Mortemobire CODEX SULDER
   

Chapitre 23 : Fin de règne

Balco se retrouva au sommet de l’escalier. Plusieurs corps de garde y étaient présents. Ils gisaient sur le sol se déversant leur sang. Alendomïën transporta Hilld juste après y avoir envoyé Balco en haut de l’escalier effondré. Hilld donna une petite tape sur l’épaule de Balco pour lui certifier que tout allait bien se dérouler.
Hilld prit les devants.
Balco le suivit en cherchant à garder son courage. Le moment qu’il redoutait depuis des jours était en train de se présenter. Il allait rencontrer l’empereur ! Il allait devoir trouver une manière pour qu’il abandonne son trône !
Il ne devait plus se poser de question, ni même envisager une autre possibilité. Balco aurait souhaité qu’un arrangement pacifique soit possible. Le combat acharné contre l’archiviste de l’empereur lui avait bien montré que ses espoirs n’étaient qu’une utopie. La guerre était déclarée. Il n’aurait peut-être pas le choix que d’affronter l’empereur.
Hilld poussa fortement les doubles portes qui leur faisaient face. Les portes en bois massifs somptueusement sculptées s’ouvrirent sans faire le moindre bruit. Elles étaient parfaitement huilées. Une longue pièce rectangulaire leur fit face. Le tapis rouge qui recouvrait chacune des marches de l’escalier continuait le long de cette pièce. Il se déroulait sur une centaine de mètres. Tout au bout, le trône de l’empereur dominait toute la pièce.
Un humain vêtu de bleu et rouge était installé sur le trône et observa les visiteurs avec un visage inquiet. Quelques gardes étaient encore présents dans cette salle entourant de leur corps le trône de l’empereur. Hilld avança lentement sur le tapis en fixant fermement l’empereur. Balco suivit en observant tout autour de lui. La salle était tout en longueur à peine une vingtaine de mètres de largeur. Tous les quatre mètres un pilier richement décoré était planté de chaque côté du tapis central sur les murs latéraux.
Balco pouvait apercevoir de chaque côté entre deux piliers un tableau installé contre le mur. Chaque tableau représentait le portrait d’une illustre personne de l’Empire. Les empereurs ou des chevaliers de l’Empire qui avaient laissé leur nom dans l’histoire. Balco reconnaissait presque personne. Il devait pourtant connaître leur nom par les histoires que lui avait contées sa mère. Mais il était incapable de faire un rapprochement entre les noms et les portraits qu’il pouvait apercevoir.
Hilld le tira un peu de sa rêverie en lui soufflant quelques mots : « Occupe-toi uniquement de l’empereur. Je me charge de l’ensemble des gardes ! »
Balco ne rajouta rien. Il commençait à bien connaître son ami pour savoir qu’il n’y avait aucune possibilité de discuter sa proposition. Ou plutôt son ordre.
Toutefois, il pouvait lui faire confiance. S’il lui disait qu’il allait s’occuper des gardes, il allait le faire. Ils avaient l’avantage du nombre. Pourtant, Hilld même seul valait certainement une centaine d’entre eux. Ils continuèrent d’avancer jusqu’à être à mi-chemin du trône de l’empereur.
Ce dernier silencieux jusqu’à présent, se décida à interpeller Hilld et Balco d’une voix puissante et majestueuse. « Qui êtes-vous pour oser venir me défier dans mon propre palais ! Ne savez-vous point qui je suis ?
— Vous n’êtes que l’empereur actuel, répondit Hilld. Si vous vous pensez célèbre par votre titre, nous le sommes tout autant par le nôtre.
— Tiens donc, railla l’empereur.
— Nous sommes les nouveaux disciples du grand maître ! Informa Hilld avec une voix encore plus puissante que celle de l’empereur. Il fut un temps où l’Empire écoutait le grand maître. Cette époque n’est plus, par votre faute ! Nous allons remédier à rétablir ce qui n’aurait jamais dû être défait ». Hilld marqua une courte pause en approchant encore de deux pas supplémentaires. « En vous détrônant ».
Le visage de l’empereur sembla se décomposer à cette annonce. « L’Empire va de nouveau écouter le grand maître, sermonna Hilld. Il n’aurait jamais dû oublier de le faire au fil des siècles.
— Le grand maître ! Répéta l’empereur d’une voix un peu moins sûre, mais toujours harmonieuse. Pourquoi ne vient-il pas me dire tout cela en personne ?
— Sans vouloir vous offenser empereur Truiki, c’est uniquement votre faute, commenta Hilld. Rappelez-moi, quel est l’empire qui a assigné le grand maître dans sa demeure ? Et qui dirige l’empire en question ?
— C’est un fait, grimaça l’empereur.
— Vous êtes seul responsable de votre chute, continua de réprimander Hilld. Le grand maître a plusieurs fois sollicité une audience auprès de votre excellence. Vous ne lui avez jamais accordé le moindre entretien. Vous auriez pu prendre la peine de répondre à une seule des ses requêtes pour que ne nous n’en soyons pas arrivés à un tel extrême. Vous êtes resté sourd à ses multiples recommandations, là où plus d’un l’aurait écouté profitant de sa sagesse accumulée par des millénaires d’existence. Vous récoltez en ce jour le fruit de vos années de bévues et d’immaturités.
— Je ne vous permets pas ! S’écria l’empereur offusqué par une telle audace à son égard.
— Je me le permets avec ou sans votre autorisation, enchérit Hilld nullement impressionné par cette rencontre avec l’empereur. Il est temps pour vous d’assumer la conséquence de vos actes. Et, de laisser un individu, plus compétent que vous ne pourrez jamais l’être, prendre la destinée de l’Empire. Votre temps est révolu empereur Truiki ! »
La voix de Hilld résonna comme un glas aux oreilles de l’empereur.
« Vous avez encore un dernier choix, continua avec gravité Hilld. Soit vous quitter ce trône de vous-même, soit une solution plus radical vous le fera quitter. Choisissez votre destin votre majesté ! »
Sans qu’il ait eu besoin de donner des ordres, les gardes de l’empereur se ruèrent sur Hilld pour le faire taire. Hilld tourna la tête avec un léger sourire au coin des lèvres en direction de Balco. Il lui souffla à mi-mot : « L’empereur est à toi. Exécute la tâche qui t’a été confiée. Ce qui doit être fait, doit l’être maintenant ! »
Balco sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Le voilà… le moment qu’il redoutait. Le face à face mortel contre l’empereur. Il n’avait pourtant rien à reprocher à ce personnage. Il avait juste été désigné par le grand maître pour en être son bourreau. C’était une tragédie dans l’esprit de Balco. Il n’arrivait toujours pas à se faire à cette idée macabre de tuer un innocent monté sur un trône. Son seul crime avait été d’être le fils de l’empereur précédent.
Hilld engagea le combat contre les gardes avec son style très personnel… à mains nues ! Il détourna les lames des épées des gardes avec ses avant-bras avant de leur asséner des coups de poing fermes dans la figure. Il cassa quelques nez. Il varia les plaisirs en assénant de grandes claques dans la tête de certains gardes qui eurent pour effet de les sonner pendant quelques secondes.
Balco continua d’avancer dans la direction de l’empereur. Aucun garde ne s’occupa de lui ayant déjà trop à faire avec cet étrange Hilld. Une nouvelle idée traversa l’esprit de Balco, il se demanda si tout simplement Hilld ne serait pas l’un des nouveaux élèves du grand maître, mais ayant reçu la véritable formation. Celle qui permet d’accéder à la connaissance de l’énergie. Cette facilité déconcertante à éliminer les gardes sans armes, à réduire la menace des araignées sans autre aide. Si tout cela n’était dû qu’à la maîtrise de la troisième force ! Balco se promit de poser la question à Hilld dès que la situation le permettrait.
L’empereur regarda froidement Balco s’approcher. L’héritier de la nuit tenait son épée de la roche dans ses mains cherchant au fond de lui un courage qui n’aurait pas besoin d’excuse… Mais c’est l’empereur seul qui scella définitivement son destin. D’un geste rapide, l’empereur tira une dague cachée sous son fauteuil et la lança en direction de Balco. Ce dernier n’était pas attentif. Son inexpérience dans toute sa splendeur. Il reçu la dague que venait d’envoyer l’empereur ! Elle effleura son bras gauche. Une entaille de plusieurs centimètres fit hurler de douleur Balco et un sang rouge éclaboussa la chemise noire qu’il avait mi pour l’occasion de cette rencontre.
Balco regarda la plaie en grimaçant de terreur. Heureusement, l’empereur était un piètre tireur, car le résultat aurait pu être bien pire. Balco empoigna plus fermement encore la garde de son épée qui sembla lui insuffler une énergie supplémentaire. Cette dernière se mélangea à une colère grandissante.
Balco regarda l’empereur d’un regard froid. Puis il s’élança vers lui avec une hargne rare. Cette fois, il ne cherchait plus à trouver une solution pacifique. L’empereur avait voulu le tuer, il avait trouvé un motif pour terrasser l’empereur. Sa propre vie était en jeu ! L’empereur empoigna un glaive placé en arrière de son trône et le fit tourner devant lui. Balco continua sans se soucier des intimidations tentées par l’empereur.
Il lui rentra dedans. Le combat fut d’une brièveté alarmante. Balco asséna un coup d’épée que l’empereur para facilement avec son glaive. Mais la lame de l’épée de la roche guidée par la colère de Balco brisa le glaive de l’empereur à son contact. Balco continua son mouvement et entailla la poitrine de l’empereur. Ce dernier écarquilla de grands yeux surpris et remplis de terreur.
L’empereur sans aucune armure s’écroula en arrière avec de grandes difficultés de respiration. Un flot de sang abondant coula le long de sa plaie. L’empereur regarda Balco avec un regard fuyant. « Achevez-moi jeune aventurier. Vous pourrez crier, sur tous les toits, que vous avez tué l’empereur. Une action qui restera dans la mémoire de tous… »
L’empereur ferma les yeux attendant le coup de grâce. Balco leva son épée au-dessus de lui et soupira un grand coup avant de faire basculer la lame. Le bout de son épée s’écrasa à quelques centimètres de la tête de l’empereur. « Je m’excuse. Je ne puis faire ça ! Je ne suis pas un tueur. Renoncer à votre trône votre majesté. Vous aurez la vie sauve et j’aurais rempli la mission que l’on m’a confié. »
Balco retira son épée et recula. La colère qui l’avait animé s’était évaporée. L’empereur était aux portes de la mort et pourtant il ne parvenait pas à accepter qu’il soit forcé de lui ôter la vie. Balco soupira et tourna le dos à l’empereur le laissant agoniser sans rien ajouter.
Hilld était toujours aux prises avec les gardes. Enfin, il n’en restait plus que deux debout, mais déjà plus très vaillants. Balco fixa Hilld quelques secondes sans vraiment lui prêter attention. C’était un regard vide, pensif et rempli d’amertume. Tant de mort pour un résultat contestable.
Inattentif, Balco ne put percevoir que derrière lui l’empereur avait trouvé la volonté de se redresser. Malgré la plaie au ventre qui le vidait lentement de son sang, il avait encore quelques ressources pour emporter dans la tombe son assassin du jour. L’empereur extirpa une dague placée dans son ceinturon et avec difficulté s’approcha de Balco pour lui planter la dague dans le dos.
Un cri étouffé résonna dans la salle du trône ! Le corps qui venait de s’exprimer s’écrasa lourdement au sol pour une seconde fois.
Balco se retourna vivement. Il sursauta en découvrant le corps de l’empereur étendu sur le ventre, dans sa main une dague qui n’avait quitté son poignet serré.
« Surveillez vos arrières jeune protégé du grand maître, moralisa une voix sur la droite de Balco. ».
Un humain plus petit que lui sortit de l’ombre d’un pilier et le fixa. Un visage aussi peu émotif que celui de Hilld. L’héritier put malgré tout y déceler un léger mouvement de tête accompagné d’un petit sourire en coin. Balco n’eut pas plus le temps de l’observer, l’individu s’éloigna de nouveau derrière le pilier d’où il était apparu. Le pilier devait dissimuler un passage secret caché dans l’ombre. Car il disparut du champ de vision de Balco. Ce dernier eut un éclair de lucidité pour lui poser une question avec espoir.
« Qui dois-je remercier de m’avoir sauvé la vie ?
— Vous le saurez bien assez tôt, répondit l’individu avec une voix s’éloignant rapidement. »
Balco resta incrédule. Il s’avança de quelques pas pour découvrir derrière le pilier, que le mur pouvait coulisser. Un obscur passage était caché juste derrière. Il eut beau regarder par le passage, il ne put rien voir de plus que l’obscurité.
Il y avait une sorte de soulagement au fond de lui. L’empereur était mort comme le souhaitait le grand maître. Mais il n’était en rien responsable du coup de grâce qui l’avait achevé. Même si l’histoire retenait que c’était lui qui avait porté la première blessure mortelle, au fond de lui la vérité résiderait.
Il n’était pas un assassin !
La main ferme de Hilld abaissa l’épaule droite de Balco en le faisant sursauter. Balco regarda Hilld qui semblait avoir un regard profondément sombre, bien plus que d’habitude lorsqu’il scruta le passage.
« Sais-tu qui c’était ? Questionna Balco.
— Je ne le sais que trop bien, gronda Hilld.
— Je peux en savoir plus ? Ajouta Balco.
— Plus tard, peut-être, signifia Hilld. Les autres doivent nous attendre. Ce n’est pas vraiment le moment de nous attarder ici. Nous ne sommes pas spécialement les bienvenus. Il est temps de quitter Englub au plus vite, le chemin du retour ne sera pas une petite promenade… Je crois bien que l’on va avoir de gros ennuis. »
Hilld tourna le dos à Balco et avança à grands pas vers l’entrée de la salle du trône. Balco jeta un nouveau coup d’œil vers le passage. Qui était donc cet individu pour que même Hilld, qui semblait ne craindre personne, en soit perturbé. Balco avait encore bien des choses à apprendre de son mystérieux compagnon.
Il pressentait malgré tout que cette aide mystérieuse allait provoquer des changements. Il ne savait pas encore quoi ? Toutefois, il était certain que cet événement qui pouvait sembler anodin ne le serait pas si innocent que cela. La réaction de Hilld avait été particulièrement agressive à l’égard de l’inconnu.
Pourtant, il n’avait rien fait de mal, juste lui apporter une aide précieuse. Il lui avait sauvé la vie, ce n’était pas rien. Le plus important restait que d’un point de vue technique, il n’avait pas tué l’empereur. Quoi que puissent rapporter les ragots dans un avenir proche, lui savait la vérité et son esprit n’en était que plus soulagé. Il n’aurait pas eu la force mentale de supporter le poids de la mort de l’empereur.
Sa conscience lui aurait rappelé ce triste moment chaque jour. Chaque nuit. Tuer un squelette animé par une sombre magie était une chose, retirer la vie à un être vivant et en pleine possession de ses moyens en était une autre !
Hilld traversa la grande porte désormais désertée par tous les hommes proches de l’empereur. Le corps de son archiviste gisait au bas de l’escalier brisé. Le combat avait été rude, mais il n’avait aucune perte à déplorer. Ce qui, en soi, était déjà un miracle incroyable. Plusieurs d’entre eux étaient blessés. Certains plus gravement. Le chemin du retour s’annonçait bien plus long qu’il ne le fut à l’aller.
Balco commença à soupçonner qu’une nouvelle rencontre avec les araignées ne se déroulerait peut-être pas aussi bien. Encore que, il y en avait bien un qui ne semblait pas le moins du monde affecté par les marches forcées, les combats et les blessures. C’était Hilld. Pas la moindre trace de fatigue. Son visage était toujours aussi impassible. Pas un seul vêtement déchiré, pas un bout de peau égratigné. C’était presque à se demander s’il avait bien pris part au même conflit que les autres.
Pourtant, nul ne pouvait lui reprocher une quelconque couardise. Il était en permanence dans le cœur de l’action. Il avait dû mettre à mort plus de gardes que le nain et pourtant ce n’était pas une mince à faire.
Balco quitta la salle du trône à son tour pour se poster en haut de l’escalier. L’empereur venait d’être déchu ! La tâche qui lui fut dévolue était achevée, que lui réservait désormais son destin ? Et le grand maître ?
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