Mortemobire CODEX SULDER
   

Chapitre 1 : La lettre

Les derniers rayons du soleil déclinèrent à l’horizon laissant la place à l’obscurité de la nuit. Les chaumières du village s’illuminèrent. Les lumières diffusées par les foyers des âtres rayonnaient au travers des vitres et émettaient leur couleur rougeâtre à l'extérieur des demeures. Une épaisse fumée grise s'échappait des cheminées placées sur les toits. Le village d’Ogine était calme, une légère brise frappait contre les volets. La vie ici était paisible et les distractions assez rares. Il y avait peu d'étrangers qui s’arrêtaient dans le village. Lorsqu'il y en avait un, c'était majoritairement l’objet d’un égarement du visiteur qui cherchait le chemin pour la ville de Batit. Cependant, les villageois apprenaient par ce biais quelques nouvelles de l’extérieur.
Depuis que les tournois d’énergie avaient été bannis de la planète, bien peu de choses pouvaient attirer les étrangers dans ce village perdu à l'ouest de la cité de Haches. Seuls quelques férus d’histoire étaient encore susceptibles de passer dans ce coin reculé. Le village était un haut lieu de l'histoire de la planète. C’était le lieu de naissance de Sylvain 1er, le premier empereur de l'Empire, celui-là même qui a créé le plus grand empire Sylvas et son code de conduite.
Note de l’auteur

Le début du tome 4 a plusieurs fois changé. Initialement, c’était lors de la première rencontre entre les élèves du grand maître. Sauf que les héritiers n’apparaissaient qu’après plusieurs années devenant une sorte de mythe que les élèves du grand maître ne pensaient plus atteindre. Les passages de ce début initial sont récupérés pour faire partie des souvenirs des élèves qui sont présents régulièrement.

Désormais, le premier chapitre présente directement Balco, l’histoire plonge directement avec la présence d’un héritier.
Nonobstant cela était insuffisant à attirer des visiteurs. Pour ne rien arranger, l’Empire faiblissait. Depuis quelques années, son empereur n'avait pas la même poigne que ses prédécesseurs et la puissance croissante des forces de l'ombre ne l'aidait pas dans sa tâche.
Ne pouvant compter sur son passé pour vivre, le village subsistait grâce à l'agriculture et l'élevage. C'était un tout petit village quatre cents personnes tout au plus. Il n'y avait presque pas d’autres villages aux alentours. Le premier était à vingt kilomètres un peu plus à l'ouest. Et personne n'y allait ! Car, trop près de l'Enfé. Ce dernier étant le plus gros fleuve de Saol et le plus dangereux, de nombreuses créatures monstrueuses vivaient sur ses rives.
Les villageois préféraient ne pas s'aventurer aussi près du fleuve pour ne pas rencontrer l'une de ces créatures. Même aucun des villageois n’avait jamais croisé l’une de ses soi-disant créatures.
Les échanges entre les villages s'étaient éteints en même temps que l'énergie. Sulder était maintenant une planète de misère et de ruine. Seuls quelques empires et immenses cités parvenaient encore à prospérer. Le reste du monde tentait simplement de survivre. Triste sort d’une planète qui fut aussi évoluée et riche.
L'espoir des espèces avait disparu. Les héros étaient de plus en plus rares et les forces maléfiques se renforçaient chaque jour un peu plus. Plus rien ne pouvait les ralentir. L'Histoire donne en permanence des références à cette recrudescence des forces des ténèbres. À chaque fois, un héros voyait le jour pour lutter contre la nouvelle menace. L'espoir continu de résider un peu au fond de chaque suldurien. Mais les héros ne se montraient plus. Seuls les anciens combattaient encore, la relève n'arrivait pas ! L’Empire était à l'agonie et affaiblit. Tout était réuni pour que les peuples de Sulder soient décimés par les forces des ténèbres. Personne n'arrivait à imaginer qui allait être en mesure d'arrêter cette progression. Sans l'énergie et sans héros, ce n'était pas les peuples miséreux qui combattraient ce fléau. Le seul véritable espoir était une légende ! Une légende racontant que Rouge serait toujours vivant et qu'il attendait dans l'ombre la bonne occasion pour revenir et achever sa tâche de balayer pour toujours les créatures des ténèbres.
C'était la conversation première dans tous les villages et Ogine n'y faisait pas exception. La taverne était achalandée comme chaque soir. Les bavardages n'évoquaient que le problème de leur survie. Une grande partie des habitants était réunie dans la taverne. Ce soir, il n'y avait pratiquement que les hommes du village ce qui ne les empêchait pas de ressasser des sujets maintes fois abordés. Comme presque tous les soirs à Ogine, la seule activité était la taverne. Une grande partie du village était réunie autour d'une bière. Une pour chacun, évidemment !
Il y avait là plusieurs groupes. Plusieurs groupes d’anciens. Mais, également un groupe de jeunes installé au milieu de tous les anciens. Tout le monde parlait fort et personne ne s'entendait. Les discussions n'étaient compréhensibles que si l’on y participait.
Illustration du chapitre
La porte de la taverne s'ouvrit et un nouveau jeune homme entra. Il ressemblait à un paysan, de vieux vêtements usés par le travail, des cheveux noirs broussailleux et des yeux noir profond. Le petit groupe de jeunes l'interpella avec quelques railleries. Tête baissée, il s'approcha du petit groupe et tira une chaise pour s'y asseoir. Il fut à peine assis que déjà l'un de ses camarades se moqua à nouveau de lui. « Alors l'aventurier, lui dit-il d'un ton moqueur. Raconte-nous ta journée héroïque. Comment as-tu battu ces énormes monstres qui menaçaient le village ? Hein, tes gros cochons ont l'air bien menaçants ! » Tout le petit groupe éclata de rire…
Le jeune paysan qui venait de faire son entrée dans la taverne se nomme Balco. Son père avait été un aventurier, comme son grand-père et les différentes générations précédentes. C'était une tradition de la famille. Balco était forcé par le destin d’endosser ce rôle afin de ne pas décevoir la tradition familiale. Il ne pouvait pas en être autrement. Pour le moment, il n'était qu'un simple paysan. Il espérait qu'un jour une aventure viendrait à lui et qu'il pourrait enfin prouver qu'il était bien le digne fils de son père. Ce jour tant espéré semblait encore bien loin, à la plus grande joie de ses camarades qui ne manquaient jamais une occasion de le lui rappeler.
Balco n’avait pas eu de chance, son père avait dilapidé les dernières fortunes de la famille en voyageant sur la planète et maintenant il était installé ici. Il était devenu éleveur afin de regagner un peu d'argent. Balco ne pourrait pas s'évader de ce village et de tenter une grande histoire comme le reste de sa famille. L'impatience se lisait sur son visage, car il était vrai que sa seule occupation se résumait à garder des cochons à longueur de journée. Il ne désespérait pas à l'idée d'être un grand héros, mais le doute s'était tout de même emparé de lui. Il n'avait pas d'armes et même s'il en avait une, il n'aurait pas su s'en servir. Plusieurs fois, il avait coupé des morceaux de bois et s’y été taillé des épées. Puis loin des regards du village, il s'amusait à se battre contre le vent ou d'autres ennemis invisibles. Mais il n'avait jamais eu affaire à de véritables adversaires. Il était un paysan condamné à le rester, même si son âme était celle d'un aventurier.
Balco
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Il resta assis sur sa chaise écoutant les récits de ses camarades et sirota sa bière avec une grande délicatesse. Il était perdu dans ses pensées de contes héroïques et n'écoutait que d'une oreille les exploits de chacun de ses camarades dans la recherche de l'âme sœur. De bien longs discours, bien souvent irréalistes, Balco n'y prêtait aucune attention. Il savait qu'il rencontrerait sa belle princesse en parcourant le monde et en la sauvant des griffes de démons… Alors qu'il s'était laissé bercer à penser qu'il aurait un jour le privilège de croiser Dame Inima, la célèbre femme de Rouge; une nouvelle personne fit irruption dans la taverne, avec grand fracas !
Un individu qui n’habitait pas le village fit irruption ! En plus personne ne le connaissait ! Il y eut soudainement un grand silence. La taverne se retrouva dans un calme bien rare et inquiétant. Tous les regards se tournèrent vers ce visiteur inattendu.
C'était un homme plutôt musclé, certainement un guerrier. Il portait une vieille armure fissurée en de nombreux endroits. Du sang était visible sur celle-ci et semblait à peine séché. Ses bras et ses mains étaient sans protection, plusieurs longues griffures qui ne s'étaient pas encore refermées recouvraient ses membres avant. Son visage était défiguré, plusieurs coups et entailles recouvraient sa figure. Il avait un œil fermé, peut-être crevé par l'un des coups. Du sang coulait encore le long de ses joues. L'homme était épuisé.
Il tituba. Il eut du mal à se maintenir debout. Il se cramponna à la première table. Puis, d'une voix épuisée et haletante, il prononça ces mots terribles : « Sauvez-vous… Vite ! … L'armée des ténèbres est en… marche… Une ar… armée levée par… Lichn ! » Ce dernier mot résonna comme le glas d'une cloche lugubre. Plusieurs gardes surgirent dans la taverne et emmenèrent l'individu à l'extérieur. L'un d’entre eux se tourna vers les consommateurs de la taverne. « Pas d'inquiétude, dit-il d'une voix puissante. Cet homme a visiblement trop picolé… »
Puis ils partirent tous, les gardes et l'homme ! Toutefois plus rien n'était comme avant. Les discussions reprirent, mais elles concernaient soit l'homme, soit Lichn. Balco avait déjà entendu parler de Lichn. C'était un nécromant noir des ténèbres entraîné par Zarox en personne. Le nécromant noir se révéla très vite comme l'un des plus puissants apprentis de Zarox. Il était encore jeune et inexpérimenté, mais ses visions de grandeurs étaient là. Il avait quitté l'enseignement de Zarox et avait levé sa propre armée, trouvant son mentor trop mollasson. On raconte dans certains ragots populaires que Lichn projetterait de détruire Zarox. Seulement, lorsque sa propre armée serait parfaitement constituée. Mais tout cela n'était que commérage jusqu'à présent…
C'était la première fois que l'on annonçait que Lichn était bel et bien en train de se mettre en marche pour conquérir et possiblement achever la planète. La taverne était en ébullition. N'importe quoi y était déclaré et commenté. On en arrivait même à croire que Lichn avait tué Zarox. Une telle nouvelle aurait fait du bruit. Zarox avait été placé par Demondai en personne à la tête de cette planète. Le monde des ténèbres en aurait été complètement chamboulé. Toutes les armées des ténèbres n'étaient pas avec Lichn, bien au contraire.
La passivité de Zarox était plutôt bien vue. Les ténèbres avaient livré de si nombreuses batailles et perdu tellement de guerriers, de sorciers et de démons, que les derniers survivants n'étaient pas pressés de mourir ! On ne savait que peu de choses sur Lichn, mais son nom faisait frémir les populations. Il s'était rebellé contre Zarox et cela suffisait pour inspirer la crainte de ce nécromant noir. Depuis trois cents ans, personne n'avait contesté l'autorité de Zarox. On ignorait la valeur de Lichn, mais si Zarox ne l'avait pas tué, on craignait le pire. Lichn était la créature la plus inquiétante du moment, car on méconnaissait tout de ses capacités et de ses motivations…
La soirée continua pendant de longues heures… De son côté, Balco fatigué, quitta la table une petite heure à peine après être arrivée. Juste avant de partir, l'un de ses camarades lui dit : « De toute façon, si Lichn vient ici, notre grand et fort aventurier le repoussera d'un coup de bâton de berger… » Ils éclatèrent de rire. Balco sortit, la tête baissée entre les épaules, de la taverne en entendant toujours les moqueries de ses camarades. Il cacha son visage triste contre sa chemise grisâtre. Puis, penaud, il regagna sa demeure. La tête encore pleine de grands rêves, sa nuit allait être une nouvelle fois remplie par les légendes et l'espérance de devenir une personne importante de la planète ! Et qui sait ? Pourquoi ne serait-il pas celui qui repousserait Lichn, le nécromant noir ? Balco entra dans la demeure familiale à petits pas et se coucha en essayant de ne pas réveiller ses parents. Blotti dans sa couverture verte et très usée, que son père disait tenir d'un elfe dont il avait sauvé la vie, Balco s'endormit paisiblement. Inconscient que sa prochaine journée allait changer le cours de sa vie et de nombreuses autres…
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Le soleil se leva au-dessus de la brume matinale, Balco entrouvrit les yeux et se précipita en dehors de son lit. Il passa rapidement devant la cuisine familiale et il dit un bonjour rapide à sa mère, avant de foncer vers la petite porcherie dont il avait la charge. Ses camarades de jeu se gaussaient. Ils riaient de le voir travailler avec ses cochons. Balco était au contraire satisfait : ces animaux ne demandaient que peu d'attention. Ce qui lui permettait de s'évader dans ses rêves sans avoir besoin de rester concentré en permanence. Balco vérifia que les cochons ne manquaient ni de nourriture ni d'eau et il retourna l'esprit tranquille à la cuisine pour prendre son petit déjeuner.
La cuisine de la demeure familiale était une vaste salle aux poutres basses, un fourneau, de nombreuses marmites ou chaudrons empilés les uns sur les autres. Une grande cheminée au-dessus du fourneau pour tenter de retirer un maximum d'odeur de la cuisine malgré tout très grasse et enfumée. Une longue table de travail qui servait à la fois à cuisiner et à manger se dressait au centre de la salle. La mère de Balco était en train de pétrir de la pâte pour en faire le pain de la semaine. Elle avait les cheveux longs, très sombres, presque noirs, rabattus sur son visage. Elle passait constamment sa main entre ses cheveux pour les écarter afin de voir parfaitement un bref instant.
Balco s'installa à un bout de la table, loin de sa mère pour ne pas la déranger dans son travail, et il se servit un bol de lait de vache accompagné de quelques tranches de pain. Balco mâchouilla tranquillement ses bouts de pains trempés dans le lait. Son repas n'avait pas beaucoup de goût, mais il n'y avait pas grand-chose d'autre à manger. Sa famille n'avait plus d’argent et elle devait faire avec la production de la ferme. Lorsqu’il eut fini de prendre son petit déjeuner, il quitta aussi vite la pièce sans adresser la moindre parole à sa mère et il repartit surveiller ses cochons…
La matinée fut paisible, Balco s'était allongé dans les herbes hautes qui longeaient les barrières de l'enclos à cochon. Ce qui lui permettait de surveiller ses animaux du coin de l'œil. Il commençait à s'endormir, lorsque l'un de ses camarades vint le rejoindre. « Balco ! S'écria son camarade. Tu as une lettre ! » Balco se redressa surpris par les cris. « Une lettre ! Pensa-t-il, fantastique ? » Balco était tout ébouriffé, des brins de pailles et d'herbes dans les cheveux qui le rendaient encore plus pitoyable. Son camarade lui tendit la lettre et il repartit pour continuer sa distribution du courrier.
Ce camarade était le fils du postier du secteur, il aidait souvent son père à la distribution. Le village, bien que peu habité, s'étendait sur des dizaines de kilomètres. Il y avait des fermes installées un peu partout, seul le cœur du village était dense en maison bourgeoise et commerce de tout genre.
Balco regarda attentivement la lettre, il se doutait de sa provenance. Il souhaitait avoir une confirmation de ses doutes avant de l'ouvrir réellement. Il put constater sur le devant de la lettre, le tampon rouge de la poste de San Angelos. Il ferma les yeux, rassuré quant à sa provenance et l'identité de son expéditrice. C'était sa grande sœur Ann qui lui envoyait de ses nouvelles. Ann en avait eu assez de la ferme familiale et elle avait tenté sa chance à l'extérieur au plus grand désespoir de sa mère. Ann était partie vers la grande cité de San Angelos pour trouver un travail et envoyer un peu d'argent à la famille. C'était la première lettre que Balco recevait d'elle depuis son départ... Presque un an maintenant.
Balco était excité. Il arracha avec vigueur la cire qui maintenait la lettre fermée et en sortit le bout de papier qui y était contenu. La feuille était déjà jaunie. San Angelos n'était pas très loin de leur village, mais il fallait passer le fleuve de l'Enfé au niveau du pont de Batit, un endroit peu fréquentable, c'est pour cela que le courrier ne passait pas régulièrement. Les postes de San Angelos attendent qu'il y ait suffisamment d'envois pour l'autre côté du fleuve afin de justifier le démarchage d'une escouade de milicien de San Angelos pour accompagner leurs postiers.
Peu lui importait la durée de voyage de cette lettre. Il tenait à avoir des nouvelles de sa grande sœur. Balco tendit la lettre devant ses yeux noirs perçants et il commença à lire :
 
« Mon petit Balco,
Je suis enfin arrivé dans cette grande cité. Les récits de papa au sujet de San Angelos n'étaient pas que des galéjades ! Cette cité est vraiment très grande, il m'a bien fallu deux semaines pour commencer à me repérer et ne plus me perdre. J'ai la chance d'avoir trouvé un petit travail de vendeuse dans une forge au cœur du quartier ancien de la cité. Mon travail est ennuyant et lassant, malgré la grande affluence journalière du magasin. Tu serais enchanté de rencontrer la moitié des clients, j'ai croisé presque toutes les espèces qui foulent notre monde. Mais rassure-toi, je n'ai pas croisé Dame Inima. Je te laisse le privilège de cette rencontre !
Si jamais tu te décides, enfin, à devenir un aventurier et partir sur les routes de Sulder à la recherche d'aventures, pense à passer par mon établissement, je te ferais quelques prix pour le matériel. Mon patron ne sera pas content, mais je le prélèverais sur mes finances.
J'aimerais te décrire tous les lieux magiques de San Angelos, mais je n'ai pas le temps pour le moment. Dans une prochaine lettre certainement.
Mon cher petit frère, je souhaite que tu prennes rapidement ton envol, même si ta carrière d'aventurier n'est pas productive, tu as tellement de choses à découvrir que tu ne connais pas encore.
Ann
P.-S. Envoie-moi quelques nouvelles de la famille. »
 
Balco avait un grand sourire sur les lèvres. Il se laissa basculer en arrière dans les hautes herbes en rêvant aux multiples rencontres que sa sœur avait pu réaliser. De son côté, il n'avait pour le moment que côtoyé des humains et uniquement des humains. Son père lui avait souvent conté ses découvertes au sujet des elfes, des nains, des arklins et des nombreuses autres espèces étranges qui vivent sur Sulder. Il avait une vague idée par le biais d’image mentale de chacune des espèces, mais il lui tardait de pouvoir découvrir et partager cette expérience de lui-même. Il espérait chaque jour que des étrangers non humains passent par son village. Pas un seul jour ne lui apportait satisfaction. Seuls les humains venaient ici.
Balco était pourtant confiant. Au plus profond de lui, un sentiment de liberté vagabondait, il sentait qu'il ne resterait pas ici pour toute sa vie. Il abandonnerait ses camarades de jeu pour vivre la grande aventure. Il visiterait Aiges, San Angelos, la capitale Englub et… surtout CitéRouge pour y croiser Dame Inima. Ce dernier rêve serait certainement le plus difficile à réaliser. Dame Inima est la grande Dame de Sulder, même si la comtesse de San Angelos tente de revendiquer ce titre. Dans le cœur de tous, Dame Inima est bien plus importante que la comtesse. Non seulement parce qu'elle est la femme de Rouge, mais aussi, parce qu'elle continue activement à lutter contre les forces des ténèbres. C'est grâce à elle, si l'Empire ne s'est pas encore effondré. Seule, dans cette tâche, elle ne pouvait pas être partout. Balco était persuadé que si Lichn était encore en vie, il ne le devait qu’à la chance. Celle que Dame Inima n’a pas le temps de s’occuper de lui. D’ailleurs, ce n’était qu’une question de temps avant qu’elle ne s’occupe de ce perfide personnage.
Balco se disait souvent que s'il avait les compétences nécessaires pour lutter contre ce nécromant noir. Il serait vraiment l'aventurier dont il rêvait d'être. Si le destin lui offrait en plus l'opportunité de sauver Dame Inima d'un mauvais pas, il n’aurait pas de plus grand rêve à réaliser. Balco soupira. Des rêves, il en avait toujours plein la tête, la réalité elle était toujours à l’opposé. Ce n'était pas en gardant quelques cochons qu'il allait être en mesure de sauver Dame Inima.
Balco se remémora l'intervention de l'homme blessé dans la taverne. S'il n'avait pas menti, Lichn allait déferler sur ces contrées avec son armée. Quel drame en perspective, son histoire, sa vie, s'arrêterait avant même qu’il n’ait pu y donner un réel sens. Dans ses rêves, il avait la puissance d’un héros, mais ici bas, les deux pieds posés sur le sol de Sulder, il n’avait pas les moyens de rivaliser contre un lanceur de sort des ténèbres. Il était encore bien trop jeune et inexpérimenté pour envisager un tel exploit.
Balco se laissa bercer par le flot de ses pensées durant une longue partie de la matinée. Il reprit de la vigueur en se remettant en tête sa sœur souhaitant recevoir des nouvelles de la famille. Il se redressa et se secoua activement pour retirer le maximum d'herbes qui s'étaient accrochées sur ses vêtements. Il se redirigea vers la demeure familiale en sautillant et sifflotant. Il était de bonne humeur et voulait le faire savoir. Balco s'installa sur la grande table de la cuisine, pendant que sa mère préparait le repas de midi avec acharnement. Balco employa sa plus belle écriture pour rédiger la lettre destinée à sa sœur. Il en écrit plusieurs pages racontant toutes les petites histoires du village, même les plus inutiles. Sa mère le regarda faire avec amusement. Elle sourit devant l'ardeur de Balco à faire de son mieux. L'heure du repas arrivait. Habituellement, la mère de Balco n'appréciait pas les retards, mais pour une fois, elle autorisa celui-ci à aller porter sa lettre à la poste du village. Il allait être en retard pour le repas ! Balco fut surpris, mais sans demander plus d'explications, il embrassa sa mère et partit à toutes jambes vers le village.
La ferme de Balco n'était qu'à un petit kilomètre du cœur du village. Les sandalettes de Balco n'étaient pas vraiment idéales pour courir dans les champs, mais il s’y accommodait. Après en avoir traversé deux, il put reprendre le petit sentier menant au village. Ce n'était guère mieux, le sol trop caillouteux l'empêchait d'aller bien vite. Il risquait de se tordre les chevilles à chaque instant. Cela ne le préoccupait nullement, Balco avait le sourire aux lèvres en tenant la lettre pour sa sœur entre ses doigts. Il avait le cœur léger, satisfait d'avoir pu répondre à la requête de sa sœur dans les délais les plus courts. Il espérait maintenant que la poste de la ville pourrait faire parvenir ce message assez rapidement jusqu’à San Angelos. Il savait que le message devrait certainement passer par la cité de Haches avant d'atteindre sa destination finale. Un détour nécessaire, il ne pouvait pas y échapper.
Balco arriva en courant sur la place publique du village. Une grande partie de la population s'était regroupée sur la place et discutait très fortement des événements de la veille. Balco stoppa le pas pour écouter un peu l'affolement général de la population du village. Si les nouvelles se vérifiaient, le village n'aurait pas les moyens de contrer l'armée de Lichn. Le village se ferait raser en quelques secondes et l'armée du terrible nécromant noir continuerait son chemin sans même s'être rendu compte qu'il y avait ici un village. Ce n’était pas la maigre garnison de six soldats laissée ici généreusement par l’Empire qui pourrait y changer quelque chose.
Balco se rapprocha de l'attroupement pour espionner ce qui se racontait. Balco connaissait le nécromant noir Lichn que par les ragots de taverne, il était intrigué et avide d'en savoir un peu plus. Le village dans sa plus grande partie se retrouvait là au milieu de la grande place à vociférer et imaginer le pire. Mais personne ne savait ce qui se passait réellement, le nécromant noir n'était peut-être pas là du tout et la population s'agitait pour des raisons inexistantes. Balco baissa la tête, un peu déçu de ne pouvoir obtenir des informations plus convaincantes. Il jeta un œil sur la lettre qu'il avait dans sa main et la plaça délicatement dans la poche de son vieux pantalon gris tout râpé par ses roulades dans les herbes hautes. Il se dirigea à petits pas vers la poste en écoutant toujours d'une oreille les commentaires sans intérêts de la population locale.
Les discussions continuaient à divaguer sur la présence du nécromant noir… Balco s'était déjà éloigné de la place, lorsque le chef du village fit son apparition. Il monta sur une caisse en bois posée au milieu de la place, afin de se faire voir par tout le village. La foule baissa d'un ton et se mit à chuchoter pour terminer leur discussion. Balco s'arrêta un instant et se retourna pour écouter le discours du chef du village. Il avait certainement des nouvelles plus récentes de la situation. Le chef du village éleva la voix malgré que le village se soit enfin tu :
« Ne craignez rien, dit-il d'une voix qu'il cherchait à rendre sûre. Le village n'est pas en danger. L'étranger, qui est passé par la taverne hier soir, n'était qu'un voleur recherché par nos gardes. Une armée des ténèbres n'est pas en train de se lever... »
Le bruit d'une corde soudainement détendu claqua comme un long glas dans les oreilles de Balco ! Il s'ensuivit, un sifflement ; que seul Balco fut amené à entendre légèrement. Le visage de Balco commença à se faire plus grimaçant et inquiet ! Le chef du village eut le souffle coupé et il tomba en arrière, s'écroulant devant une foule affolée. Une flèche s'était plantée dans son cou et avait mis un terme à sa vie en une fraction de seconde !
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Un concert de trompette s'éleva dans les airs. Balco était immobile, incapable de faire le moindre mouvement. La peur lui bloquait toutes les articulations. La foule commençait à se disperser en courant dans tous les sens. « Ce sont les trompettes de l'armée de Lichn, s'écrièrent quelques personnes en courant en zigzag ». Il était désormais trop tard pour se cacher ! Balco ne savait plus que faire ! Pourtant dans chacun de ses rêves, lorsque le danger se présentait à lui, il trouvait toujours la solution unique et parfaite pour se sortir de toutes les impasses. C'était si simple dans les rêves… si simples.
La panique avait gagné le cœur de chacun à une vitesse prodigieuse. La population détala de tous les côtés. Sans savoir vraiment où aller ni même d'où venait l'ennemi tant redouté. Les rares gardes de la ville se regroupèrent au centre de la place en attendant leurs ordres ! Ils n'étaient que six ! Et bien trop apeurés pour combattre. Les ordres de leur sergent ne venaient pas à eux, ils étaient complètement perdus ! Un peu dans le même état que le jeune Balco.
Les premiers squelettes pénétrèrent dans le village ! Balco tourna légèrement sa tête vers sa gauche pour voir ces créatures issues de la magie des ténèbres s'avancer d'un son lugubre et osseux ! Balco était essoufflé, son cœur palpitait au maximum, il ne pouvait pas faire le moindre mouvement. Il n'avait pas même la force de pleurer. Il observait les squelettes sous l’emprise d’une peur immense qui tiraillait tous ses membres. Jamais jusqu'alors il n'avait éprouvé une telle sensation de terreur. C'est pour cette raison qu'il n'arrivait pas à trouver ce qu'il devait faire !
Les gardes se précipitèrent sur les premiers squelettes sans attendre les ordres qui ne viendraient certainement jamais. Deux squelettes tombèrent immédiatement sous l'assaut, ces créatures étant très lentes. Des archers squelettes postés juste derrière la première rangée de squelettes décochèrent une série de flèches qui eut raison de deux des gardes.
Balco n'était qu'à dix mètres de la scène. Il sentait l'agitation dans son dos. S'il avait eu un instinct de survie plus développé, il se serait sauvé comme tous les autres. Certainement pour ne pas aller très loin, car cette armée de squelettes allait marcher sur toutes les demeures!... Un grand vide envahit l'esprit de Balco. La douleur et la colère étaient en train de l'enivrer. Les muscles de ses doigts se resserrèrent sur la lettre qui traînait au fond de sa poche ! Ses yeux commencèrent à se plisser.
Une grande colère commença à lui parcourir le corps comme un grand frisson qui fit bouger tous ses muscles les uns après les autres. C'était un sursaut ! Son esprit reprit le dessus. Sa peur s'atténua, mais en prenant conscience de la tragédie qui le frappait ?
Il avait dans la tête son départ de sa demeure. Et cela n'avait pas été le grand départ dont il rêvait. Mais son départ pour venir poster cette lettre. Il venait d'embrasser sa mère non pas pour une simple course ! C'était son dernier baiser. Il venait sans vraiment s'en rendre compte de dire adieu à sa mère. Jamais cette idée effroyable ne lui avait traversé l'esprit. Il avait toujours été convaincu qu'il retrouverait sa mère dans ce petit village entre ses aventures. La présence de ces squelettes lui laissait présager aujourd’hui tout le contraire.
Le courage et la détermination lui parcoururent tout le corps. Il était maintenant motivé pour se défendre ! Non pas pour sauver sa vie ou celle du village. Mais pour avoir l'opportunité de croiser, une ultime fois, sa mère. Lui dire tout son amour avant que tout ne s'arrête ! Balco totalement décrispé commença à marcher en direction des squelettes ! Il inventa dans son esprit créatif un scénario incroyable pour se sortir de cette situation. Il fixa l'épée que l'un des gardes morts venait de laisser choir sur le sol. Balco avança dans cette direction de plus en plus vite sans se soucier des événements qui se déroulaient autour de lui. Il n'écoutait rien, il n'entendait rien, il ne voyait plus rien en dehors de cette épée sanguinolente du sang du garde mort juste à côté.
Il se rapprocha de plus en plus inconscient des risques ! Les derniers gardes défendirent chèrement leur vie. Ils se débarrassèrent de plusieurs squelettes. Mais, ils n'étaient pas en mesure de tous les anéantir. Les squelettes étaient trop nombreux, les gardes commencèrent à être débordés et l'un d'entre eux fut embroché par la lame froide de l'un des squelettes. Balco arriva, enfin, au niveau de l'épée. Il se baissa pour la ramasser…
Il l'empoigna fermement, comme si cette épée à elle seule allait pouvoir le sauver de sa situation. L'esprit de Balco commença à se déconcentrer et il reprit ses esprits. Il n'était qu'à un petit mètre du premier squelette ! Il se redressa rapidement en soulevant l'épée de toutes ses forces. Il regarda le squelette le plus proche de lui en poussant de grands soupirs afin de reprendre du courage. Il voyait cette créature froide et sans vie qui gesticulait de façon magique devant lui. Balco avait à peine la force de soulever l'épée. Il fit un pas en avant pour s'approcher encore un peu plus du squelette pour le moment occupé à combattre l'un des derniers gardes…
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Son scénario s’écroula tel un château de cartes face au vent, lorsqu'une flèche se planta dans son épaule gauche. Son sang gicla de la plaie sur sa chemisette blanche couverte de traces vertes dues aux hautes herbes. Balco grimaça de douleur et ne put se retenir de crier. Son beau scénario inventé dans un coin de son cerveau venait d’être balayé en un instant. Il se croyait invulnérable dans ses rêves et voilà que la réalité le rappelait à l'ordre. Deux squelettes s'approchèrent de lui, attirés par ses cris ou par le sang qui coulait le long de sa chemise.
Balco regarda les squelettes. Incrédule, il n'avait jamais imaginé qu'un combat serait aussi difficile. Il souleva avec une grande difficulté l'épée qu'il avait entre les mains. La flèche encore plantée dans son épaule le faisait atrocement souffrir. Sentir son sang chaud couler le long de son bras ne le rassura pas du tout. Balco fixa les orbites vides des deux squelettes avec une grande angoisse. Le dernier garde venait de tomber sous les coups répétés des assaillants squelettiques. Balco était seul sur la place, les villageois l'avaient désertée avec une grande rapidité. Balco commença à reculer de quelques pas en traînant les pieds…
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