Mortemobire CODEX SULDER
   

Chapitre 5 : La demeure du grand maître

Le sentier s’élargit progressivement. Balco, les larmes aux yeux, cavalait aussi vite que ses jambes le lui permettaient. Il ne ressentait pas la fatigue. Cela faisait plus d’une heure qu’il filait droit devant lui. Respirant fortement. Les yeux embués. La peur lui tiraillait si violemment les entrailles qu’il n’avait pas la volonté de s’arrêter. Son ouïe attentive au moindre bruit de la forêt.
Il était incapable de reconnaître la majorité des sons. Pour lui tout était le signe qu’il était suivi. Il espérait que Homelf puisse être entre de bonnes mains, mais il n’en était pas certain, Lif lui était apparu en contrôle. Toutefois, cette forêt n’était pas aussi paisible qu’il le pensait.
Il continua une nouvelle heure ralentissant inexorablement son allure. Ses réserves s’amenuisaient à chaque pas qu’il faisait. Même s’il ne voulait pas abandonner, son corps finit par être plus fort que son esprit. La peur avait maintenu son influence sur son corps le plus possible. Bien plus que normalement ! Il était parvenu à épuiser son corps. Sa volonté ne pouvait plus rien. A bout de force, il s’écroula les deux mains à plat contre le sol. Le sentier traversait une vaste clairière à l’endroit même où il venait d’arrêter subitement sa course folle.
Balco
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Balco ne vit rien, haletant, épuisé. Sa vision s’était brouillée. C’est à peine s’il distinguait ses mains posées au sol. Il resta, dix longues minutes, prostré, incapable de se relever. Son cœur finit par ralentir ; et péniblement, il parvint à se remettre sur ses deux jambes. Elles le supportèrent avec difficulté. Flageolantes. Balco posa très lentement un pied après l’autre. Il toussota en maintenant du mieux possible son équilibre précaire. Il était encore au bord de l’épuisement.
La peur était pourtant le moteur qui le forçait à continuer. Il était perdu et seul. Son dernier soubresaut d’espoir était de trouver la demeure du grand maître ! Il observa la forêt qui l’encerclait de toute part. Il traversa la clairière en regardant constamment derrière lui. La nuit commença à déployer sa noirceur. La forêt qui lui faisait face paraissait plus sombre et lugubre. Il était résolu à ni dormir, ni se reposer avant d’avoir rejoint sa destination. L’idée même de devoir s’arrêter seul dans la nuit lui glaçait le sang.
Dans l’obscurité croissante de la nuit, il marcha entre les sombres arbres qui émettaient des bruits étranges avec le vent. Des animaux hurlaient et gémissaient. Des yeux jaunes et rouges luisants l’observaient dans le noir. Regardant la lente progression de Balco le long du sentier.
Finalement au bout d’une trentaine de minutes d’une marche d’un pas heurté par la fatigue, une lueur d’espoir lui fit oublier tout ce qu’il venait de subir !
Devant lui la lueur d’un feu ! Une lumière illuminant la forêt qui était pratiquement plongée dans le noir total. Balco avança d’un pas saccadé, mais plus soutenu. Le cœur chargé d’émotion, il oublia la douleur de ses jambes. En avançant, il vit, entre les buissons et les arbres, se dessiner la forme d’une façade de maison. Deux torches étaient placées de part et d’autre de la porte en bois qui devait servir d’entrée à cette demeure. Les yeux de Balco se remirent à lâcher quelques larmes. Des larmes de bonheur cette fois. Balco se déplaça aussi vite que possible jusqu’à se trouver juste devant la porte. Il s’accorda une courte pause en plaçant ses mains sur ses genoux. Il reprit calmement son souffle.
Balco pu esquisser un sourire. Après toutes les épreuves qu’il avait subies, il était parvenu à découvrir la demeure du grand maître. Il regretta qu’Homelf n’ait pu l’accompagner jusqu’au bout du chemin. C’était son premier ami elfique et il l’avait perdu. Balco éprouva un moment de solitude et de chagrin. Mais il parvint à retenir ses larmes. Il ne devait plus regarder derrière lui. Car là, derrière cette porte se trouvait le grand maître.
Il devait faire bonne impression, même si aux yeux du grand maître il allait apparaître comme un vulgaire gamin. Que ferait-il si le grand maître refusait de l’aider et le chassait de chez lui ! Il préféra ne pas penser à cette idée. Il devait convaincre le grand maître du bien-fondé de sa visite.
Balco se redressa. Il fixa longuement la porte en cherchant le courage au fond de lui. Lorsqu’il fut prêt, il tapa nerveusement à deux reprises contre le pan en bois.
Il attendit quelques secondes en souhaitant que sa demande ne reste pas sans réponse. Le temps pour lui de regarder la façade de la demeure en bois. Une vingtaine de mètres de large pour seulement trois mètres de haut. Il n’y avait aucune fenêtre apparente, seule la porte en bois laissait un espoir de pouvoir entrer. Il eut un sursaut de stupeur en entendant des bruits qu’il assimila à des voix dans son dos. Il jeta un regard très inquiet derrière lui, observant la forêt plongée dans la nuit noire. Il frappa une fois de plus contre la porte en suppliant en lui-même pour que la porte s’ouvre et qu’on vienne le sauver de cette situation qu’il ne parvenait plus à supporter. Angoissé, il se mit à trembler comme une feuille.
Le vœu de Balco fut exaucé ! La porte s’ouvrit brusquement à moitié sans faire le moindre bruit. Une tête passa par l’entrebâillement et observa rapidement Balco de bas en haut. Balco baissa un peu les yeux tout intimidés et ne sachant plus que dire. Il dévisagea furtivement la personne qui venait d’ouvrir la porte. C’était un homme d’une trentaine d’années. Une barbe noire recouvrait la majeure partie de son visage. Ses yeux noirs observaient Balco avec prudence : « Qui êtes vous étranger ? Entama l’homme d’une voix sévère. »
Balco fut pris d’un spasme qui secoua ses épaules. Il balbutia quelques sons incompréhensibles. L’homme plissa un peu plus les yeux sur Balco en se faisant un peu plus menaçant. Puis il répéta sa question plus sévèrement : « Qui êtes-vous pour déranger le sommeil du grand maître ? Si vous osez venir en ennemi, sauvez-vous avant que je ne vous tue. Si vos raisons sont justifiées, je vous laisserai peut-être entrer.
— Je suis désolé de déranger le grand maître à une heure si tardive, exprima Balco timidement.
— Vous êtes déjà conscient de l’heure, argumenta l’homme prenant toujours toute l’encablure de la porte. Ce n’est pourtant pas pour cela que je vous laisserais pénétrer le seuil de cette demeure !
— C’est un peu le hasard qui m’a conduit à cette heure dans cette demeure, dit Balco d’une voix toute tremblante.
— Le hasard ! Grogna l’homme. Alors, repartez d’ici, vous n’avez rien à faire en ce lieu.
— Je… je… je viens de la part de Taruis ! Expliqua Balco fébrile en désespoir de cause.
— Vous venez de la part de Taruis ! Souffla l’homme surpris et pas vraiment convaincu. »
L’homme ouvrit en grand la porte pour dévisager un peu mieux Balco. Il s’attarda sur sa tenue avec une grande méfiance. « Taruis dites-vous jeune homme ? Questionna l’homme.
— C’est exact, enchaîna Balco en faisant des petits yeux. C’est le magicien Taruis qui m’a conseillé… et même fortement obligé à venir rencontrer le grand maître.
— J’ai vraiment beaucoup de mal à te croire mon jeune garçon, gronda l’homme. Malgré tout, je vais prévenir le grand maître de votre présence. Il verra bien par lui-même si votre histoire est crédible. Je vous déconseille de mentir au grand maître, il n’appréciera pas cela.
— C’est pourtant la stricte vérité monsieur, dit Balco en tremblant de nouveau. Taruis veut que je croise le grand maître… il pense que je pourrais être utile au grand maître…
— Si c’est la volonté de Taruis, je ne la contredirais pas, indiqua l’homme en reprenant un ton sévère. Je ne suis pas là pour vous juger. Le grand maître est bien capable tout seul de détecter un menteur. Et vous le regretterez si c’est le cas. Je vous conseille amicalement de fuir à toutes jambes la porte de cette demeure si vous n’êtes pas certain de la véracité de vos dires. Dans le cas contraire, entrez par cette porte et attendez que je revienne vous chercher. Je vais prévenir le grand maître de votre venue. »
Sur ces mots, l’homme se retourna en faisant signe à Balco d’entrer dans la demeure et il s’éclipsa en hâte le long d’un couloir. Balco fut assez surpris, mais il n’hésita pas à entrer rapidement dans la demeure, trop heureux de pouvoir se sentir un peu à l’abri. Il avança prudemment dans la pièce qui servait d’entrée pour la demeure. Lorsqu’il eut fait quelques pas dans la pièce, il sentit derrière lui la porte se refermer toute seule. Il se retourna en sursautant pour observer la porte ne comprenant pas ce qui venait de se passer. Il poussa un petit soupire de soulagement, car il n’y avait personne.
La pièce se composait en partie de la réunion de trois couloirs, de très longs couloirs, dont Balco avait du mal à distinguer le fond. C’était une large pièce pavée de petites pierres jaunes et vertes ressemblant plus à une salle de bain qu’à un hall d’entrée. Les murs peints en jaune étaient en plus jaunis par le temps. Quelques tableaux, deux pour être précis, placé de chaque côté du couloir où le garde était parti. l’un des tableaux représentait un portrait du grand maître et l’autre un portrait de Rouge. Le héros bien connu de Sulder et le plus puissant élève que le grand maître ait eu. Même s’il n’apprit presque rien en côtoyant le grand maître. Il avait déjà bien plus de connaissance que ce dernier et cela pour toujours. Le plafond assez bas était lui aussi pavé des mêmes étranges pierres jaunes et vertes.
Alors que Balco continuait à observer la salle, une voix lointaine, semblant venir du sol comme du plafond, lui adressa la parole : « Jeune étranger venu de la part de Taruis. Approchez ! Et dites-moi ce qui vous amène dans ma demeure. » La voix, bien que puissante, était amicale et chaleureuse.
Grand maître
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Balco fut surpris, ce n’était plus la voix du garde. Exprimant la notion de sa propre demeure, il était clair que c’était la voix du grand maître qui venait de résonner à ses oreilles. Cette voix le mettait en confiance. Il était impressionné, mais encore plus soulagé. Il allait rencontrer un être légendaire et surtout ses espoirs de ne pas se retrouver à la porte prenaient un peu plus de consistances. Il ferma les yeux quelques secondes pour profiter de cet instant. Il n’avait pas encore pleinement conscience de la rencontre privilégiée qui l’attendait.
Avec une indication complémentaire, Balco s’avança dans un couloir parsemé de portes, de tableaux et de petites ouvertures menant à d’autres couloirs. Il marcha lentement en cherchant du regard quelques présences. Tout semblait bien vide dans cette demeure. Ce qui le surprit le plus, c’était la démesure du lieu. La maison était comme sans fin. Plus il avançait, plus le nombre de porte, de couloirs et recoins possibles augmentés. Il continua à progresser en direction de la voix !
Parfois, il parvint à entrevoir des pièces derrière une porte un peu mal fermée. Il ne s’attarda pas de peur de se faire disputer par le grand maître. Il continua sa lente marche vers le bout du couloir. Ce dernier était peu éclairé et fort long. Balco marcha bien deux cents mètres avant d’en distinguer finalement l’extrémité !
Il avait bien du mal à comprendre comment ce couloir pouvait être aussi long, la demeure lui était apparue plutôt petite en arrivant. Les proportions ne correspondaient pas du tout. Il estima que les effets conjugués de la nuit et de la forêt, ainsi que sa propre fatigue, avaient dû le tromper lors de son arrivée. Il ne pouvait pas en être autrement. Balco ressentit un léger stress qui lui parcourait les sens. L’émotion de découvrir le grand maître commença à le prendre.
Une grande porte en bronze se dressa au fond du couloir. Alors qu’il s’en approcha, elle s’ouvrit lentement sur une grande pièce éclairée par de nombreuses torches accrochées sur des murs peints en vert pâle. Un vieil homme était assis, sur une chaise soigneusement sculptée, vêtu d’une tenue en soie blanche éclatante. Il possédait une très longue barbe blanche lui arrivant au niveau du bassin. Son crâne, dégagé sur le sommet, laissait encore quelques cheveux blancs pousser sur les côtés. Deux gros sourcils blancs dominaient de petits yeux noirs brillants. Sa bouche était cachée dans sa barbe. Il possédait un nez fin, lui aussi en grande partie caché.
Balco s’arrêta sur le pas de la porte en tremblant de tous ses membres. Il ne l’avait jamais croisé, néanmoins il en avait suffisamment entendu parler pour le reconnaître. Il s’agissait bel et bien du grand maître qui était là juste devant lui assis sur une chaise et l’observant. Le grand maître en personne ! Balco ne savait plus où se mettre. Il resta figé, l’esprit vide. Le grand maître le regarda fixement sans sourciller. Il prit un petit regard dur en dévisageant Balco qui était à chaque seconde un peu plus intimidé.
Balco tremblota un peu plus lorsque le grand maître lui fit un petit signe avec l’index pour qu’il s’approche. « Avancez jeune homme, clama le grand maître le sourire aux lèvres. Je ne vais pas vous manger. Cela n’est pas dans mes habitudes. » Balco aurait bien ri de cette remarque, mais il était trop perturbé pour faire apparaître la moindre émotion. Il s’avança avec des petits pas peu rassurés en baissant les yeux vers le sol. Le grand maître observa Balco qui s’approchait de lui avec son pas hésitant.
Le grand maître était assis devant une grande table bien garnie. Il était en train de prendre son repas. Il invita Balco à le rejoindre pour le partager avec lui. Balco accepta d’un timide mouvement de tête et s’installa sur un siège en face du grand maître en continuant de baisser les yeux. Le grand maître lui esquissa un faible sourire, son regard semblait méfiant. Il ne dit mot à Balco, il se contenta d’appeler un domestique de la demeure pour qu’il vienne servir Balco…
Balco commença à manger ce que le domestique du grand maître lui proposa sans même opposer la moindre résistance. On aurait pu lui servir des aliments qu’il détestait par-dessus tout, il les aurait mangés. Balco remplit son estomac avec de nombreuses victuailles. Les quelques jours de balade avec Homelf et les biscuits elfiques comme principal repas n’étaient pas suffisants pour alimenter un jeune garçon en pleine croissance. Balco put satisfaire son appétit à sa guise.
Le grand maître resta silencieusement assis sur son siège en étudiant Balco dévorer plusieurs plats les uns après les autres. Il ne proféra pas un mot durant tout le repas afin de ne pas perturber Balco plus qu’il ne l’était déjà. Mais surtout pour réfléchir à cette situation. Lorsque le jeune homme eut terminé, le grand maître toussota un instant pour attirer son attention. Ce dernier leva timidement les yeux pour observer le grand maître, il ne savait pas s’il allait de faire réprimander ou encore bien pire.
« Depuis le temps que je connais, Taruis, c’est bien la première fois qu’il me fait parvenir quelqu’un de sa part, entonna gravement le grand maître. Il a pour habitude de se déplacer lui-même lorsqu’il a quelque chose à me dire. Y aurait-il une raison particulière à ce changement ? Je ne crois pas que notre dernière discussion fut si froide que ça pour qu’il n’ose pas revenir en ces murs ! »
Balco tremblota ne sachant pas que répondre à cette affirmation. Il avait trop peur de mal répondre et de se faire jeter de la demeure du grand maître. Il ne voulait surtout pas retourner tout seul dans la forêt, c’était sa hantise. Il posa un regard, embué par des larmes commençant à se former, sur le grand maître à la recherche d’un appui. Le grand maître fronça légèrement les sourcils tout en gardant son sourire sur les lèvres.
« Est-ce que je suis si impressionnant que cela ? Demanda le grand maître avec un petit pincement amusé. À moins que les raisons de votre présence en ce lieu n’aient rien à voir avec celle que vous avez communiquée au garde de la porte. Si vous étiez perdu dans la forêt et que je fus la seule présence habitée que vous ayez croisée. Je peux le comprendre jeune homme ! Je vous hébergerais pour la nuit et je vous laisserais repartir demain en vous conseillant un chemin sans danger si vous le souhaitez…
— Oh non… non…, coupa Balco tremblotant. Je ne veux pas retourner dans cette forêt. J’y ai déjà perdu un ami qui aurait dû vous expliquer la raison de ma présence mieux que je ne pourrais jamais le faire.
— Un ami ? Questionna le grand maître en fronçant un peu plus les sourcils. Vous êtes pourtant bien seul en face de moi. Contez-moi rapidement la vérité jeune homme, ma patience est grande, mais mon temps est précieux.
— Le magicien Taruis m’a confié à Homelf, expliqua Balco d’une voix plus rapide qu’il ne le voulait. Nous devions venir tous les deux vous rencontrer. Mais une mauvaise rencontre avec des arklins nous a bloqué le chemin. Un combat s’en est suivi et Homelf a subi de graves blessures, peut-être même pires, en me protégeant.
— Quelle imagination ! S’exclama le grand maître en se redressant de son siège d’un seul bon. »
Le grand maître fit les cent pas autour de la table en jetant quelques coups d’oeil à Balco. Il était de nouveau redevenu silencieux. Il trembla sur sa chaise, totalement apeuré. Ce n’était pas dû à la présence du grand maître, mais il se rendait de lui-même compte que son histoire était incroyable. Il ne pourrait jamais convaincre le grand maître de sa bonne foi. Les yeux de Balco se remplirent d’eau et de longues larmes coulèrent le long de ses joues.
Le vieil homme s’arrêta et reprit sa place sur son siège placidement. Il médita encore quelques secondes en passant ses doigts dans sa longue barbe blanche. Son visage était impassible. Il frotta quelques poils de sa barbe entre son index et son pouce. Ses yeux étaient rivés sur Balco qui grelottait sur sa chaise. « Taruis ! Puis Homelf ! Cela fait beaucoup dans une même histoire, se dit-il à lui-même d’une voix douce. » Il resserra un peu plus son regard sur Balco avant de lui dire :
« Comment vous croire mon jeune garçon, déclara le grand maître. Je n’ai rien contre vous et j’aimerais penser que votre histoire est véritable. Mais rien n’y corrobore pour le moment. Jeune homme, tout me laisse penser que votre arrivée est une mise en scène pour me piéger ! »
Balco pali et de nouvelles larmes lui montèrent aux yeux. « Le bon sens voudrait que je vous renvoie dans la forêt qui a amené ici, continua le grand maître. Toutefois, je ne le ferais pas ! Enfin pas pour le moment. Je souhaite encore vous laisser le temps de me prouver que vos intentions sont bonnes. Que vous n’êtes pas un fou prêt à mourir pour une cause que vous ne pourriez même pas comprendre ! Je vous laisse encore une chance pour quitter ma demeure sans que cela soit préjudiciable pour votre vie ! Renoncez à votre folie et repartez dans votre vie sans repenser à cette histoire. Si vous persistez, faites ce qu’il faut pour prouver que vous êtes bien envoyé par Taruis.
— Manulitocarios ! Dit en frissonnant Balco.
— Plaît-il ? Questionna le grand maître en haussant un sourcil.
— C’est un conseil que m’avez donné Homelf, expliqua Balco en essuyant ses larmes d’un revers de la main. Vous révéler son vrai nom pourrait peut-être m’aider.
— Peu de gens ont connaissance de son nom elfique, s’exclama le grand maître. Pas suffisant pour que je puisse vous faire confiance ! Mais vous venez de marquer un point important. Je vais vous laisser le temps de me fournir une explication qui puisse m’éclairer sur les raisons qui auraient poussé Taruis à vous envoyer ici sans me prévenir.
— Je ne sais pas toute l’histoire, dit timidement Balco. Je ne sais pas non plus si la situation actuelle est délicate ou non… Je n’ai croisé Taruis que pendant quelques minutes. Il m’a confié à Homelf pour que je vienne vous voir…
— Mais pour quelle raison ? Insista d’un ton sévère le grand maître.
— Je suis venu ici de sa part, car il est persuadé… Dit Balco avant de prendre une grande respiration.
— Je dirais même convaincu… Que c’est l’un des héritiers de la légende de l’aigle Blanc ! Clama d’une voix puissante Taruis.
— l’un des héritiers ! S’exclama le grand maître abasourdi. »
Taruis venait de faire irruption dans la grande salle en passant par la grande porte. Balco tourna légèrement la tête vers le magicien. Son cœur bondit dans sa poitrine ! Le magicien était là à quelques mètres de lui. Il était sauvé, le grand maître ne pourrait plus douter de lui. Il resta silencieux, mais un grand soulagement enveloppa tout son corps. Jamais il n’avait eu si peur et le bonheur qui en émergeait était encore plus puissant.
Taruis et le grand maître se regardèrent plusieurs secondes sans rien dire. Mais à voir l’expression de leur visage se modifier, ils communiquaient par un moyen qui dépassait Balco. Taruis fit un petit clin d’œil à Balco avec un large sourire. Il baissa la tête en signe de salut en direction du grand maître qui le lui rendit. Puis l’image du magicien se disloqua ! Balco sursauta. Taruis n’était plus là son corps venait de s’évaporer comme un nuage dispersé par le vent. Il tourna un regard des plus inquiet en direction du grand maître.
Taruis
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Le grand maître se redressa de son siège et recommença à réfléchir en regardant Balco. Il fronça les sourcils et tourna en rond autour de sa chaise tout en marmonnant dans sa barbe. Balco était de nouveau anxieux, il ne comprenait pas ce qu’avait pu être l’intervention éphémère du magicien Taruis. À moins que ce ne soit que lui qui a rêvé d’une telle situation. Il avait redouté cette rencontre avec le grand maître et elle se révélait encore bien pire qu’il ne l’aurait imaginé. Il pria au fond de lui pour que tout rentre dans l’ordre. Le grand maître posa ses deux mains à plat contre la table en regardant Balco dans les yeux.
« Un héritier de la légende ! S’exclama d’une voix chaleureuse le grand maître. Vous êtes véritablement aussi innocent que votre visage le laisser paraître. Je ne regrette pas d’avoir forcé Taruis à venir rapidement pour légitimer votre présence. Les choses sont désormais plus claires pour moi. Même si je ne m’attendais pas à cela. »
Le grand maître afficha un grand sourire. « Jeune Balco ! Continua le grand maître. Vous êtes le bienvenu dans mon humble demeure. Veuillez m’excuser pour vous avoir causé tant de tourment à votre arrivée. Maintenant que je prends un peu de recul avec cette situation, je me rends compte que j’ai déjà entendu parler de vous jeune Balco. Ce n’est pas la première fois que l’on m’évoque votre nom. Votre bravoure n’est plus à démontrer. Mais on m’avait aussi conté votre mort ! »
Le grand maître lui décocha un large sourire en reprenant sa place sur son siège. « Est-ce que le nom d’Anis feuille vive vous interpelle ? Ajouta-t-il. » Balco ouvrit de grands yeux lumineux. « La dame elfique qui m’a protégé ! S’écria Balco de façon plus vive qu’il n’aurait cru. La formule sur le parchemin l’a sauvé ? »
— Vous lui avez sauvé la vie, jeune homme plein de courage, compléta le grand maître. Lichn a dû se venger sur votre personne. Pourtant, vous avez survécu !
— C’est exactement ce qui s’est passé ! S’étonna Balco.
— Taruis vous aura découvert par pur hasard en pourchassant le nécromant noir, continua le grand maître. Un être capable de survivre à la malice de Lichn, c’est extrêmement rare. Bien assez pour que cela redonne de l’espoir. Cette nouvelle serait inespérée ! Dans la mesure où elle s’avère exacte. Voilà plus de cent ans que je cherche en vain l’un des héritiers de cette légende. Ce serait un ravissement d’y être enfin parvenu. Mais nous n’en sommes pas encore à un état d’ataraxie. Il nous reste du chemin avant d’y parvenir. »
Le grand maître laissa le silence envahir le lieu quelques secondes avant de reprendre. « Jeune Balco, je suis enchanté de vous avoir rencontré, indiqua le grand maître. Depuis la mort du seigneur Rouge, les créatures des ténèbres reprennent chaque jour le dessus. J’ai foi en les aigles. J’ai pu en voir à l’œuvre plusieurs au cours de mon existence. Des aigles de feu et même des aigles de glace. J’ai l’intime conviction que l’aigle blanc fut réel dans le passé de Sulder. Il a laissé un héritage important à la planète, certainement suffisant pour faire de nouveau pencher la balance de notre côté… le bon côté. Si vous êtes l’un des héritiers, si jeune que vous soyez, vous aurez un rôle à occuper dans la prospérité de Sulder. Seul, vous ne pourrez pas ! Il fut un temps où un être unique pouvait changer le destin d’un univers, ce n’est plus le cas de nos jours. Taruis vous a-t-il raconté la légende ou a préféré que cette tâche me revienne ?
— Taruis m’a exposé le minimum pour que je vienne vous voir, répondit Balco timidement. Par contre, Homelf m’a conté ce qu’il connaissait de la légende en m’amenant ici.
— Homelf ! S’exclama le grand maître en levant les yeux vers le ciel. »
Il soupira légèrement avant de prendre une gorgée d’un verre qui reposait proche de lui. « Vous avez eu une version allégée et certainement déformée de la légende. Qu’importe nous aurons le temps de corriger le tir ultérieurement. Contez-moi pour le moment pourquoi Homelf n’est pas présent avec vous. »
Balco expliqua au grand maître son voyage de son village en ruine jusqu’ici. La voix de Balco était triste. Il conta la rencontre avec le groupe d’arklins et l’arrivée de l’elfe avec ses flèches. Cette rude bataille qui avait fait choir Homelf. Il n’était pas mort lorsqu’il l’avait quitté, mais ses chances étaient minimes.
« Homelf mort ! Reprit le grand maître avec une voix légèrement tressaillant. C’est une terrible nouvelle. Vous n’y êtes pour rien jeune homme. Vous avez déjà fait un miracle en sauvant la vie d’Anis, vous ne pouvez pas sauver tous les elfes de Sulder. Même si vous le vouliez. Gardons un petit espoir au fond de notre cœur pour que sa vie ne soit pas encore terminée. Avec de la chance, l’elfe qui est venu vous sauver saura soigner notre compagnon. En souhaitant qu’ils ne tombent pas sur une patrouille de l’Empire ou un autre groupe de créature néfaste. J’apprécie cet elfe, même si son impatience prend un peu trop souvent le pas sur sa réflexion.
— Vous avez des nouvelles de dame Anis ? Questionna Balco tout intimidé.
— Elle va très bien, déclara le grand maître avec un large sourire. Elle sera émerveillée de vous savoir toujours de ce monde. Elle fut désespérée lorsque vous l’avez envoyé dans ma demeure avec le parchemin. Elle ne pensait pas mériter une telle faveur. Je la préviendrais que vous êtes en bonne santé et vous la rencontrerez à Haches.
— Haches ! S’étonna Balco en palissant. Nous allons repartir ?
— Et le plus tôt possible, indiqua le grand maître en riant de la réaction de Balco. »
Ce dernier soupira en baissant la tête. « Nous arriverons très rapidement dans la cité de Haches, ajouta le grand maître avec une voix rassurante. Je n’ai pas envie de marcher des jours durant. Je suis bien trop vieux pour avancer aussi lentement. »
Balco esquissa un sourire à cette remarque. Le grand maître fixa le regard de Balco. « Votre journée a déjà été bien remplie jeune homme. Je vous propose une chambre pour la nuit. Nous reparlerons de la légende et de notre voyage demain, une fois que vous serez reposé. Je vais demander à ce que l’on vous indique une chambre. Je dois m’entretenir un peu plus longuement avec Taruis. Le remercier et lui apprendre la mauvaise nouvelle pour Homelf. Même si j’ose croire qu’il ait pu survivre. Son expérience et ses connaissances de la forêt pourraient lui permettre d’utiliser les plantes à bon escient.
Le grand maître resta silencieux quelques secondes en fermant les yeux. Son visage bien que serein laissait transparaître le chagrin que la perte de Homelf lui infligeait. Balco était immobile comme une statue. Il observa le grand maître en tremblant comme une feuille, éploré par la disparition de Homelf, mais aussi encore sous le choc de sa rencontre avec le grand maître. Il n’aurait pu imaginer tout cela il y a encore quelques jours en arrière alors qu’il gardait ses cochons. Le grand maître ouvrit les yeux et fixa Balco avec un large sourire réconfortant.
Balco acquiesça qu’une bonne nuit de repos ne lui serait que bénéfique. Il avait eu assez d’émotion et d’histoire de légende pour aujourd’hui. Le grand maître lui souhaita une bonne nuit sans autre artifice. Il se redressa de son siège et sortit rapidement de la salle par la grande porte par laquelle Balco était arrivé. Balco put juste apercevoir le grand maître s’éloignant avec un pas rapide dans le couloir avant que les portes ne se referment.
Les portes s’ouvrirent de nouveau quelques secondes après. Le garde qui était en poste à la porte de la demeure s’approcha de Balco et le convia à la suivre. Le garde était bien plus souriant et convivial que lors de leur première rencontre. Balco en était soulagé et il ne se fit pas prier pour le suivre. Il se leva de son siège et emboîta le pas du garde.
Ils suivirent la même direction que le grand maître en repassant par la grande porte de bronze. Balco se retrouva à l’extrémité du couloir sans fin. Il craint quelques instants de devoir le retraverser entièrement, mais ce ne fut pas le cas. Le garde fit une dizaine de pas avant de s’arrêter en face de la première porte sur la droite. D’un geste brusque, il tourna la poignée ronde de la porte pour l’entrouvrir. Il fit un petit signe involontairement rude pour signifier à Balco qu’il pouvait entrer.
Le jeune homme fatigué adressa un petit mouvement de tête au garde pour le remercier et entra. Le garde referma la porte derrière lui et s’éloigna. Balco n’entendit que les pas du garde s’estompant progressivement. Il scruta du regard la minuscule pièce où l’on venait de l’amener. Des murs d’un bleu très pâle. Un grand lit pour deux personnes prenant les trois quarts de la pièce qui était éclairée par une simple bougie déposée sur le dessus d’une insignifiante table de nuit en bois vermoulu. Balco, las des événements de la journée, s’allongea sur le lit. Il ferma les yeux et il ne fallut que quelques minutes pour qu’il tombe dans un profond sommeil.
Anis feuille vive
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Le grand maître entra dans son bureau. Une pièce modeste en taille, mais dont on ne pouvait pas voir les murs. Ils étaient entièrement recouverts d’étagère et bibliothèque. Des milliers d’ouvrages tous plus anciens les uns que les autres y étaient empilés. Une table de bois au milieu de la pièce elle aussi servant à supporter plusieurs monticules de livres.
Le grand maître s’installa derrière la table de bois sombre. Il consulta un vieux livre, tout en jetant quelques coups d’œil répété vers la porte. Il nota prestement quelques petites notes avec une plume en attendant une visite qui ne le fit pas attendre. Il leva les yeux vers Anis avec un léger sourire.
« Bonsoir dame Anis, merci d’être venu rapidement
— C’est bien normal grand maître, déclara Anis en s’inclinant légèrement.
— Ne tardons pas Anis, enchaîna le grand maître en refermant son livre. J’ai une mission pour vous ! Vous devez rejoindre dès ce soir la cité de Haches. Je vous y rejoindrais dès demain matin avec une personne que vous connaissez. Vous préviendrez mes protégés de ma visite et surtout qu’ils se préparent. Est-ce que j’ai été suffisamment clair, Anis ?
— Oui, oui, grand maître ! Très clair, s’étonna Anis. Qui est cette connaissance ? Vous m’intriguez.
— Je m’y attendais, commenta le grand maître tout sourire. Il s’agit du jeune garçon qui est à l’origine de votre arrivée impromptue ici même. »
Anis ouvrit de grands yeux éberlués. Elle manqua de s’étrangler en prenant conscience de la nouvelle. « Vous ne vous moquez pas de moi ! Parvint à déclarer Anis encore sous le choc.
— Je ne me permettrais pas, indiqua le grand maître. Pas sur un sujet tel que celui-ci. Le jeune Balco est arrivé il y a peu dans ma demeure !
— Mais je veux le voir immédiatement, s’exclama Anis avec enthousiasme.
— Vous attendrez demain Anis, tonna le grand maître. Je comprends votre envie de le remercier, mais vous avez une tâche plus urgente à réaliser pour le moment. De toute manière, le jeune homme est parti se reposer pour la nuit. Il a besoin de dormir pour le moment. De nouvelles émotions aussi bénéfiques soient-elles, attendront.
— Demain ! Soupira Anis. C’est long !
— Courage, dit le grand maître en riant. Demain n’est pas si loin pour une vie d’elfe.
— Demain, c’est demain, grimaça Anis en esquissant un sourire sur la fin. Même pour une elfe. Je suis tellement heureuse de le savoir en vie que je ne vais pas pouvoir m’endormir cette nuit. Demain sera encore plus long à montrer son nez.
— Ce n’est qu’une perception de notre esprit, indiqua le grand maître. Je suis pourtant intimement persuadé que le temps passera plus vite que vous ne le pensez une fois que vous aurez posé un pied à Haches. Vous connaissez déjà mes protégés, n’est-ce pas ?
— Ils ne sont pas de tout repos, soupira Anis. Mais ils sont attachants dans l’ensemble. Je vais tout de même avoir un souci grand maître. Je n’ai plus de parchemin de téléportation. Me rendre à Haches en une seule nuit avec pour seul usage mes jambes risque d’être passablement compliqué.
— Allons donc ! S’exclama le grand maître. Vous trouverez de quoi rejoindre la cité de Haches dans les caves de la demeure, vous avez l’autorisation d’en faire usage.
— Vu sous cet angle, commenta Anis.
— Nous continuerons à discuter demain chère Anis, vous êtes désormais attendu, souligna le grand maître.
— Je pars sur le champ grand maître, dit Anis en s’inclinant respectueusement.»
Le grand maître y répondit par un léger mouvement de la tête et un léger sourire. Anis tourna les talons et quitta la pièce promptement. Le grand maître plissa légèrement les yeux en la regardant partir. Mais cela n’avait plus de rapport avec elle, il était déjà perdu dans d’autres pensées. Les événements semblaient se précipiter. Tout cela était de bon augure.
Le jeune Balco venait de déclencher une conjoncture de l’histoire sans s’en rendre compte. Le grand maître souriait à toute la trame qu’il préparait depuis des années. L’aboutissement était enfin là. Tout du moins pas la fin de l’histoire, mais l’avènement d’un profond changement. Le grand maître ouvrit son livre pour y noter quelques lignes supplémentaires, cela lui prit une dizaine de minutes. Satisfait, il quitta son bureau pour prendre une très courte nuit de sommeil. Lui aussi avait des préparations à effectuer avant de quitter sa demeure en direction de la cité de Haches !
Les premiers rayons du soleil firent leur apparition dans la petite pièce. Ils emplirent doucement d’une clarté intense les murs. Ces derniers recouverts d’une peinture jaune pâle offraient naturellement une luminosité étrange. Mélangée avec cette clarté offerte par les premiers rayons du soleil, la pièce était plongée dans un bain de lumière. Balco bien que profondément endormi dans un bon lit douillet, qui lui faisait oublier les nuits passées sur le sol avec Homelf, se réveilla en plissant les yeux. Il se redressa en bougonnant un peu, mais il ne pouvait pas se plaindre de profiter du soleil. Il mit quelques secondes à s’habituer à la puissance lumineuse émise dans la pièce. Il en profita pour étirer ses muscles par des gestes maladroits. Il était tout engourdi. Il bâilla grandement en continuant à faire quelques mouvements de bras et de jambes.
Après plusieurs minutes à émerger de sa bonne nuit de sommeil, il finit par se redresser d’un seul bon de son lit… Il dégaina son épée posée sur un siège non loin du lit et la fit tournoyer dans les airs simulant un combat imaginaire. Contrairement à d’habitude où son combat imaginaire se déroulait toujours très bien, cette fois, il avait en tête les images de la veille. Dans ses pensées, il voyait Homelf mort échouant en combat singulier. Et surtout lui, Balco le soi-disant aventurier, incapable de venir en aide à cet ami qui croyait en lui. Cela lui faisait un petit pincement au cœur. Il se retint de verser une larme… tout était nouveau pour lui et il ne pouvait tout comprendre et maîtriser. Il rangea son épée. Il se dirigea vers la porte de la chambre pour l’ouvrir afin de retourner dans le grand couloir de la veille.
Enfin, il pensait se retrouver dans le couloir. Balco sursauta en ouvrant la porte. Une grande surprise l’attendait derrière, au lieu de se retrouver face à un long couloir sombre, une nouvelle pièce se dessina devant lui.
Une petite fontaine coulait au milieu de la pièce arrosant abondamment le sol. Celui-ci était plein de fleurs : des roses, des tulipes, des dahlias, des petits nénuphars. Ces derniers croissaient dans des eaux chaudes et dormantes. Au milieu de toutes ces merveilles, il y avait un trèfle d’eau de couleur blanche teinté de rose. Une fleur extrêmement belle et très utile !
Dans sa jeunesse, Balco avait réussi à guérir d’une maladie grâce aux effets médicinaux de cette fleur. Balco n’était pas un grand expert de la flore, mais il connaissait les vertus bénéfiques de quelques plantes. Rien d’extraordinaire, mais de petites brûlures ou blessures mineures, il avait la connaissance pour les soigner.
Ce petit jardin intérieur était charmant, mais il était perdu ! Il n’avait pas le souvenir d’une telle salle. Elle ne lui avait laissé aucune trace dans sa mémoire. Il ne se remémorait que le long couloir qu’il avait traversé pour rencontrer le grand maître. En le quittant, il s’était engagé à nouveau dans celui-ci pour parvenir jusqu’à cette chambre. Il se retourna pour voir la chambre où il avait dormi. Et derrière lui, au-delà de la porte grande ouverte, il vit le couloir ! La chambre avait disparu !
Balco était complètement éberlué par cette demeure. Il savait que le grand maître était un peu magicien. Toutefois, cela dépassait tout ce qu’il avait pu entendre. Dans les récits ou les contes, la magie est bien souvent mise en avant pour combattre et non pas pour faire bouger des pièces. Il retraversa la porte et se retrouva dans le couloir. Il se frotta les yeux énergiquement et jeta un œil derrière lui pour vérifier…
« Quel était donc ce mystère ! Cette magie qui m’entoure, se dit-il en lui-même.» Cette fois, tout avait disparu. Il était bien dans le couloir, mais la porte n’était plus là ! Plus de chambre, ni de pièce merveilleuse remplie d’eau et de plantes. Balco, n’arrivant pas à comprendre la magie qui l’entourait, se décida à ne pas chercher plus. Il se dirigea une nouvelle fois vers la grande porte en bronze qui elle n’avait pas bougé.
Balco n’eut pas le temps de tendre les bras vers la grande porte en bronze, car elle venait de s’ouvrir à son approche. Balco avait un petit sourire aux lèvres. Il était conscient qu’il se faisait manipuler par cette demeure et qu’il n’y pouvait rien. Il entra dans la pièce en cherchant du regard le grand maître. Sa curiosité venait d’être piqué à vif, il souhaitait tout comprendre des mystères qui entouraient cette demeure.
La table était toujours là au centre de la pièce. Des petits pains avaient été déposés, ainsi qu’un étrange liquide bleu clair posé au fond d’un bol. Toutefois, il n’y avait pas la moindre présence du grand maître. Il n’y avait même tout simplement personne ! Il en fut surpris, il s’attendait à rencontrer le grand maître. Il supposa qu’il devait être occupé par d’autres activités. Il regretta juste que personne parmi les assistants du grand maître n’ait été dévolu à s’occuper de lui, afin qu’il ne soit pas seul. Balco s’installa sur la chaise qui faisait face au bol avec l’étrange liquide.
Il resta immobile et silencieux quelques minutes. N’osant pas vraiment débuter un petit déjeuner tout seul sans y avoir été autorisé. Surtout tant qu’on ne lui avait pas confirmé que tout ce qui était posé sur la table était bien pour lui.
Son ventre réclamant de l’attention de plus en plus bruyamment. Il se résigna. Balco prit quelques petits pains, qu’il dévora à pleines dents. Les petits pains étaient moelleux et savoureux. Balco se délecta un bon moment de ces merveilles. Puis il prit le bol et le but d’un seul trait. Le liquide coula tout le long de sa gorge pour atteindre l’estomac en laissant un arrière-goût de menthe. Balco sentit que le liquide avait des effets régénérateurs. Il sentit tous ses muscles se détendre et retrouver de la vigueur. Tout son corps retrouva son tonus, effaçant toute trace de son voyage avec Homelf. Toute la souffrance qu’il avait subie s’évapora en quelques instants.
Il s’adossa avec désinvolture contre le dossier de la chaise et se laissa bercer par ses pensées. Il n’eut pas l’occasion de rêvasser copieusement. Le souffle de la porte en bronze, qui se rouvrait, le tira de son demi-sommeil !
Le grand maître déboula à toute vitesse dans la pièce. Il fit un sourire à Balco et rapidement lui intima par un petit signe de la main de le suivre. Balco observa le grand maître. Une grande cape blanche était attachée au niveau de son cou par un lacet de la même couleur. La cape flottait de façon harmonieuse à quelques centimètres au-dessus du sol dans le dos du grand maître. Un pantalon blanc en toile souple et fine. Une chemise blanche également pour terminer. C’était une constante du grand maître, quelle que soit sa tenue, elle était toujours blanche. Son signe distinctif.
Balco se leva rapidement de son siège. Il ne posa aucune question. Il avait confiance et de plus, il n’aurait jamais osé remettre en question une directive du grand maître.
Le grand maître marcha promptement sans se retourner. Balco fit de grands pas pour le suivre le long du couloir. Balco fut surpris par la vigueur du grand maître. Il connaissait sa réputation, mais il l’aurait pensé plus affaibli par le temps. Son dynamisme était incroyable. Après avoir parcouru une cinquantaine de mètres, Balco trouva la volonté de poser une question. Elle lui brûlait les lèvres depuis le matin, mais il était encore intimidé par la présence d’une si grande célébrité.
« Votre demeure est un mystère ! Quelle magie l’anime ?»
Le grand maître s’arrêta et tourna la tête vers Balco. Il lui jeta un coup d’œil rapide avec un petit regard malicieux. « Un mystère ? Répéta avec amusement le grand maître. Cette demeure est encore plus ancienne que je ne le suis. Sa magie vient de très loin et même si peu le croit, je n’en suis nullement responsable. Je ne fais même rien. La demeure a sa propre volonté. Elle puise dans les rêves de chacun pour que leur séjour en ce lieu soit le plus agréable. Tout n’est qu’illusion. Mais peut-on dire qu’il y a du mal à se laisser bercer par une image venue du plus profond de nous-mêmes ? La demeure ne vous fera voir que de bonnes images. Elle ne montre jamais nos peurs et ne nous tend aucun piège. L’apaisement et le bonheur sont sa raison d’être. Je partage cette envie que mes convives oublient leurs soucis lorsqu’ils sont chez moi. Alors, j’espère qu’il en a été de même pour vous. J’ignore si la magie de ses lieux peut avoir un effet sur les héritiers, mais j’ose espérer.
— La magie de votre demeure a eu l’effet que vous escomptiez grand maître, répondit Balco heureux de la réponse du grand maître. Je n’ai vraiment rien à redire… j’étais juste surpris par tout ce qui se passait autour de moi. Je ne suis pas familier avec le monde de la magie.
— Vous allez apprendre vite mon jeune garçon, indiqua le grand maître en reprenant la traversée du couloir. Sulder regorge de magie et vous ne pourrez passer à côté. Vous ne pratiquerez peut-être pas cet art, mais vous vivrez dedans quotidiennement. Cet effet de surprise s’estompera très vite avec le temps ne vous inquiétez pas.
— J’ai beaucoup de choses à apprendre, commenta Balco avec une petite voix.
— Je ne pourrais pas vous dire le contraire, ajouta le grand maître avec un petit rire. »
Il sourit, d’un air tout à la fois sérieux et légèrement moqueur, comme s’il avait une petite inquiétude sur son avenir, et emmena le jeune garçon jusqu’au bout du couloir. Juste avant d’arriver dans la première salle que Balco avait visitée en entrant dans la demeure, le grand maître tourna sur la droite pour lui faire descendre des escaliers souterrains jusqu’à une porte close.
Le grand maître ouvrit la porte avec une grande clef en bronze d’une trentaine de centimètres. Il se tourna vers Balco et lui sourit pour l’inviter à continuer dans la partie basse de la demeure. Derrière la porte, il y avait un petit passage de quelques mètres, puis une seconde porte, qu’il ouvrit avec une clef en bronze de plus petit calibre. À peine la porte ouverte qu’une troisième leur fit face. Balco s’attendit à voir le grand maître sortir une nouvelle clef d’un nouveau format, mais la réalité fut au-delà de ses attentes.
Le grand maître s’avança vers la porte et clama d’une voix rude : « Dobelone ». Balco put entendre le déclic du crochet de la porte réagissant aux ordres du grand maître. La porte s’ouvrit d’elle-même sans qu’il n’ait eu besoin de la toucher. Derrière la porte, une petite pièce éclairée par quelques chandelles posées sur une table. Balco entra à la suite du grand maître et la porte se referma derrière eux. Trois nouvelles portes étaient présentes dans la pièce à chaque point cardinal, mais leur destination était pour le moment cette pièce.
Le grand maître invita Balco à s’installer sur une chaise qui faisait face à une grande table en chêne d’une épaisseur qui laissait présager que le temps n’aurait aucune emprise sur elle. La table était recouverte par quelques dizaines d’ouvrages et croquis sur des parchemins.
« Voilà tout ce que j’ai pu collecter sur cette légende de l’aigle blanc, commenta le grand maître devant le regard curieux de Balco. »
Balco s’installa sur le siège et observa très vite les quelques dessins visibles sans parvenir à deviner le motif d’un seul. Le grand maître prit place sur un autre siège posé de l’autre côté de la table. « Trop peu, bien trop peu, soupira le grand maître. J’aimerais avoir cent fois plus d’ouvrage pour mieux comprendre ce qui nous attend. Je suis persuadé que l’aigle blanc a dû nous laisser des indices. Jusqu’à maintenant je n’ai rien trouvé sur cette possibilité.
— Sans vouloir vous offenser que faisons-nous ici grand maître , demande Balco en baissant les yeux. Vous m’aviez parlé de rejoindre la cité de Haches, si je me souviens de notre conversation de la veille.
— Les plans n’ont pas changé jeune homme, dit le grand maître en riant. Nous irons, mais lorsque le temps sera venu. Pour le moment, je dois partager avec vous mes connaissances. Vous devez comprendre cette légende. D’autant plus s’il se révèle exact que vous appartenez à celle-ci.
— Pardon, dit Balco.
— Vous n’avez pas à vous excuser, dit le grand maître pour le rassurer. Je vous promène dans ma demeure sans vous tenir au courant de mes projets. Vous êtes bien en droit de vous poser des questions. J’aurais été plus surpris que vous ne vous en posiez pas. »
Le grand maître empila quelques ouvrages présents sur la table pour donner un semblant de rangement. « Balco, continua le grand maître avec un visage n’exprimant plus que le sérieux. Vous êtes fils d’aventurier et je souhaite que vous le deveniez. J’ai connu de nombreuses personnes qui s’octroyaient le titre d’aventurier, bien peu en avaient la carrure en réalité. »
Il plissa légèrement les yeux en fixant Balco. « J’attendrais que vos premiers exploits retentissent avant de vous nommer Balco l’aventurier, souligna le grand maître. Vous pouvez compter sur moi pour tout mettre en œuvre pour que vous méritiez ce titre. Taruis vous a fait venir à moi. Connaissant le peu de foi qu’il accordait à la légende, une telle décision est une preuve de vos qualités. Il va nous rester à confirmer que vous êtes bien un héritier puis à développer vos capacités. Un nouveau challenge qui va me replonger dans mes belles années de formation.
— Je souhaite ne pas vous décevoir, commenta timidement Balco.
— J’en ai vu passer et de nombreux, livra le grand maître. Même les plus grands noms de notre histoire ne furent pas tous des élèves modèles… mais qu’importe, nul ne retient les années d’apprentissages. La mémoire collective ne retient que les actes pas la manière d’y parvenir. Et il est bien temps que l’Histoire découvre de nouveaux héros. J’escompte former celui qui sera le précurseur d’une nouvelle ère. Ambitionnons pour que ce soit vous ! Ne spéculons pas plus que nécessaire aujourd’hui, je projetais uniquement de revenir sur quelques détails de la légende… »
Balco regarda le grand maître avec un regard admiratif et terrifié. Le grand maître lui plaçait un poids bien trop grand sur ses épaules. Il se contenta de secouer la tête naïvement pour lui dire qu’il était d’accord. Balco avait toujours fantasmé de devenir un aventurier de renom… et voilà que la possibilité lui en était offerte. Pas simplement en plongeant dans une aventure, mais en ayant la possibilité incroyable d’être au côté du grand maître.
Balco avala sa salive. Il était impressionné par tout ce qui lui arrivait depuis qu’il avait croisé la route d’une elfe. Il plongeait de surprise en surprise… des bonnes et des moins bonnes. Cependant, rien n’était un rêve !
Le grand maître passa sa main droite dans sa longue barbe pour réfléchir un peu. Puis il fixa de nouveau Balco avec un petit sourire. « Il est inutile que je reprenne l’explication de la légende complètement, commenta le grand maître. J’image les éléments qui ont pu être évoqués par ce cher Homelf. Même le magicien Taruis n’aurait pu vous en dire bien plus. Il y a des choses qu’ils ignorent.
— Vous ne leur avez pas tout conté ? Questionna Balco.
— Pas exactement, expliqua le grand maître. Ils savent ce que je connaissais à l’époque où je leur ai parlé de cette légende. Les ouvrages qui sont ici n’étaient pas aussi nombreux à cette époque. Je n’avais presque rien pour étayer cette légende. Une certitude au fond du cœur, mais cela ne peut faire l’objet d’une preuve tangible. La légende ne se termine pas là où Homelf a dû s’arrêter. Cette partie de la légende n’a jamais été dite, ni entendu par des oreilles de n’importe qui ou quoi. Il s’agit des derniers écrits de l’aigle Blanc avant son départ de Sulder pour le monde derrière la porte. La fin nous conte : un bonheur illimité qui doit couvrir Sulder.
— Oui je me souviens de cette fin, souligna Balco.
— Bien, continua le grand maître. Je souhaite revenir sur la fin de la légende. Celle-ci n’a jamais été contée à personne, il n’y a que moi qui la connaisse l’ayant lu dans de vieux écrits qui sont stockés sur cette table. Avec du temps vous pourrez en prendre connaissance à votre tour. Pour aujourd’hui vous devrez vous contenter de mon explication.
— Cela me conviendra totalement, dit Balco avec un large sourire. »
Le grand maître posa ses coudes sur la table et attrapa rapidement l’ouvrage posé sur le dessus de la pile qu’il venait de faire l’instant d’avant. Il tourna quelques pages de l’ouvrage délicatement. Une fine poussière s’échappa. Le grand maître remua une main au-dessus de son visage pour éparpiller cette poussière. Il toussota en posant son autre main devant sa bouche.
« L’historique des aigles nous vient de très loin, commença le grand maître. Nul n’en avait le souvenir il y a encore deux cents ans en arrière. C’est grâce à ce bon Jiduis que tout fut déclenché et que l’origine des aigles nous fut rappelée. Enfin, nous ne sommes pas ici pour refaire toute l’histoire de notre planète. Pas que cela ne soit pas passionnant, mais me connaissant, je pourrais divaguer sur le sujet durant des jours. »
Le grand maître tapota sur l’ouvrage avec ses doigts. « Voilà ce qui va nous occuper ! Enchaîna le grand maître avec un sourire. Un mythique ouvrage que j’ai pu découvrir dans la grande bibliothèque de la cité des dragons. Vulnaire, le dragon gardien de la cité, fut assez magnanime pour accepter que je le rapporte ici. Il s’agit d’un manuscrit relatant la biographie d’un humain ayant vécu il y a deux mille ans. Des centaines de pages qui ne nous apportent rien, mais il y a un très court passage où cet écrivain a croisé l’aigle blanc ! »
Le grand maître soupira. « Le seigneur Juga d’après ses dires, indiqua le grand maître. J’ai cherché dans les archives de dame Inima pour voir si ce nom était référencé dans la généalogie des aigles, mais je n’ai rien trouvé à son sujet. C’est certainement logique, car c’est bien la première fois que nous entendons parler d’un aigle blanc. Toutefois, plusieurs sources d’informations en font références, cela devient plus qu’une légende. Des écrits, des dires, des signes… »
Le grand maître marqua une courte pause. « Je ne pourrais pas vous donner tous les détails que j’ai en ma possession dès aujourd’hui. Dès que la preuve de votre appartenance à cette légende aura été confirmée, je pourrais vous en dire plus.
— Je comprends cela, commenta Balco. Même avec cette confirmation, je ne suis pas certain d’avoir pour le moment le recul nécessaire pour comprendre tout ce qui va m’arriver.
— Le contraire m’aurait paru prétentieux, indiqua le grand maître. Vous êtes encore jeune et vous avez tous les printemps de votre vie encore devant vous. Je vous aiderais du mieux que je puis pour que vous les passiez tous les uns après les autres, jusqu’au jour où votre destinée sera de quitter ce monde. Mon dernier printemps n’est pas encore arrivé, il me reste encore du travail en ce monde… je ne vous abandonnerais pas jeune homme. J’ai passé trop de temps à retrouver l’un d’entre vous.
— Retrouver ? Répéta Balco avec étonnement. »
Le grand maître esquissa un petit sourire malicieux. « Tout ne sera pas dit aujourd’hui ! Nous devrons attendre encore un peu avant d’avoir cette discussion. Certains éléments de cette histoire ne seront révélés que lorsque le moment deviendra opportun.
— Me voilà aux prises avec des intrigues de maître d’énergie, commenta Balco. Mon père m’a conseillé que peu de choses, mais il y a une règle qu’il me contait souvent : surtout ne jamais se mêler des histoires des grands de ce monde que ce soit des nobles ou des maîtres. Assurément je n’ai pas su tenir compte de ses conseils. »
Le grand maître rit doucement à la remarque de Balco. « Votre père vous a donné là un excellent conseil à n’en pas douter. Deux routes se présentent à vous pour la suite de votre destinée. Soit, vous êtes un héritier, dans ce cas, les intrigues des grands de ce monde feront parti de votre quotidien et vous apprendrez à vivre avec. Soit, vous n’êtes pas un héritier, dans ce cas vous aurez toute liberté de choisir la suite. Si vous souhaitez rester avec moi, je vous enseignerais tout ce qui est possible. Si vous préférez ne pas vous mêler des histoires de maître, vous pourrez poursuivre votre vie en d’autres lieux.
— Merci, indiqua Balco. J’espère que ce choix ne se présentera pas, car je ne sais pas décider.
— Reprenons le fil de notre journée, indiqua le grand maître en tapotant de ses doigts les ouvrages poussiéreux. Nous avons fort à faire. Je souhaitais donc revenir que sur une courte petite partie de la légende. Le seigneur Juga quitta Sulder pour des raisons qui ne sont pas évoquées dans les ouvrages ni dans les légendes. Mais cela ne nous importe que peu, c’est le retour de cet aigle blanc qui occupe mon esprit. Toute la légende autour des héritiers n’a pour objectif que son retour. Les héritiers sont une forme de clef qui doit permettre de le ramener sur Sulder. Il ne faut pas qu’un seul héritier pour parvenir à cet exploit, mais les vingt-trois bons héritiers. Découvrir un premier héritier serait un grand pas, toutefois le chemin serait encore bien long.
— Étrangement, c’est une nouvelle qui me soulage grandement, souligna Balco. Devenir un héritier me fait peur. J’ai la sensation que je n’ai pas la carrure pour endosser un rôle aussi important. Si je deviens que un parmi vingt-trois, le poids placé sur mes épaules sera divisé et j’en suis soulagé. Qu’en est-il exactement de mauvais héritiers, Homelf ne savait que peu de chose sur le sujet ?
— Les mauvais héritiers, répéta le grand maître avec une légère grimace. »
Le grand maître resta silencieux quelques secondes. Sa main droite lissant lentement sa barbe blanche. Il fixa Balco avec de grands yeux. Ses pupilles varièrent lentement de couleur passant d’un brun foncé à un gris pâle. Il cligna des yeux et reprit la parole : « Les mauvais héritiers, commenta une fois encore le grand maître. C’est la plaie de cette légende. Si puissant le seigneur Juga fut-il, il ne pouvait briser l’équilibre des forces. Il créa les vingt-trois bons, mais il ne put y parvenir sans mettre au monde leurs opposées. La balance entre le bien et le mal ne pouvait pencher volontairement vers l’un des plateaux. Pour chaque bon héritier qui fut un créé, un mauvais fut engendré pour maintenir l’équilibre.
— Vingt-trois mauvais ? Questionna Balco avec surprise.
— Assurément, soupira le grand maître. Si l’idée des bons héritiers est attirante… la présence des mauvais héritiers est une calamité. Ma quête des héritiers est un risque important. À vouloir trouver les bons de cette légende, je vais attirer la curiosité. Il viendra un jour où un esprit mauvais finira par apprendre l’existence des mauvais héritiers. Ce sera alors une course entre les bons et les mauvais, chacun des camps cherchera à retrouver les siens afin de mettre en péril l’équilibre de la balance.
— J’ai l’assurance que cet équilibre penche déjà vers le mal depuis quelques années, souligna Balco.
— Indubitablement, déclara le grand maître. L’histoire nous apprend pourtant que l’équilibre fut toujours rétabli. Je fonde mes espoirs sur cette notion. Les bons héritiers pourraient peut-être équilibrer de nouveau la balance. Incontestablement ce que je cherche à faire pourrait se retourner contre nous. L’enjeu est grand et les conséquences encore plus incertaines.
— Ne pas se mêler des affaires des maîtres en énergie, ajouta pour lui-même Balco. Je ne souhaite pas jouer les martyres, mais je ne suis pas préparé à une telle responsabilité. Je ne suis qu’un gardien de cochon placé sur votre chemin.
— Et je ne vous laisserais pas seul face à votre destin jeune Balco, argumenta le grand maître avec une voix douce. »
Les paroles du grand maître résonnèrent étrangement dans les oreilles de Balco. Le timbre de la voix du grand maître avait légèrement fluctué. Il avait la sensation qu’elle avait désormais plus de poids. Son esprit était plus réceptif aux arguments et son cœur semblait se libérer doucement d’un poids.
« J’ai vu passer par ma demeure bon nombre de créatures, continua le grand maître. L’empereur Sylvain 1er n’était pas même pas encore un chevalier lors de notre première rencontre. Il était fils de forgeron et il avait été envoyé à Haches pour devenir apprenti forgeron. Il ne savait pas plus que vous se servir d’une arme ou commander des hommes. L’énergie l’impressionnait. La magie l’effrayait… et s’il avait su que son destin fut de devenir le plus célèbre chevalier de notre planète lors de notre première rencontre, il aurait certainement détalé le plus loin possible de ma présence. Il n’est pas devenu le fondateur de l’Empire et le premier empereur en un seul jour. Long fut son apprentissage. Plus d’une fois, il fut exaspéré par mes remontrances et il aurait pu abandonner à maintes occasions. Il ne le fit pas. Sa confiance en lui s’accrut au fil des mois et finit par devenir ce que l’on ne retient que de lui. J’aurais bien d’autres exemples à vous proposer… Tribalde le démon, déchu par les siens qui se tourna contre toute attente vers le bien. Il vint me voir alors qu’il était un paria aux yeux de tous ses congénères. Son caractère et sa volonté lui ont permis de surmonter cette épreuve. Il est désormais un maître réputé en énergie et son nom fait trembler les créatures des ténèbres. La liste est longue. Abstraction faite de Rouge, personne n’est entré pour la première fois dans ma demeure avec un statut de héros. Et nul n’en est ressorti affublé de ce titre. Je ne suis qu’un maître, je forme les élèves qui viennent à ma rencontre. Je fais mon possible, mais je ne puis faire de miracle. Je vais faire de même avec vous jeune Balco, je vous formerais… et nous aurons le temps de voir si vous devenez un personnage important. Même avec mon aide et un héritage sur le dos, il est probable que tout cela ne pourra se produire avant bien des années. La patience doit devenir votre principale qualité si elle ne l’est pas déjà.
— Je ne sais pas si je suis patient, indiqua Balco timidement. Jusqu’à présent mes idées héroïques n’étaient que des rêves sans fondement. Je n’ai jamais imaginé que cela pourrait se produire réellement.
— Nous n’y sommes pas encore, dit calmement le grand maître. Vous avez encore le droit de tourner vos talons et de partir vivre une autre vie. Pour le moment la seule décision que je vais vous demander de prendre c’est de savoir si vous souhaitez me suivre jusqu’à la cité de Haches. Nous avons une épée de la roche à retrouver et une légende à prouver. »
Le grand maître se redressa sur son siège pour fixer Balco d’un regard pénétrant. Le jeune aventurier détourna les yeux. Il baissa la tête et respira lentement. Sa décision était prise depuis qu’il avait suivi Homelf, il ne voyait plus de raison de revenir en arrière. Il n’y aurait que des regrets à avoir s’il ne prenait pas la voie que lui indiquait le grand maître.
Il poussa, un long soupire et clama doucement : « Je vais vous suivre grand maître
— J’en suis ravi jeune homme, continua le grand maître en accompagnant ses dires par un claquement de doigts. J’ose penser que vous avez pris la bonne décision. Et j’espère même que vos connaissances dépasseront les miennes. Qui sait, je pourrais moi-même redevenir un disciple !
— Ce n’est pas possible, s’exclama Balco avec surprise. »
Le grand maître se mit à rire et se redressa entièrement de son siège. Il commença à faire le tour de la table. « Sans vouloir vous vexer grand maître, ajouta Balco. Il est inconcevable dans mon esprit que vous puissiez endosser le rôle d’un élève.
— Et pourtant, je le fus bien moi aussi à mes débuts, commenta le grand maître. Suivez-moi-jeune-homme. Je vous conterais tout cela en chemin. »
Le grand maître quitta la pièce en la laissant dans l’état où elle était actuellement. Il referma la porte, puis s’engagea dans un nouveau couloir à droite de la porte qui descendait légèrement dans les profondeurs de la maison. Balco suivit impatient d’écouter l’histoire du grand maître.
« Tout cela ne nous rajeuni pas c’est certain, commença le grand maître. Pratiquement 4 millénaires en arrière. Une époque encore gouvernée par la technologie, même si le déclin commençait à se faire sentir. Je venais de quitter la cité de Sorcion. Enfin, passons un peu ce début triste. »
Le grand maître marqua une courte pause. Il ferma les yeux quelques secondes en continuant d’avancer tranquillement dans le couloir. « À cette époque, je commençais à découvrir les secrets de l’énergie, continua le grand maître. Cela est un secret pour personne que je fus l’un des seize explorateurs de l’énergie sur Sulder. Et par de ce faites même, je n’étais un simple apprenti face à la complexité de l’énergie. Je ne comprenais pas tout de cet art, pourtant je m’accrochais pour en découvrir ses secrets.
— Ce qui vous vaut le titre de grand maître aujourd’hui, dit Balco.
— C’est un titre honorifique qui est devenu mon nom dans le langage commun, indiqua le grand maître avec un sourire. Toutefois en quatre mille ans d’existence j’ai eu bon nombre de nom et sobriquet. Je ne suis pas certain de me souvenir de chacun d’entre eux. Les dragons me nomment Malbugist ce qui signifie le maître vêtu de blanc. Il fut un temps où les humains m’appelèrent Gemme. Cela n’avait rien à voir avec la pierre précieuse, mais par la contraction de Grand Maître en GM qui fut déformé par le langage populaire en Gemme. Peu importe les noms que l’on me donne, il n’y a qu’un qui compte réellement pour moi ».
Le grand maître marqua une pause. « Celui que m’a donné ma mère à ma naissance ! Soupira le grand maître ». Il jeta un regard rapide vers Balco. « Je sais que vous le connaissez, les histoires en font mention plus d’une fois et il n’est pas un secret. Mais peu l’utilise. Et je souhaite que cela continue comme cela.
— Pour ma part je continuerais de vous appeler grand maître, clama Balco. Jusqu’à que vous m’indiquiez un autre nom que je devrais utiliser ». En réalité, Balco n’avait pas la moindre idée du véritable nom du grand maître. Son enfance avait été bercée par les histoires de Rouge et très peu par celle du grand maître, même s’il savait le plus important à son sujet.
Le grand maître sourit. Ils arrivèrent devant une porte en bois brun pale qui semblait très épaisse. Le grand maître s’arrêta devant. Il ne l’ouvrit pas immédiatement, continuant son histoire préalablement. « L’interlude des noms étant terminé reprenons ma période d’apprenti, commenta le grand maître. Je fus l’un des premiers élèves de l’énergie si l’on peut le dire ainsi. Bon nombre d’années se sont écoulées depuis lors et j’ai pu peaufiner quelque peu mon art. Toutefois, aussi surprenant que cela puisse paraître de nos jours, je n’étais pas un maître à ce moment-là. J’ai bien conscience que cela remonte bien trop loin dans le temps pour que l’on s’en souvienne. Il est plus aisé de revenir sur les meilleures parties de mon histoire. Je ne fus pas gardien de cochon, mais j’aurais fort bien pu l’être que cela n’aurait pas changé grand-chose. L’important c’est que je fus l’un des seize premiers à découvrir l’énergie sur Sulder. Et que nous ayons développé nos techniques sans jamais nous relâcher. Nous avons découvert les fondements de l’énergie, mais nous n’avons pas tout fait. »
Le grand maître poussa la porte devant laquelle il venait de s’arrêter. Puis il continua : « Ce temps de prospérité de l’énergie est bien loin derrière nous, soupira tristement le grand maître. Depuis la mort de Rouge, à cause de la pression de ce vil élu du mal, les Sulduriens sont engagés dans un pacte de non-énergie. Vous devez certainement déjà le savoir jeune homme, qui n’est pas au courant de cette absurdité. Je préférerais encore mourir plutôt que de renoncer à la seule discipline qui nous permet de rivaliser avec les démons. Je souhaite croire qu’il n’est pas encore trop tard pour réagir. »
Le grand maître poussa fortement la porte d’un coup de pied. « Remettre en place les anciennes normes voila ce qu’il faut à cette planète, gronda-t-il ». Balco eut un court frisson qui le fit sursauter. Il ne s’attendait pas à un coup de colère du grand maître, même s’il n’était pas dirigé contre lui. « Les créatures des ténèbres sont des spécialistes de l’énergie, continua le grand maître sur le même ton. C’est une hérésie que de vouloir interdire son utilisation… Et de l’accepter.
— Avons-nous d’autres choix ? demanda timidement Balco.
— Nous avons toujours d’autres choix qui s’offrent à nous, commenta le grand maître en baissant un peu sa voix. Sulder s’est toujours donné les moyens de lutter contre ses ennemis. Mais depuis quelques années ce n’est plus le cas. Nous sommes plus proches de la fin de Sulder que nous ne l’avons jamais été au cours des temps.
— À cause de Lichn le nécromant noir ? Interrogea Balco.
— Ce n’est qu’un lanceur de sort des ténèbres sans intérêt, indiqua le grand maître. Il y en a déjà une multitude comme lui au fil des âges. Il est peut-être un peu plus arrogant que ses prédécesseurs et avide de pouvoir. La seule inquiétude que j’ai à son sujet, c’est qu’il serait assez fou pour défier son maître : le sorcier Zarox. La chute de ce dernier serait une très mauvaise nouvelle pour Sulder. Vraiment mauvaise. »
Balco entra dans une nouvelle pièce creusée directement dans la roche. Elle ressemblait plus à une caverne au cœur de la maison que véritablement une pièce. La pièce était large d’une dizaine de mètres et d’une profondeur d’une cinquantaine de mètres. Des torches posées contre les murs à intervalle régulier éclairé l’ensemble. La pièce était remplie par de vieux coffres, étagères, tables et chaises. Il n’y avait pas d’organisation et la poussière s’y accumulait de manière encore plus importante que dans le bureau du grand maître.
Il avança en suivant les pas du grand maître qui se dirigeait d’un pas décidé vers l’autre bout de la pièce. Une autre porte de bois y était visible. « Il y a fort à faire, reprit le grand maître. Une tâche bien plus importante que tout ce que j’ai pu réaliser jusqu’à présent. J’ai déjà fait tout ce que je prévois, ce qui est nouveau c’est de devoir tout faire en même temps : remettre les anciennes normes de l’énergie en activité, restructurer l’Empire et trouver un groupe d’héritier d’une vieille légende pour les former !
— Le bon choix suis-je en train de suivre, dit Balco.
— Je ne puis vous le dire jeune homme, indiqua le grand maître. Je comprends que tout ce que je suis en train de vous annoncer peut faire peur. Nous avons nos directives et nous avancerons en ce sens étape par étape.
— Quelle sera la première étape ? Questionna Balco.
— Elle est déjà en place, déclara le grand maître. Cette histoire commencera à Haches. L’Empire a pris naissance dans cette cité, son renouveau se fera également par elle. Et c’est pour cette raison que nous allons nous rendre dans cette cité d’ici quelques instants. Nous allons retrouver dans cette cité des alliés fidèles. Un vaste groupe de jeune apprenti que j’ai pris sous mon aile. Vous allez avoir l’occasion de les rencontrer et de les côtoyer. Ils forment le groupe le plus étrange qui m’ait été donné de former et pourtant j’en ai vu passer. Aussi particuliers qu’ils soient, ils n’en restent pas moins un groupe singulièrement efficace. J’ai de grands projets pour eux et si votre héritage se révèle exact, ils vous seront d’une aide précieuse.
— Comment se fait-il que la cité de Haches ne soit pas sous le contrôle de l’Empire, questionna Balco.
— C’est vrai que cela peut paraître surprenant, commenta le grand maître. Même si l’empereur Truiki n’est pas un ami, bon nombre de ses sujets me sont encore fidèles. Et certainement encore plus serait prêt à me suivre plutôt que leur empereur. La cité de Haches en fait partie. Cela fait plus de trois cents ans que je protège cette ville et qu’elle prospère grâce à cela. La cité de Haches s’est détournée du protectorat de l’Empire pour revenir vers moi depuis une centaine de jours. C’est un début, je compte bien que cela puisse croître dans d’autres cités. Je ne souhaite pas bâtir une faction rebelle à l’Empire, mais au contraire rebâtir l’Empire sur des bases saines et solides.
— L’empereur n’a rien fait contre ce retournement de la cité de Haches, continua de questionner Balco.
— Il le voudrait sans aucun doute, répondit le grand maître. Mais il n’en a pas l’envergure. Il ne peut pas ordonner la moindre action contre la cité de Haches sans mettre en péril son autorité. Il ne peut pas prendre le risque de défier l’une des plus puissantes cités de l’Empire et encore moins lorsque celle-ci a choisi la protection du grand maître. J’aimerais qu’il fasse l’erreur de défier la cité de Haches, mais il ne le fera pas. Et encore moins s’il apprend que je suis moi-même dans la cité.
— J’ai encore un peu de mal à imaginer que je vais voir les portes de la cité de Haches, commenta Balco. Je ne suis jamais allé plus loin que les prairies autour de mon village. J’ai toujours eu un peu de mal à imaginer à quoi peut ressembler une grande cité.
— Vous allez le découvrir très vite jeune homme, dit le grand maître en souriant. Très… très vite. Juste le temps de trouver un parchemin et vos yeux seront face à la muraille Sud de la cité. »
Au cours de cette discussion, Balco et le grand maître venaient de traverser la longue pièce. Le grand maître avait ouvert la porte du fond et il s’était engagé dans un petit escalier sombre qui descendait encore un peu plus profondément dans le sol en tournant lentement sur lui-même. Balco suivit sans ajouter un mot, il avait hâte de voir les murs d’enceinte de la cité de Haches.
Ils atteignirent les recoins les plus enfoncés de la demeure. L’escalier débouchait sur une anfractuosité éclairée par quelques torches. Les murs de cette cavité étaient creusés directement dans la roche. Malgré le grand âge de la demeure et les marques du temps, on pouvait encore distinguer les coups de pioche qu’avait nécessitée sa réalisation.
Une petite porte en bois vermoulus fermait gauchement un boyau sombre. La lumière y était faible. Le passage ne pouvait permettre qu’à une seule personne d’y passer de front. Le grand maître passa devant et Balco le suivit toujours silencieusement. Il se demandait jusqu’où le grand maître allait le conduire dans ce dédale de couloir et de pièces. Cette maison était pire qu’un labyrinthe, il lui vaudrait toute une vie pour en comprendre toutes les ramifications.
Balco accéda à la suite du grand maître dans une nouvelle salle. Elle était éclairée par deux torches accrochées l’une en face de l’autre. Les murs bien que creusés eux aussi étaient bien plus lisse que les derniers passages qu’ils venaient d’emprunter. De nombreuses tables étroites la remplissaient, Balco observa rapidement l’ensemble. Sur chaque table était entassée une multitude d’objets. Balco aurait été incapable de dire s’ils étaient rares ou même précieux. Il n’avait jamais vu autant de stock réuni dans une même pièce… même le forgeron de son village n’en avait pas une telle quantité.
Il y avait là des épées, des bâtons, des arcs, des carquois remplis de flèches de diverses formes et couleur, des dagues, des morceaux d’armures, des bagues et encore bien d’autres objets. Certains de ceux-ci étaient mêmes inconnus de Balco, il n’aurait pas su les nommer si on le lui avait demandé. Le grand maître émit un petit rire en constatant le visage surpris de Balco devant cet amas d’objets.
« Ce que vous voyez là jeune homme, c’est le travail de nombreuses vies, commenta le grand maître avec une voix enjouée. Chaque objet que vous pouvez apercevoir est magique sans aucune exception ! Ce sont des cadeaux que j’ai accumulé au cours des âges. Tous offerts par mes anciens apprentis qui les ont trouvés au cours de leur carrière. Il y en a même qui m’ont été donné par Rougue après son incursion dans le grand château des Mores. J’ai étudié la plupart de ses objets, mais il y en a encore dont j’ignore leur véritables capacité et fonctionnalité. Je les garde, qui sait, un jour ils serviront certainement. C’est mon musée, une trace des héros qui ont foulé de leur pied cette planète. Il faudra un jour lorsque je prendrais ma retraite conter toutes les histoires qui entourent ses objets et des héros qui me les ont fait parvenir. Un jour… oui, je ferais cela… un jour… »
Balco contempla avec encore un peu plus d’admiration tous les objets qui défilaient devant ses yeux grands ouverts. Il avala sa salive se sentant, une nouvelle fois, bien petit dans ce monde. Il n’était qu’un jeune garçon plongé au cœur d’une intrigue qui le dépassait à chaque instant un peu plus.
Le grand maître traversa la salle et poussa une porte de fer rongée par la rouille. La porte couina sur ses gonds fragiles, quelques lambeaux de portes s’effritèrent au contact de la main du grand maître. Malgré sa fragilité plus qu’apparente, elle ne tomba pas en morceau. Pas encore. Le grand maître ajouta ironiquement : « Je me le dis à chaque passage, mais il faut véritablement que je change cette porte. Elle va finir par tomber en poussière et je n’aurais collecté que ce que je mérite. »
Balco poussa un petit rire qui entraîna l’hilarité du grand maître. Ils continuèrent de rire tout en progressant dans un boyau mince, mais très bien éclairé. Balco suivit le grand maître en riant tout le long du passage, jusqu’à parvenir dans une dernière salle. Beaucoup plus spacieuse que les précédentes, mais moins bien éclairée que le dernier boyau. On ne voyait pas les murs de cette salle, car elle est remplie d’étagère contenant de vieux manuscrits. Une grande table posée au centre de la pièce où sont disposées plusieurs dizaines de bougies, permettant à elles seules d’éclairer cette pièce. La pièce ressemblait beaucoup au bureau du grand maître, mais dans des proportions bien plus démesurées. Balco resta ébahi par une telle collection de livres et grimoires. Le grand maître farfouilla sur la table les quelques parchemins dont il avait pris un soin particulier à disposer logiquement. Il en prit deux et en tendit un à Balco.
Balco regarda le grand maître en le questionnant du regard pour savoir de quoi il s’agissait. Le grand maître lui sourit courtoisement. Il fut satisfait intérieurement de la méfiance de Balco. Ne pas plonger tête baissée dans un phénomène inconnu était un premier gage pour survivre un peu plus longtemps dans ce monde.
« C’est extrêmement simple jeune homme, il s’agit d’un parchemin magique, expliqua le grand maître. Il vous suffit d’en regarder le contenu même négligemment et vous allez être expédié devant la grande porte Sud de la cité de Haches. » Balco ouvrit de grands yeux. Il comprenait un peu mieux l’importance de ce bout de papier. C’était un peu comme le parchemin qui avait fait disparaître Dame Anis, la première elfe qu’il avait croisé de sa vie…
Balco souffla un grand coup. Il posa ses yeux sur le contenu du parchemin tendu devant lui. Il ne put décrypter le moindre signe, celui-ci commença à se consumer dans ses mains… Il ne vit plus que des flammes partout tout autour de lui jusqu’à perdre connaissance. Il était allongé sur un sol froid et caillouteux lorsqu’il sentit une main le secouer doucement.
« Il n’est pas encore l’heure de la sieste jeune homme, nous avons encore beaucoup à faire en ce jour. » Balco ouvrit les yeux en se tenant la tête. Il était tout engourdi comme si on venait de le réveiller, tout tourné autour de lui. Son esprit était vaseux. « Debout jeune homme, ajouta le grand maître. Vous allez vite vous remettre de ce voyage. Ce changement d’espace et de temps trop rapide est toujours difficile à gérer les premières fois. Je vous promets que vous ne ressentirez plus rien dans une poignée de minutes ».
Balco posa ses deux mains au sol. Il s’en servit comme appui pour se redresser. Il soupira fortement en bougeant sa tête lentement de droite à gauche. Il espérait que quelques mouvements puissent atténuer son mal de crâne, mais cela n’eut aucun effet. Il prit quelques secondes pour assurer son équilibre. Le grand maître attendait immobile fixant droit devant lui. Balco suivit le regard du grand maître et resta estomaqué !
Une grande muraille de pierres grises, blanches et noires de trois mètres de haut était érigée majestueusement à une centaine de mètres devant eux. Un peu plus loin, Balco apercevait les toitures de dizaines… de centaines, et peut être même de milliers de demeures. Des dizaines de formes se déplaçaient en haut de la muraille. Il s’agissait des gardes de la cité patrouillant sur le chemin de ronde. Balco était encore trop loin pour les distinguer parfaitement. Un autre groupe de soldat marchait au pas devant la grande porte Sud de Haches. Une ouverture en arcade de plus de quatre mètres de large.
Balco était admiratif devant ce spectacle, il n’avait connu que son petit village natal, c’était sa première vision d’une des grandes cités de ce monde.
« Je vous présente la cité de Haches, entonna le grand maître avec un sourire ». Balco était toujours immobile n’en revenant pas qu’une cité puisse être aussi grande et peuplée. Le grand maître commença à avancer en direction de la grande porte en s’appuyant tranquillement sur un grand bâton blanc et il somma Balco de le suivre : « Vous pourrez admirer le paysage un autre jour jeune Balco. Nous allons voir si l’intérieur de la cité ne vous impressionne pas davantage ».
Balco était déjà troublé. Son mal de crâne commença à s’estomper lorsqu’il eut fait quelques pas à la suite du grand maître. Il gardait les yeux rivés sur chaque détail qui s’offrait à lui. Plus il s’approcha de la porte et plus l’intérieur de la cité commença à lui apparaître. La vue de la cité de Haches le galvanisa. Il oublia même pendant un bref laps de temps que le grand maître l’accompagnait.
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