Le soleil se leva au-dessus de la brume matinale, Balco entrouvrit les yeux et se précipita en dehors de son lit. Il passa rapidement devant la cuisine familiale et il dit un bonjour rapide à sa mère, avant de foncer vers la petite porcherie dont il avait la charge. Ses camarades de jeu se gaussaient. Ils riaient de le voir travailler avec ses cochons. Balco était au contraire satisfait : ces animaux ne demandaient que peu d'attention. Ce qui lui permettait de s'évader dans ses rêves sans avoir besoin de rester concentré en permanence. Balco vérifia que les cochons ne manquaient ni de nourriture ni d'eau et il retourna l'esprit tranquille à la cuisine pour prendre son petit déjeuner. La cuisine de la demeure familiale était une vaste salle aux poutres basses, un fourneau, de nombreuses marmites ou chaudrons empilés les uns sur les autres. Une grande cheminée au-dessus du fourneau pour tenter de retirer un maximum d'odeur de la cuisine malgré tout très grasse et enfumée. Une longue table de travail qui servait à la fois à cuisiner et à manger se dressait au centre de la salle. La mère de Balco était en train de pétrir de la pâte pour en faire le pain de la semaine. Elle avait les cheveux longs, très sombres, presque noirs, rabattus sur son visage. Elle passait constamment sa main entre ses cheveux pour les écarter afin de voir parfaitement un bref instant. Balco s'installa à un bout de la table, loin de sa mère pour ne pas la déranger dans son travail, et il se servit un bol de lait de vache accompagné de quelques tranches de pain. Balco mâchouilla tranquillement ses bouts de pains trempés dans le lait. Son repas n'avait pas beaucoup de goût, mais il n'y avait pas grand-chose d'autre à manger. Sa famille n'avait plus d’argent et elle devait faire avec la production de la ferme. Lorsqu’il eut fini de prendre son petit déjeuner, il quitta aussi vite la pièce sans adresser la moindre parole à sa mère et il repartit surveiller ses cochons… La matinée fut paisible, Balco s'était allongé dans les herbes hautes qui longeaient les barrières de l'enclos à cochon. Ce qui lui permettait de surveiller ses animaux du coin de l'œil. Il commençait à s'endormir, lorsque l'un de ses camarades vint le rejoindre. « Balco ! S'écria son camarade. Tu as une lettre ! » Balco se redressa surpris par les cris. « Une lettre ! Pensa-t-il, fantastique ? » Balco était tout ébouriffé, des brins de pailles et d'herbes dans les cheveux qui le rendaient encore plus pitoyable. Son camarade lui tendit la lettre et il repartit pour continuer sa distribution du courrier. Ce camarade était le fils du postier du secteur, il aidait souvent son père à la distribution. Le village, bien que peu habité, s'étendait sur des dizaines de kilomètres. Il y avait des fermes installées un peu partout, seul le cœur du village était dense en maison bourgeoise et commerce de tout genre. Balco regarda attentivement la lettre, il se doutait de sa provenance. Il souhaitait avoir une confirmation de ses doutes avant de l'ouvrir réellement. Il put constater sur le devant de la lettre, le tampon rouge de la poste de San Angelos. Il ferma les yeux, rassuré quant à sa provenance et l'identité de son expéditrice. C'était sa grande sœur Ann qui lui envoyait de ses nouvelles. Ann en avait eu assez de la ferme familiale et elle avait tenté sa chance à l'extérieur au plus grand désespoir de sa mère. Ann était partie vers la grande cité de San Angelos pour trouver un travail et envoyer un peu d'argent à la famille. C'était la première lettre que Balco recevait d'elle depuis son départ... Presque un an maintenant. Balco était excité. Il arracha avec vigueur la cire qui maintenait la lettre fermée et en sortit le bout de papier qui y était contenu. La feuille était déjà jaunie. San Angelos n'était pas très loin de leur village, mais il fallait passer le fleuve de l'Enfé au niveau du pont de Batit, un endroit peu fréquentable, c'est pour cela que le courrier ne passait pas régulièrement. Les postes de San Angelos attendent qu'il y ait suffisamment d'envois pour l'autre côté du fleuve afin de justifier le démarchage d'une escouade de milicien de San Angelos pour accompagner leurs postiers. Peu lui importait la durée de voyage de cette lettre. Il tenait à avoir des nouvelles de sa grande sœur. Balco tendit la lettre devant ses yeux noirs perçants et il commença à lire : |