui l’empêcha de tomber.
Les deux éclairs s’écrasèrent sans dommage contre la bulle protectrice générée par le sorcier. Il renforça sa bulle pour repousser l’assaut de la chute de pierre. Mais malheureusement pour lui, les images de la stalagmite se formant sous lui ne lui vinrent pas assez vite. Le pic de boue lui entra dans son corps et le traversa de part en part sans qu’il puisse rien y faire. Sa bulle de protection crépita autour de lui quelques instants, avant de s’évanouir. Les derniers squelettes encore vivant de l’assaut furent coupés de la magie qui les avait générés. Ils s’évaporèrent tous dans une poussière blanche qui se dissipa au vent. Il n’y avait plus de magie des ténèbres pour les maintenir animés.
Alendomïën se laissa tomber sur les genoux malgré l’aide de Gatrac-goharic pour la maintenir droite. Elle toussota. Avec une grande difficulté, elle parla à Gatrac-goharic : « Merci pour ton aide Gatrac-goharic. Tu peux aller rejoindre les autres désormais, je n’ai plus besoin de toi. Les sorciers sont morts et leur armée de morts-vivants aussi. Il ne doit rester que les démons. Encore merci Gatrac-goharic. »
L’arklins noir émit un grognement de satisfaction et il laissa Alendomïën choir sur le sol. Il fit demi-tour pour rapidement descendre de la muraille et engager le combat avec les derniers démons encore présents dans l’enceinte de Haches.
Alendomïën avala plusieurs fois sa salive. Elle subissait son deuxième retour de magie en quelques minutes. Sa respiration devint plus difficile. Son esprit fut inondé par un immense vide. Il faisait noir dans ses idées. Elle ne ressentait plus ni sa magie, ni sa vie. Elle resta inerte pendant une petite minute, avant que son corps ne finisse par reprendre le dessus.
Elle put enfin arborer un large sourire sur son visage. Elle avait fait tout ce qu’on attendait d’elle. Elle espérait que tout cela allait lui permettre d’avoir le consentement du grand maître pour avoir passé avec succès la dernière épreuve !
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